Messieurs les patrons se sont engagés par leur signature à ne plus traiter qu’individuellement avec leurs ouvriers, et à tenir pour nulle et non avenue toute démarche collective qui serait faite auprès d’eux.
Voici le texte de ce pacte, qui est certainement l’un des faits les plus graves qui se soient produits chez nous depuis des années :
« ART. 1.
« Toutes propositions émanant de comités d’ouvriers ou fournisseurs, qui auront pour base la hausse collective, ne seront pas prises en considération par les fabricants.
Il est loisible à chaque fabricant de traiter à l’amiable avec ses ouvriers et ses fournisseurs.
« ART.2.
« Les ouvriers et chefs d’ateliers qui ne veulent pas se soumettre aux exigences des comités de résistance et se trouvent sans travail, peuvent s’adresser aux fabricants soussignés, qui leur ouvrent l’entrée de leurs ateliers et se feront un devoir d’occuper les ouvriers qui veulent jouir de leur indépendance.
« ART. 3.
« Tout fabricant s’engage à ne recevoir dans ses ateliers aucun ouvrier qui ne produirait pas un certificat le libérant de ses engagements envers son patron.
« ART. 4.
« L’établissement de tribunaux de prud’hommes, composés de fabricants et d’ouvriers, est recommandé. »
Ces articles ont été signés par 229 patrons, appartenant aux localités de St-Imier, Sonvillier, Bienne, Tramelan, Porrentruy, Renan, Courtelary, Cormoret, Corgémont, Fontenais, Montignez , Vendlincourt, St-Ursanne, Tavannes, Cornol, Bonfol, Lugnez, et les Bois.
Quel sera le résultat de cette attitude nouvelle de la bourgeoisie industrielle ? Cette prétention à ne pas reconnaître l’existence des sociétés ouvrières, à dénier aux travailleurs le droit de faire des actes collectifs — et cela au moment même où les patrons font, pour leur propre compte, un acte collectif au premier chef — cette prétention aboutira-t-elle, comme on paraît l’espérer, à l’écrasement de toute organisation ouvrière ?
Nous ne le pensons pas. Nous croyons, au contraire, que la déclaration de guerre de Messieurs les patrons sera, pour tous les ouvriers, une éclatante démonstration de la nécessité qu’il y a pour eux de s’unir, de se grouper. Les patrons ne veulent avoir affaire qu’aux ouvriers isolés, c’est-à-dire faibles et impuissants ; n’est-ce pas la preuve que l’intérêt des ouvriers est d’être unis, et que c’est seulement par l’union, par l’association, qu’ils pourront sauvegarder leurs droits ?
Cette vérité se comprend chaque jour davantage. Aussi, dans la lutte qui va certainement s’engager d’ici à peu de temps, d’un bout à l’autre de la fabrique d’horlogerie, entre les patrons qui veulent tuer l’organisation ouvrière, et les ouvriers qui ne veulent pas se laisser tailler à merci, on peut déjà prévoir que l’avantage restera aux ouvriers, si ceux-ci savent tirer parti de la force que leur donne l’union et la solidarité.
À la Chaux-de-Fonds, où à la suite d’intrigues politiques, le parti socialiste avait été momentanément désorganisé, la grève des graveurs a fourni l’occasion de constituer une fédération locale des sociétés ouvrières, qui deviendra le centre de la résistance au capital. Au Locle et au Val-de-St-Imier se produit une agitation de bon augure, et nous ne doutons pas que d’ici à peu de temps l’exemple de la Chaux-de-Fonds ne soit suivi dans d’autres localités. — À Porrentruy même, ville où jusqu’à présent personne n’avait paru s’apercevoir de l’existence de la question sociale, les ouvriers ont commencé à se constituer en sociétés de résistance.
On le voit, le moment est grave. Le mouvement socialiste, interrompu un instant chez nous à la suite des préoccupations de la guerre, a repris son cours et s’annonce d’une manière grandiose. Aussi le Congrès de la fédération jurassienne a‑t-il eu grandement raison, à notre avis, de porter à son ordre du jour « le mouvement ouvrier dans l’industrie horlogère. »