La Presse Anarchiste

La grève des transports à Berlin

(I.N.O.) ― La grève des trans­ports en com­mun de la région ber­li­noise écla­ta comme une bombe au milieu de l’ac­ti­vi­té tapa­geuse des par­tis pour les élec­tions au Reichs­tag, le 6 novembre. Le fonc­tion­ne­ment des tram­ways, du métro et des auto­bus se trou­va brus­que­ment suspendu.

Bien qu’il y ait eu pen­dant ces six der­niers mois de nom­breuses grèves de lutte contre le vol des salaires auto­ri­sé par les décrets-lois, aucune ne prit autant d’im­por­tance que la grève des trans­ports. En pre­mier lieu, la popu­la­tion tout entière d’une grande ville était tou­chée, cha­cun se ren­dait compte par sa propre expé­rience qu’il y avait grève. D’autre part, les jaunes ne pou­vaient pas tra­vailler à l’a­bri d’un bâti­ment fer­mé, ils étaient sou­mis au contact des masses et, par le déve­lop­pe­ment même de la grève, les piquets de grève trou­vèrent par­tout l’ap­pui et l’al­liance des chô­meurs. Il est cer­tain qu’au point de vue de l’a­gi­ta­tion, les forces syn­di­cales de la R.G.O. (Oppo­si­tion syn­di­cale rouge) et du N.S.D.A.P. (par­ti natio­nal-socia­liste) peuvent consi­dé­rer la grève comme leur œuvre com­mune ; mais il faut sur­tout la consi­dé­rer comme un mou­ve­ment spon­ta­né d’u­ni­fi­ca­tion de classe entre ouvriers de tous les par­tis et c’est par là qu’elle acquiert une impor­tance fondamentale.

La B.V.G. (Socié­té ber­li­noise de Trans­port en com­mun) avait essayé de faire subir à son per­son­nel une dimi­nu­tion de 20 pfen­nigs sur la base du der­nier décret-loi. À la suite de la tem­pête de pro­tes­ta­tions déchaî­née par ce pro­jet, la B.V.G. se ravi­sa et se conten­ta d’une dimi­nu­tion de 2 pfen­nigs par heure. Les syn­di­cats se décla­rèrent satis­faits, mais l’en­semble du per­son­nel était d’un autre avis. Le vote sur la décla­ra­tion de grève, auquel par­ti­ci­paient 20.000 ouvriers, don­na près de 15.000 oui. La bureau­cra­tie syn­di­cale n’é­cou­tant que sa fidé­li­té aux sta­tuts, pro­po­sa de conti­nuer les pour­par­lers avec la direc­tion, étant don­né qu’il n’y avait pas la majo­ri­té abso­lue des trois quarts des votants en faveur de la grève. Et le len­de­main elle se mit plus à cou­vert encore en évo­quant le res­pect et la force contrai­gnante déci­sive de l’arbitrage.

Le « Vor­waerts » (social-démo­crate) écri­vait au pre­mier jour de la grève, déclen­chée comme on l’a vu par un mou­ve­ment pro­fond de l’en­semble du per­son­nel : « Pas de majo­ri­té favo­rable à la grève dans la B.V.G. » « Opi­nion una­nime des chefs contre la grève. » Ces pas­sages montrent clai­re­ment jus­qu’à quel point la bureau­cra­tie syn­di­cale actuelle ignore et mécon­naît le véri­table état d’es­prit du pro­lé­ta­riat et se refuse à en tenir compte. L’ar­rêt com­plet des trans­ports a dû leur en apprendre long en cette matière. Les quelques ouvriers du B.V.G. qui se pré­sen­tèrent au tra­vail étaient pour une part de vieux employés redou­tant la perte de leurs pen­sions et autres menus pri­vi­lèges, et pour le reste des élé­ments mal­sains étran­gers à tout sen­ti­ment de classe. Mal­gré leur pré­sence, aucun ser­vice ne put être orga­ni­sé ; c’est seule­ment après deux jours que la socié­té réus­sit, sous la pro­tec­tion de la police tout entière, à éta­blir, quelques heures durant, un tra­fic de fortune.

Le fait le plus signi­fi­ca­tif de la grève est la par­ti­ci­pa­tion active des cel­lules natio­nal-socia­listes et des pro­lé­taires orga­ni­sés dans les « Sec­tions d’As­saut » hit­lé­riennes, au pre­mier rang du front de classe contre les bri­seurs de grève et la police. Aujourd’­hui, la « Mai­son Brune », (quar­tier géné­ral des nazis), désa­voue la par­ti­ci­pa­tion à la grève en des­ti­tuant et en excluant le res­pon­sable ber­li­nois des cel­lules d’u­sines hit­lé­riennes, mais il n’en reste pas moins que les pro­lé­taires éga­rés dans le par­ti natio­nal-socia­liste poussent à l’ac­tion, et ne sont pas dis­po­sés à se conten­ter tou­jours de phrases creuses et de dis­ci­pline militaire.

La fai­blesse prin­ci­pale de la grève fut sa limi­ta­tion à la B.V.G., alors qu’on aurait pu l’é­tendre à tous les ser­vices publics. Mais le pro­lé­ta­riat alle­mand ne s’oc­cu­pait alors que de lutte élec­to­rale, et, divi­sé contre lui-même dans les cadres bour­geois des par­tis, il a aban­don­né les ouvriers des trans­ports de Ber­lin qui défen­daient cepen­dant leur pain et le sien plus effec­ti­ve­ment que ne l’ont jamais fait aucun gou­ver­ne­ment ou frac­tion parlementaire.

La grève ber­li­noise des trans­ports démontre avec quelle, rapi­di­té d’im­por­tantes luttes éco­no­miques peuvent se trans­for­mer en luttes pour la rue, et prendre, en cas d’une durée pro­lon­gée et d’un élar­gis­se­ment consi­dé­rable, la valeur d’une bataille décisive.

La bureau­cra­tie syn­di­cale est sor­tie, une fois encore, vic­to­rieuse de cette grève ; c’est elle qui en a fixé le résul­tat dans des trac­ta­tions. Les ouvriers du trans­port des autres villes et des autres pro­fes­sions ne se sont pas suf­fi­sam­ment ren­du-compte que la défaite des ouvriers ber­li­nois du trans­port était éga­le­ment la leur. Deux mille gré­vistes n’ont pas été réin­té­grés, et sont allés gros­sir l’ar­mée de la misère. Encore deux mille vic­times de plus sacri­fiées aux aspi­ra­tions élec­to­ra­listes des par­tis et à l’ar­ri­visme des fonc­tion­naires syndicaux.

[/​(Inédit. Repro­duc­tion auto­ri­sée)/​]

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