[[Voir les n° 4, 5, 6, 7.]]
Les Syndicats de vente, en dehors des fruits et des légumes, peuvent s’occuper de ramasser et d’expédier les volailles, les œufs, le miel, etc. Tout à l’heure, j’ai donné la production des légumes comme exemple de spécialisation en petite culture. Les petits propriétaires peuvent aussi se spécialiser dans l’élevage des volailles et la production des œufs, ce qui se fait un certaines régions (Bresse, Maine), et aussi, mais sans spécialisation, dans le reste du pays, puisque nous savons que chaque paysan fait un peu de tout.
Or, faisant un peu de tout, il le fait mal. La fermière a l’habitude de porter ses plus belles poules au marché ; elle pratique ainsi une sélection à rebours. L’ignorance du paysan l’empêche de porter grande attention au choix des producteurs et au croisement. Même dans les Charentes, malgré les efforts de M. Dornic, les paysans ne se sont pas encore inquiétés d’améliorer, par la sélection, le rendement de leurs vaches en lait gras.
Pour se spécialiser dans l’élevage en général, il faut avoir quelques connaissances et les contrôler par l’observation et l’expérience : d’abord sélectionner la race en choisissant comme reproducteurs les plus beaux sujets et en mettant en vente les plus chétifs, ce qui ne dispense pas de chercher par le croisement une nouvelle amélioration ; ensuite, se préoccuper de la nourriture.
Quel est le paysan au courant de la valeur des aliments et de la possibilité des variations du régime alimentaire ? Des gens ont fait de bonnes affaires qui les premiers ont pu remplacer, au moins en partie, le grain des céréales par les tourteaux oléagineux ou par les déchets de viande.
Et puis, trop longtemps subsiste le préjugé de faire des économies en nourrissant médiocrement les animaux. Le bénéfice, au contraire, est de les engraisser rapidement. Surtout, la nourriture des jeunes doit être très surveillée. Un animal, qui a pâti au début de l’existence, aura d’ordinaire un développement difficile.
Élever des canards pour la viande, des poules pour les œufs, des lapins pour la viande et la peau, etc., tout cela peut varier suivant les ressources de chaque exploitation agricole. La production des volailles nécessite encore la connaissance de l’incubation artificielle et de quelques notions d’hygiène. Enfin le commerce de la volaille ne sera rémunérateur que si les produits sont bien présentés.
À leurs diverses spécialisations les petits cultivateurs pourraient ajouter l’élevage des abeilles et la production du miel. Ce n’est pas là un éparpillement d’efforts. Une ruche demande peut-être quatre heures de travail par an. Pourquoi l’apiculture a‑t-elle donc disparu presque partout ? C’est à cause de l’apparition et du développement de l’industrie sucrière. C’est aussi parce que les anciennes ruches à paillon ont un rendement médiocre ; et, en détachant les gâteaux de miel, on a toute chance de détruire le couvain. Les nouvelles ruches à cadres mobiles permettent de surveiller l’essaim et de récolter le miel sans rien abîmer. Chaque ruche peut rapporter en moyenne 15 kil. de miel par an. Ce miel se recueille proprement par centrifugation. J’ai déjà dit que la belle présentation des produits a une grosse importance pour la vente.
Comment expliquer que les ruches à cadres mobiles soient si peu répandues ? Comment se fait-il qu’avec la pénurie de sucre dont nous avons souffert, les cultivateurs n’aient pas songé à reprendre l’élevage des abeilles ? Il n’est qu’une réponse : l’ignorance [[Notons que la présence d’abeilles dans un verger est une garantie de fécondation des fleurs et par conséquent de bonne récolte.]]. J’ai assisté une fois, dans un cinéma, à une séance soi-disant éducative sur l’apiculture ; le film a fait défiler sous les yeux du public les vieilles ruches à paillon.
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Les syndicats de vente ont pour but de ramasser et d’expédier les denrées de consommation, c’est-à-dire les denrées commerciales. J’ai cité les légumes, les fruits, les volailles, les œufs, le miel. J’ajoute le lait. Or, le ramassage du lait autour des villes est abandonné à des entreprises particulières ; ou bien les laitières viennent individuellement apporter qui dix litres, qui cinquante litres. Les producteurs auraient intérêt à faire un commun le ramassage du lait et à organiser la livraison et la vente eux-mêmes.
À une certaine distance des villes, l’association pourrait avoir comme premier résultat l’achat en commun d’une automobile pour réaliser les livraisons d’une façon plus sûre, plus rapide, sans transbordement. Les dépôts et les marchés se trouveraient alimentés directement, d’où économie de temps (ce qui a une certaine importance pour les denrées périssables) et économie de main‑d’œuvre.
Loin, très loin des villes ou de tout autre débouché, loin d’une ligne de chemin de fer, les cultivateurs se trouvent assez empêchés de faire le commerce du lait en nature ou de légumes verts ou de fruits frais. Ils seraient amenés à envisager la transformation de leurs produits.
C’est là où commence l’
Je n’ai pas la prétention de passer en revue toute l’industrie agricole. Aussi bien suis-je pressé par le temps. Je ne ferai qu’indiquer sommairement quelques exemples.
Les vignerons font eux-mêmes leur vin. Pourtant, ils auraient intérêt à s’entendre pour fabriquer ce vin à moins de peine et avec des procédés scientifiques modernes, qui les mettraient à l’abri de certains risques.
Les producteurs de betterave auraient dû s’associer pour avoir eux-mêmes leur sucrerie on leur fabrique d’alcool. Il en est de même pour les féculeries, les huileries, etc.
Ne comparons pas l’industrie agricole avec la grande industrie. En général, il semble que pour l’agriculture les petites industries sont préférables ; elles s’adaptent mieux aux nécessités locales ; on a plus de bénéfice à traiter sur place, à peu de frais, des produits difficiles à manipuler et à transporter.
Les produits agricoles sont, en effet, essentiellement des produits périssables. La centralisation ne peut guère se faire qu’avec des risques de pertes et de gaspillage.
Même, il n’y a pas d’intérêt social à ce que la minoterie, la féculerie, la sucrerie, la fabrique d’alcool soient de grandes entreprises très centralisées, monopolisant les produits de plusieurs régions. Toute centralisation entraîne le gaspillage. Au point de vue capitaliste ce gaspillage n’a pas d’importance, et ce sont les consommateurs qui en font les frais. Mais si les capitalistes trouvent grand bénéfice à l’extension de leurs affaires et à l’établissement d’un monopole de fait, la grande industrie agricole n’offre aucun profit aux cultivateurs asservis, ni non plus aux consommateurs grugés.
L’industrie agricole fondamentale est celle de la conserve. L’humanité a toujours cherché mettre en réserve les produits alimentaires récoltés, de façon à pouvoir en échelonner la consommation jusqu’à la récolte suivante ou jusqu’à l’obtention de nouvelles ressources. Les primitifs vivaient d’aubaines aléatoires. Le goût du faisandé nous vient de nos ancêtres ; c’est un reste, un vestige de la cuisine d’autrefois, asservie à de fâcheuses nécessités. Le goût des aliments frais est une conquête de la civilisation moderne.
Le fromage même n’est que le moyen antique de conserver le lait ; c’est du caillé desséché et légèrement fermenté. La dessiccation est, en effet, le grand principe de la conservation des aliments. La vie, en général, et celle aussi des ferments, ferments pourrisseurs et autres, ne peut se faire qu’en milieu humide. En desséchant les fruits (prunes, abricots, etc…), on assure leur conservations En Allemagne l’industrie de la sécherie (pommes de terre, choux et autres légumes), s’était extraordinairement développée avant la guerre.
D’autres moyens que la dessiccation existent pour la conservation des produits périssables La fermentation (vin, choucroute, fromage), la chaleur qui détruit les ferments, le froid qui suspend leur activité. Sans doute, plus tard, trouvera-t-on des procédés, au moyen de gaz appropriés, pour conserver à l’état frais les produits végétaux.
En tout cas, des sécheries (pommes de terre, choux, châtaignes, prunes, etc.), concurremment avec des fabriques de conserves (légumes, fruits en boîtes), pourraient être installées par les cultivateurs eux-mêmes dans les régions de production. La sécherie n’existe d’ordinaire en France qu’à l’état tout à fait primitif ; le séchage ne se fait que sur de petites quantités et il est mal réglé. Par exemple, les châtaignes desséchées en Corse au moyen de feux de genêts prennent un goût de fumet assez peu agréable.
La charcuterie, c’est-à-dire les conserves de viande, obtenues au moyen d’une dessiccation partielle, renforcée par la salaison et le boucanage, devrait être organisée régionalement suivant les procédés industriels modernes les plus perfectionnés.
Des installations frigorifiques dans les pays d’élevage et d’engraissement éviteraient le voyage des bestiaux sur pied, faciliteraient les transports et constitueraient une meilleur garantie pour la qualité des viandes.
À Paris même et dans les grandes villes, chaque gare devrait posséder un dépôt frigorifique pour recevoir viandes, poissons, fruits, légumes, etc., et organisé de façon à diminuer le plus possible transbordements et manipulations. Ces dépôts à Paris pourraient supplanter les Halles Centrales ou suppléer ce marché pléthorique où tant de denrées se gaspillent. Rien n’empêcherait que ces dépôts frigorifiques n’appartinssent à des associations agricoles.
J’ai déjà parlé des fromageries, des beurreries. Je mentionne pour mémoire la fabrication du lait condensé et du lait desséché.
L’industrie de la fourrure, si prospère, pourrait être sous le contrôle des paysans, puisque la majeure partie des fourrures provient aujourd’hui des peaux de lapin. La préparation élémentaire de ces peaux et leur mise en stock n’est pas au-dessus des moyens actuels de simples cultivateurs associés.
Faut-il parler aussi de la fabrication des engrais, laissée aux mains de spéculateurs ? Jusqu’à maintenant, dans beaucoup de villes de province, les déchets d’abattoir sont jetés et inutilisés.
Je n’ai fait ici qu’une énumération rapide et incomplète des formes de l’industrie agricole. Mais on voit que le champ d’activité est immense. Les paysans sauront-ils s’associer pour l’exploiter, ou laisseront-ils des capitalistes entreprendre l’organisation de cette nouvelle industrie et en garder le profit ?
C’est, à mon avis, le développement de l’industrie agricole qui changera la mentalité paysanne. Au lieu de l’ancien cultivateur, vivant indépendant et replié sur lui-même, tâchant de se suffire à lui-même « en faisant un peu de tout », nous verrons des cultivateurs spécialisés par la force des choses, je veux dire par l’influence et sous la coupe d’une nouvelle catégorie de capitalistes industriels — ou bien groupés en associations pour l’exploitation industrielle de leurs produits. Il est probable que nous verrons des exemples de ces deux cas. Notre propagande peut déjà tenir compte de cette évolution certaine pour instruire les paysans de leurs intérêts. Et c’est le développement de l’esprit d’association qui préparera l’avenir.
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