La Presse Anarchiste

Responsabilité et organisation

Le Mou­ve­ment Anar­chiste Inter­na­tio­nal pré­sente le même visage lamen­table que le Mou­ve­ment Anar­chiste fran­çais : désor­ga­ni­sa­tion, inefficacité.

Jus­qu’à ce jour, chaque décade envi­ron, eurent lieu diverses ten­ta­tives pour créer une struc­ture inter­na­tio­nale de rela­tions entre les nom­breux pays où exis­tait un mou­ve­ment anar­chiste. ― Tou­jours en vain, il faut le consta­ter, mais il faut aus­si ten­ter d’en com­prendre la rai­son ― Pour­quoi, sys­té­ma­ti­que­ment, les suc­ces­sives « Com­mis­sions de Rela­tions Inter­na­tio­nales » furent vouées à une mort rapide ou lente, mais tou­jours irrémédiable ?

Je pense, très sin­cè­re­ment, que l’In­ter­na­tio­nale souffre du même mal que l’ac­tuelle Fédé­ra­tion Anar­chiste de France : l’é­qui­voque et le confu­sion­nisme. Cette « diver­si­té » (aujourd’­hui réduite à des dogmes anta­go­nistes !), que cer­tains nomment « richesse » est la cause de la para­ly­sie, de la démis­sion de l’A­nar­chisme dans le grand com­bat de libé­ra­tion de l’homme. ― M. Fayolle a rai­son de sou­li­gner que si le mar­xisme a obte­nu de si brillants et si rapides « suc­cès », il le doit à la « démis­sion des anar­chistes », démis­sion his­to­rique, et qui sera irré­ver­sible d’i­ci quelques années. Il faut donc réagir, et réagir vite (et vigou­reu­se­ment), c’est-à-dire, tout d’a­bord, s’at­ta­cher à défi­nir avec pré­ci­sion les bases idéo­lo­giques et orga­ni­sa­tion­nelles de la future Inter­na­tio­nale Anar­chiste. ― Ceci est la tâche prin­ci­pale du Congrès de Car­rare, et c’est dans cette pers­pec­tive que tra­vaille l’ac­tuelle Com­mis­sion Préparatoire.

Les échecs suc­ces­sifs de l’In­ter­na­tio­nale (le der­nier en date est la C.I.A., issue du Congrès de Londres ― 1958 ―, et qui n’est plus repré­sen­tée que par son secré­taire John Gill), ne semblent pas avoir ouvert les yeux à cer­tains mili­tants (que je per­siste à croire hon­nêtes !) de France et d’ailleurs, qui conti­nuent de prô­ner, par­fois avec pas­sion, le dogme de l’i­nor­ga­ni­sé, de l’i­nar­ti­cu­lé, conce­vant le « mou­ve­ment anar­chiste »(!!?!) (fran­çais ou inter­na­tio­nal) comme un amal­game flasque, une jux­ta­po­si­tion sans vie de cel­lules, non pas inter­dé­pen­dantes et inter­ac­tives, mais, au contraire, bien closes, bien her­mé­ti­que­ment closes. Un édi­fice construit de maté­riaux hété­ro­clites devient peut-être, lorsque l’as­sem­blage est réus­si (et ce n’est pas le cas !), une curio­si­té esthé­tique, mais il perd, sans aucun doute, en solidité.

Quelques fédé­ra­tions pour­tant ont entre­pris un effort de regrou­pe­ment, de défi­ni­tion struc­tu­rale et idéo­lo­gique, sur le plan natio­nal. Cer­taines depuis des années, d’autres plus récem­ment. Citons l’exemple (à suivre !) de la « Fede­ra­cion Liber­ta­ria Argen­ti­na » (F.L.A. ― Argen­tine), de la « Fede­ra­ción Anar­quis­ta Mexi­ca­na » (F.A.M. ― Mexique), de la « Fede­ra­ción de Agru­pa­ciones Liber­ta­rias de Chile » (F.A.L. ― Chi­li), cette der­nière par­ti­cu­liè­re­ment, dont l’es­sai de struc­tu­ra­tion ter­ri­to­riale est un modèle de pré­ci­sion, d’ef­fi­ca­ci­té et de fédé­ra­lisme. N’ou­blions pas, bien sûr, nos cama­rades bul­gares de l’U.A.B. « Union des Anar­chistes Bul­gares en Exil ») et nos cama­rades de la F.A.I. « Fede­ra­cion Anar­quis­ta Ibé­ri­ca ») qui mènent, depuis des lustres, le com­bat pour le com­mu­nisme liber­taire. Ce sont eux aus­si (est-ce la hasard ?) qui ont mon­tré au monde le visage de l’A­nar­chisme, qui ont réa­li­sé nos théo­ries dans le creu­set de la révo­lu­tion libertaire.

La France n’a jamais eu de Mou­ve­ment Anar­chiste, et moins encore aujourd’­hui, où notre pauvre fédé­ra­tion, dévo­rée de l’in­té­rieur par des contra­dic­tions mor­telles, ago­nise tout dou­ce­ment à l’ombre de ses rêves philosophiques.

Ce refus, ou, au mieux, cette impos­si­bi­li­té de trou­ver un remède à notre désa­gré­ga­tion orga­nique, à notre dépé­ris­se­ment idéo­lo­gique, consé­quence de notre iso­le­ment for­cé, nous a conduit, de scis­sion en scis­sion, d’hé­ré­sie en apos­ta­sie, à l’é­tat lamen­table d’un spectre que per­sonne ne prend plus au sérieux.

L’i­nor­ga­ni­sa­tion, l’ir­res­pon­sa­bi­li­té, ont ron­gé l’In­ter­na­tio­nale. Lors de la der­nière ten­ta­tive, en 1958, la Com­mis­sion de Rela­tions Inter­na­tio­nale a été envoyée à Londres, un peu comme Marx avait envoyé son ancêtre à New York. ― Puis, der­nier sou­bre­saut, ce fut Bücke­burg, ten­ta­tive mal­heu­reuse, extrê­me­ment limi­tée, mal­adroite et sans lendemain.

C’est alors, que face à tant de stu­pi­di­té, de désordre, d’ir­ré­so­lu­tion et de doctes bavar­dages, nos cama­rades ita­liens de la F.A.I.(« Fede­ra­zione Anar­chi­ca Ita­lia­na ») déci­dèrent de tra­vailler à réunir un grand Congrès Anar­chiste qui convie­rait les orga­ni­sa­tions à édi­fier enfin un Mou­ve­ment Inter­na­tio­nal solide, bien assis, dont le dyna­misme ragaillar­di­rait ses membres engour­dis. ― Nous adhé­râmes au pro­jet avec enthousiasme.

Lorsque la Com­mis­sion Pré­pa­ra­toire fut for­mée (« FA Ibé­ri­ca », « FAF », « UA Bul­gares », « FA Ita­lienne », en consti­tuaient la base), nous étions bien déci­dés à ne pas retom­ber dans les erre­ments du passé.

Notre action, déli­bé­ré­ment diri­gée dans le sens de l’or­ga­ni­sa­tion, sou­le­va immé­dia­te­ment les cla­meurs indi­gnées de cer­tains de nos « pré­dé­ces­seurs » dans la « chose » inter­na­tio­nale. Je ne cite­rai, en par­ti­cu­lier, que Ilde­fon­so Gon­za­lez, alias Gre­go­rio Quin­ta­na, qui pas­sa des nuits blanches à rédi­ger la liste de nos crimes contre l’a­nar­chisme, et à atti­rer l’at­ten­tion vigi­lante du Mou­ve­ment sur les agis­se­ments de ce « nou­veau Fon­te­nis » (lisez Malou­vier) et de la clique de la Com­mis­sion Pré­pa­ra­toire. Les fran­çais ne furent pas en reste, et nous eûmes droit à quelques lettres d’in­sultes, et au spec­tacle affligent de quelques ges­ti­cu­la­teurs impuis­sants et ridi­cules pour qui le congrès inter­na­tio­nal était une occa­sion ines­pé­rée de se rap­pe­ler au mau­vais sou­ve­nir des mili­tants. Nous sûmes ain­si que nous étions sur la bonne voie ! Puis­qu’ils n’é­taient pas d’ac­cord, puis­qu’ils criaient au scan­dale, eux qui por­taient la res­pon­sa­bi­li­té des échecs pré­cé­dents, c’est que nous avions tou­ché au but. Oui, nous avions rai­son de vou­loir un Congrès de Fédé­ra­tions, c’est à dire une assem­blée res­pon­sable de délé­gués man­da­tés, et mon plus une ren­contre de spé­cia­listes et de curieux d’où ne sor­ti­rait que de vaines motions de prin­cipes et quelques décla­ra­tions ver­beuses qui ne seraient jamais appli­quées puisque ceux qui les ont sou­te­nues, n’en­gagent que leur seule res­pon­sa­bi­li­té !!! Nous avions rai­son de vou­loir une Inter­na­tio­nale de Fédé­ra­tions Anar­chistes, sou­te­nue par l’en­ga­ge­ment for­mel de ses membres, et non plus par de belles (et sou­vent per­fides) pro­messes ou de très facul­ta­tives aumônes. Une Inter­na­tio­nale qui ne vivrait plus de la cha­ri­té de quelques uns, mais du sou­tien actif, régu­lier et loyal de tous.

Un demi siècle d’é­checs, car nos « vic­toires » n’ont jamais été que des barouds d’hon­neur, aurait dû nous apprendre à tirer la leçon de notre fai­blesse, c’est une ques­tion de vie ou de mort.

Nous, nous avons déli­bé­ré­ment choi­si de vivre et de triom­pher, car nous goû­tons de moins en moins le plai­sir mor­bide de l’in­com­pré­hen­sion et la gran­deur des causes per­dues. ― Nous avons, loya­le­ment et froi­de­ment, envi­sa­gé les chan­ge­ments à opé­rer, quitte à cho­quer quelques bonnes vieilles tra­di­tions dites « anar­chistes » qui n’ont d’autre uti­li­té que de contri­buer à la per­sis­tance de concepts illu­soires, faux et anachroniques.

Le Congrès de Car­rare fut mis sur pieds par des par­ti­sans de l’or­ga­ni­sa­tion, il sera le Congrès de l’organisation.

Voi­ci un demi siècle que nous sup­por­tons la dic­ta­ture toute puis­sante de nos détrac­teurs, par­ti­sans de l’i­nor­ga­ni­sé (ou, ce qui est pire, de « l’or­ga­ni­sa­tion »(! ?) type F.A. Actuelle !), il est juste qu’au­jourd’­hui, et il est grand temps, nous pre­nions les choses en mains pour assu­rer la sur­vie de l’A­nar­chisme vivant, de l’a­nar­chisme révo­lu­tion­naire et social. ― Nous leur deman­dons, sim­ple­ment, qu’ils nous laissent en paix, qu’ils s’oc­cupent dans leurs cercles d’i­ni­tiés à figno­ler leur Moi, et qu’ils aient la pudeur de ne pas son­ger nous don­ner de leçons, eux par qui tout à échouer !

Ilde­fon­so Gon­za­lez écrit dans son bul­le­tin semi-confi­den­tiel « Esfuer­zo », que le « Mou­ve­ment Anar­chiste » s’a­che­mine vers le grand schisme [[Je donne, dans le bul­le­tin n°8 de la Com­mis­sion Pré­pa­ra­toire du Congrès Inter­na­tio­nale, le texte d’un pro­jet « d’In­ter­na­tio­nale Indi­vi­dua­liste Anar­chiste », pré­sen­té par E. Armand. Voi­là peut-être la solu­tion à vos angoisses cama­rades anti-orga­ni­sa­teurs ! Ou bien, cer­tains de nos détrac­teurs (et ils ne sont pas les moins nom­breux à appar­te­nir à cette « fra­ter­ni­té ») pour­raient, éven­tuel­le­ment, nous « foutre » la paix et concen­trer leurs efforts pour ren­for­cer « leur » inter­na­tio­nale : la Franc-Maçon­ne­rie.]]. Quoi qu’il en soit, nous avons posé le pro­blème et il sera réso­lu, car nous y sommes déter­mi­nés. Tout est pré­fé­rable à cette sur­vie végé­ta­tive. ― Tout, même… la vic­toire !

[/​Guy Malou­vier/​]

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