Ce qui se passe dans les Syndicats ?
Des choses pénibles en vérité.
Pénibles, non pas pour quelques hommes, mais pour la classe ouvrière qui se trouve entraînée malgré elle vers la corruption, la décomposition, qualités (??) dominantes de la politique.
Ceci dit sans phrases, quoique représentant bien la physionomie du Congrès de Saint-Étienne.
Et le syndicalisme, qui est la Vie, a été vaincu par la politique, qui symbolise le Néant.
Si les gouvernants de toujours appliquent dans les faits cette formule « La Force prime le Droit », il en est une autre qui est commune à ceux d’aujourd’hui et à ceux qui aspirent au remplacement : « L’Erreur prime la Vérité ».
Pour s’emparer de la puissance que représente le mouvement syndical, ceux-ci useront donc de tous les moyens.
Quand je dis de tous les moyens, il faut en excepter les bons, seuls les mauvais sont employés par les politiciens de tous les milieux, car ils cadrent mieux avec leur tempérament comme avec leurs ambitions.
Pourtant nous pouvions espérer qu’au contact de la Raison, les délégués de Syndicats, qui assistaient à ce Congrès Confédéral, sauraient défendre le Syndicalisme, puisqu’ils étaient là pour cela.
Ils ne l’ont pas fait. Ils avaient reçu des ordres.
Ils les ont exécutés aveuglément comme de véritables « sujets » pris sous la puissance des regards magnétiques de la fine fleur politicienne, mobilisée à cet effet.
Dans ce Congrès syndicaliste, de quelque côté que l’on tourne son regard, on remarquait la présence des plus beaux spécimens de cette floraison inodore.
Ici Rosmer et Tommasi, là Ker et Frossard, ailleurs Humbert-Droz.
Rien que des travailleurs. Quoi !
Il est vrai qu’il manquait à l’appel les officiers de la Grande Guerre, le lieutenant Vaillant-Couturier, le capitaine Treint etc. etc.
Ceux-ci se réservent probablement pour le prochain Congrès, quand ils aurons réussi à grouper clandestinement leurs troupes écarlates — j’allais dire écartelées —.
C’est ainsi qu’en regard d’une préparation aussi méticuleuse que scrupuleuse, nous sommes allés à la bataille avec, comme seules armes, notre bonne foi, notre loyauté.
Notre infériorité n’a pas été longue, à se manifester d’autant plus que des alliances se sont contractées entre des gens qui paraissaient, publiquement, ne pas être d’accord, alors qu’en réalité cet accord s’était réalisé dans la Coulisse.
Si, un jour, un camarade vous dit, que par son aspect, la salle du Congrès, ressemblait étrangement à une cuisine, ne riez pas ! Ce pourrait être l’expression exacte de lit Vérité.
Est-ce pur réflexe ou rêveries, mais il apparaissait parfois, à côté des « chefs cuisiniers », des « marmitons », qui, au cours de leurs évolutions rapides et savantes, nous démontraient leur habileté à se servir de certains ustensiles appelés « casseroles » et ce qui manquait le moins dans cette immense cuisine était les « fourneaux ».
Tout cela sans allusion aucune.
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Quatre journées de discussions pour déterminer dans cruelle voie la C.G.T.U. allait s’engager à l’avenir, et quelle orientation serait la sienne.
Peut-on dire que nous savons maintenant à quoi nous en tenir ? Je n’ose l’affirmer, puisque des deux résolutions en présence, celle qui a recueilli la majorité des voix, manque de netteté dans les termes, de précision dans l’expression et de clarté dans la forme.
Cela est si vrai, qu’elle a permis, après bien des retouches qui n’ont fait que l’aggraver, à des tendances qui se déclaraient différentes, de se retrouver sur son texte ambigu.
Tel qui se déclarait péremptoirement pour l’interpénétration du Parti et de la C.G.T.U., a donné en fin de compte, l’accolade à celui qui la condamnait, sans la condamner, tout en la condamnant.
Tel autre qui voulait aller à Moscou, pieds nus, la corde au cou, a voté des deux mains avec celui qui veut s’y rendre à la condition qu’on lui fournisse un mode de transport approprié à la valeur qu’il se reconnaît.
Je sais bien que « Ceux qui ne sont pas du Parti » nous diront qu’ils ne pouvaient empêcher « Ceux qui en sont » et nous le font bien voir, de se rallier à une résolution dite du moindre mal.
Pauvre de nous ! Où irions-nous si nous étions toujours obligés d’accepter de lier notre vie ou notre activité à celles de gens qui nous déplairaient foncièrement.
Pour ma part, je verrais très mal une jeune fille agréable, souriante, belle robuste, mise dans l’obligation d’unir sa destinée à celle d’un vieillard, fâcheux, pleurnichard, laid et gâteux, sous prétexte que tel serait son désir.
Allons donc. Il est des alliances que l’on ne contracte jamais, sans se diminuer.
Et vous ne nous ferez jamais croire que c’est pour sauver le Syndicalisme que vous vous êtes trouvés d’accord avec ceux qui veulent l’étrangler, pas plus d’ailleurs que ce ne sont les circonstances qui vous y ont poussés. Vous saviez où vous alliez les uns et les autres, où alors, vous vous êtes menti réciproquement en vous trompant vous-mêmes.
Enfin l’orientation syndicale est déterminée par une formule mirifique, véritable argument massue. « La révolution n’est pas faite pour servir tel ou tel parti, pas plus que le syndicalisme, mais plutôt ce sont les organisations révolutionnaires qui doivent se mettre d’accord pour se servir de la révolution ». Puis, ceux qui ont découvert cela et qui, quoique se déclarant syndicalistes, pensent que le Syndicalisme ne peut même pas se suffire à lui-même, nous demandent de rechercher les éléments rrrévolutionnaires (?) qui nous manquent dans le bourbier politique.
Qui trouve-t-on dans ce lieu ?
Marat ! Danton ! Robespierre !
Oh ! pardon je me trompe, l’on trouve Cachin, Souvarine, Torrès etc., sans oublier certains défenseurs du Syndicalisme et du Socialisme de Guerre.
Il est vrai que si les hommes manquent même chez eux, nous connaissons maintenant les moyens :
Campagne électorale pour la période préparatoire, puis État prolétarien et dictature sur le prolétariat pour la période de réalisation ; ce sont les buts du Syndicalisme, dont la devise est bien, si je ne m’abuse : « Bien-Être et Liberté. »
L’État oppresseur, c’est le Bien-Être !
La dictature, c’est la Liberté !
Vous n’auriez jamais pensé à cela et bien sachez-le dorénavant, puisque des « lumières » nous l’ont fait connaître gratuitement en cette bonne ville de Saint-Étienne.
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Au point de vue international, la question a été tranchée à coups de sabre, c’est peut-être la raison qui fait que la C.G.T.U. est entraînée vers l’adhésion au pays de l’Armée Rouge.
Des révélations sensationnelles étaient attendues par les délégués, en faveur de l’I.S.R. qui, disait-on dans la coulisse, accorderait l’autonomie nationale si, du côté français, l’insistance se faisait pressante.
En fait de sensationnel, il n’y eut que le numéro de prestidigitation que composait le spectacle de l’arrivée et du départ de Dridzo.
Quant à son discours, rien que nous ne connaissions déjà, si ce n’est notre étonnement, de le voir jouer lourdement avec l’esprit dans ses essais d’ironiste.
Son langage approprié aux circonstances et au milieu, nous a été servi chaud, dans un « plat », pour ne pas dire une écuelle, opportuniste, que n’aurait pas désavoué Zinoviev lui-même, et il s’y connaît.
Il nous a dit des tas de choses, très intéressantes sur un ton musical, avec accompagnement de « Très bien, très bien » roucoulés en sourdine par la tribu des Beni-Oui-Oui.
Ce fut du plus bel effet !
Mais au fait, que nous a‑t-il dit ?
Rien ! Et c’est déjà beaucoup, puisque c’est une science particulière aux politiciens, que de parler longtemps pour ne rien dire.
Frossard nous l’avait démontré avant lui.
Au fond il ne reste que ceci, qui revenait comme un leitmotiv : « Adhérez à Moscou et vous serez considérés ».
Pour faire voir qu’ils ne restaient pas indifférents à cet appel, certains « vieux de la vieille » dans le mouvement révolutionnaire se trémoussaient comme des petites folles sur leur banc. N’est-ce pas, Chambelland ?
Deux autres délégués étrangers avaient fait le déplacement pour nous faire connaître la pensée des syndicalistes révolutionnaires de leurs pays.
Borghi était délégué par l’Union Syndicale Italienne et Diaz par la Confédération Nationale du Travail d’Espagne.
Leurs interventions furent différentes de celle de Dridzo, aussi bien dans l’expression et dans le geste que dans la conclusion. Connaissant la situation du prolétariat russe, victime de la dictature impitoyable des politiciens, ils se déclarèrent nettement contre l’adhésion à l’I.S.R. qu’ils considèrent connue une internationale syndicale réformiste au même titre qu’Amsterdam.
J’ai retenu surtout ceci, de ce qu’ils nous ont appris : c’est que les hommes de paille, dont se servent à chaque instant, pour influencer notre mouvement, nos adversaires sont de drôles de « zigotos ».
Jugez-en !
Vecchi, le farouche syndicalo-bolcheviste d’Italie, a attendu d’être « arrosé » — sans eau évidemment — copieusement par les fonds secrets de Moscou pour devenir ce qu’il est aujourd’hui ; avant cet « arrosage », il a fait de l’interventionnisme guerrier.
Quant au collaborateur de la V.O., le trop fameux Arlandis, il a fort bien joué un bien vilain rôle vis-à-vis de nos camarades d’Espagne.
N’a‑t-il pas profité des poursuites, des emprisonnements et des assassinats dont étaient victimes les syndicalistes révolutionnaires de son pays, pour les tromper en leur laissant croire qu’il allait à Moscou pour y défendre le communisme libertaire lié intimement au syndicalisme ?
Arrivé au pays des roubles, il a fait figure de domestique, en se faisant le champion d’un principe absolument opposé.
J’ai entendu dire qu’un acte comme celui qu’il a commis, ressemblait étrangement à une trahison.
Avouez avec moi, que nos adversaires n’ont vraiment pas la main heureuse, dans le choix de leurs amis !
Eh bien ! Malgré qu’ils aient appris ces choses, qui sont pourtant démonstratives et symboliques, les délégués par ordre se sont inclinés et ont voté avec les maîtres d’aussi tristes serviteurs.
À votre santé !
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Il ne fait de doute pour personne, qu’un Congrès de l’importance de celui de Sain-Étienne, attire l’attention du Prolétariat, qui attend impatiemment les décisions utiles qui peuvent en sortir.
Cette fois la classe ouvrière a été servie à souhait. Un programme d’action immédiate et future ayant manqué de voir le jour.
Quand je dis manqué, c’est parce que, paraît-il, le temps qui nous était accordé n’était pas suffisant.
Sans cela, vous auriez vu ce que vous auriez vu.
Ils ont une excuse. Pensez donc, qui allait arriver gagnant ou placé ? X, Y ou Z ?
Un programme d’action pour l’amélioration du sort des travailleurs, pour repousser l’offensive patronale, pour museler la réaction de plus en plus enragée, pour arrêter la répression et arracher nos emprisonnés, pour saper le régime capitaliste, et pour réaliser la transformation sociale.
Tout cela, viendra un jour ! Mais attendez un peu, ce n’est pas urgent.
Ce qui l’est davantage ? direz-vous.
Mais, accorder quatre années de fonctionnarisme, au lieu de deux : donner aux dits fonctionnaires une prépondérance indiscutable, par une composition habile des Comités Nationaux ; enterrer avec le respect dû à son rang, la décentralisation, le fédéralisme. En un mot, copier servilement les erreurs de l’autre maison, que nous démontrons avec vigueur pour en éviter le retour.
Nous sommes servis !
Un peu plus ils nous faisaient « encaisser » le premier direct de Moscou, qui consistait à faire appliquer ici la représentation proportionnée, qui assure à la centrale syndicalo-politique russe la majorité des voix sur toutes les autres centrales nationales réunies. Celui qui a défendu cette proposition, sera, nous l’espérons, récompensé par ses chefs. Son nom ? — Lauridan, dont le passé récent de syndical-majoritaire nous est un sûr garant de sa valeur révolutionnaire et néo-communiste.
Soyez donc bien tranquilles, camarades travailleurs, la défense des intérêts ouvriers est entre de bonnes mains.
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En face d’une telle situation, notre attitude doit être nette.
Déjà la minorité s’est affirmée.
Elle s’organise solidement clans le Comité de Défense Syndicaliste, qui n’est pas nouveau pour nous.
Apportons-lui notre activité et que celle-ci ne se démente pas, jusqu’au triomphe du syndicalisme, actuellement en danger.
Ne ménageons pas nos efforts, car il y va l’avenir du mouvement ouvrier.
Dressons-nous sans hésiter, contre les prétentions d’un Parti, qui osant se prévaloir du Communisme, le traîne dans la boue et l’ordure, puis veut, par-dessus le marché, tel un camelot, subordonner le syndicalisme.
Dans les syndicats, participons. à la bataille de toutes nos forces. En restant avec le Prolétariat, nous lui prouverons notre attachement et nous l’aiderons à se relever d’abord, ensuite à prendre la place qui lui revient : la première !
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