Chère Pucelle de France [[Les « Éditions Verba ». En vente à la Revue anarchiste.]], par Han Ryner. – Pendant que la prêtraille et les ouailles fêtent notre très nationale Pucelle ; pendant que les officiels bergers mènent leurs dociles moutons vers le parc où règnent la plus impérieuse dogmatique et la plus ténébreuse des ignorances ; pendant que « dominisme » et « servilisme » se donnent la main pour accomplir la ronde de l’éternelle bêtise, je me promène avec l’Homme qui Rit.
Ce n’est plus le cœur qui chante ; ce n’est plus l’esprit qui se rebelle ; ce n’est plus l’ironie qui cingle les grands et secoue les petits : C’est l’Histoire, Monument d’Orgueil qui vient se présenter au monde des êtres pleinement sentants grâce à l’aide de la plus subjective des Sagesses.
Sainte Jeanne, victime et divinité de la gent chrétienne — ; Jeanne d’Arc — super-Pucelle dont la virginité semble d’une fragilité quasiment formidable — nous raconte le roman d’une existence qui perdure dans la suite des temps, parce que les faux et cajoleux mensonges sont les leviers puissants qui soulèvent les complaisantes erreurs.
Han Ryner semble avoir quitté son lyrisme transcendant pour prendre l’outil trop lourd et si fortement ébréché qui plaît tant aux historiens qui ne sont jamais las de nous assommer l’Esprit avec l’aide de leurs encombrantes et vaines histoires… Mais notre souriant et pénétrant philosophe ne tarde point à jeter son arme par delà les coutumes et les traditions, afin de présenter à ses lecteurs le roman le plus invraisemblable, quoique sa puissance soit bien faite pour le rendre raisonnablement, historique.
Chère Pucelle de France ! est un livre qui se pare de gaieté jusqu’au point d’accorder au drolatique la plus probante véracité !
C’est avec l’aide d’un style qui semble parfois s’apparenter à l’époque où régnait la « Comediante » de la ribaude qui s’apprêtait à gagner le cœur de feu Robert des Armoises, chevalier, seigneur de Tichimont, Haraucourt et autres lieux ; c’est aussi avec l’apport d’un renouveau qui grandit le noble sculpteur de la « forme » la plus enivrante, que Han Ryner bâtit son sujet.
Heureuse histoire que celle qui consiste à lever le voile qui couvre les mystères ; bienheureuse histoire que celle qui se transpose aisément avec l’aide du plus fol enchantement et de la plus lucide compréhension.
Jeanne d’Arc retrouvée, ou la farce aux multiples tableaux, voilà le fond du dernier ouvrage du génial auteur des « Voyages de Psychodore ».
Il faut lire ce livre pour comprendre combien prévalent les hypocrisies, les fourberies et les opulentes bêtises qui constituent le patrimoine historique des hommes, perfection de la Création divine !
Il faut lire ce livre pour apporter, à celui qui ne s’arrête jamais qu’un instant sur le palier de la montée vers la lumineuse beauté, la confiance qui incite l’individualiste à se parfaire dans l’art de produire les œuvres qui viennent charmer au paroxysme, les écouteurs et les voyants qui cherchent leur point de rayonnement dans l’immense désert des hommes.
[/A.
Poèmes d’Ouvriers américains [[Édité par Les Revues. 1 vol., 9 francs. En vente à la Revue Anarchiste.]], traduits par N. Guterman et P. Morhange.
En Amérique, au pays du machinisme à outrance, de l’exploitation poussée au dernier degré, il existe encore des hommes — tisserands, travailleurs de l’acier, garçons de restaurant, mineurs ou autres exploités — qui, malgré leur dur labeur et leur souffrance quotidienne, savent nous émouvoir à l’aide de beaux poèmes. Ainsi que nous l’indiquent les éditeurs : « cette fois, ce ne sont pas des intellectuels qui tendent la main au peuple. »
Parfois, après la lecture de certains de ces poèmes — si simplement écrits — on a une impression pénible : il semble que l’auteur s’est aperçu que, de face, il n’y a rien à faire, que c’est la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Alors, la rage en lui, résigné en apparence, se contenant malgré tout, ricanant même parfois, il accepte ce labeur qu’il exècre et l’effectue en souhaitant la mort de celui qui l’exploite, mais sachant qu’avec l’avachissement général il n’existe pour lui, de front, aucun moyen égal de lutte — bien beau si la mort ne vient pas le frapper durant son travail souvent dangereux !
Beaucoup de ces poèmes mériteraient d’être cités. Dans le précédent numéro de la Revue Anarchiste, nous avons pris connaissance de Rêves, de Peters : l’En dehors, le Libertaire, d’autres organes en ont publié quelques-uns.
Martin Russak se classe parmi les meilleurs. Notons : L’Usine où je travaille et Mort d’un Tisserand, qui se termine ainsi :
D’énormes fortunes,
Je viens vous demander, camarades tisserands,
À chacun quelques sous,
Pour l’enterrer proprement.
Dans Loi et Ordre, Norman Macleod stigmatise les policiers :
Pour le capitalisme ;
Mais quelles pauvres créatures !
Ils n’ont pas de tripes,
Pas de ressort, rien en eux
Pour tenir debout.
Très simplement, Miriam Allen, de Ford rappelle les victimes du 22 août 1927 :
Qui chantait en Italie, il y a longtemps, en avril.
Nick Sacco a envoyé une lettre à son petit enfant :
« Prends la mère à la campagne et cueillez des fleurs. »
… … … … … …
Quand vous entendrez l’oiseau chanter, souvenez-vous de Sacco et de Vanzetti.
Quand vous verrez une fleur sauvage, souvenez-vous de Sacco et de Vanzetti.
Souvenez-vous de la justice crucifiée à Boston.
Certains, pourtant, ne désespèrent pas. L’idéalisme qui est en eux les soutiens, les anime. Beaucoup de camarades connaissent les nuits auxquelles fait allusion C.E. dans Les Militants, qui vont jusqu’à l’aube :
Trop fatigués pour rêver au lendemain.
À quoi bon ?
… … … …
Mais par-ci par-là
Il y a un ouvrier qui ne va pas au lit
Et, qui rêve un demain
Frais et doux.
Et ses rêves troublent
… … … …
Le sommeil noir et désespéré de ceux
Qui ne rêvent pas.
Notons Les Esclaves en faux-col, de Stanley Burnshaw et Anna Mc Guire, de Jim Waters.
Eugène Lantz, dans Dieu est une usine d’acier, nous présente le plus long de ces poèmes, peut-être aussi le plus impressionnant, avec l’évocation d’accidents du travail effrayant le jeune débutant qui consulte l’ouvrier habitué sur ce qu’il doit faire, reste quand même… puis meurt. Après quoi, l’ouvrier envie son sort :
Je lui envié son repos. Il a eu le temps d’oublier le hurlement
Du métal torturé, le souffle desséché des fourneaux
Et le sanglot des roues qui tournent.
Mais ces poèmes, permettent d’exhaler la haine, et David Gordon n’y manque point, dans Maîtres de l’argent, écoutez !
Une pourriture puante l’étouffe implacablement
Comme du sable chaud.
Et mon cœur hurle
Ma haine pour vous.
Il est des peintres, qui, fatigués de toujours voir représenter la vie avec un grand ciel bleu et des nuages blancs, vont souvent au pays des hommes noirs et du ciel gris pour saisir la vie « âpre et dure » de chaque jour, la vie « réelle », disent-ils.
Ces poèmes nous rappellent eux aussi cette vie pénible qui ne constitue pas un idéal, c’est entendu, mais malheureusement, trop souvent une réalité.
Cela nous change un peu de la « peinture de jeune fille ».
Et puis, autre mérite : être arrivé à ce but sans pour cela, dans l’ensemble, nous torpiller de formules ouvriéristes et nous abrutir avec un tam-tam et avec de grandes tirades démagogiques et « pétaradantes » et creuses. Sans parti pris, les meilleurs de ces poèmes sont ceux où l’ouvriérisme perce le moins.
Je ne sais si dans la langue d’origine ils constituent des chefs-d’œuvre au point de vue technique — ce qui n’est point pour dire qu’ils sont défectueux, loin de là — mais dans plusieurs, j’ai trouvé de quoi émouvoir, et souvent c’est là le principal. De même qu’en musique on préfère souvent, au virtuose en exécution — mais froid — un exécutant inférieur, mais qui sait faire vibrer, au poème construit à la perfection, mais qui ne nous touche pas, la préférence ira plutôt à celui plus maladroitement fait, mais qui émeut.
Intérieurement, beaucoup de lecteurs de ce petit recueil remercieront les éditeurs pour leur réussite dans la présentation de ces productions ouvrières et féliciteront les traducteurs d’avoir su conserver toute leur saveur à ces ricanements sarcastiques, à ces cris de colère, de rage et de haine.
[/Camille/]