La Presse Anarchiste

Noël ! Voici Noël !

Les hommes se sont de tout temps inté­res­sés au mou­ve­ment solaire et deux stades de ce mou­ve­ment les ont vive­ment frap­pés : le pre­mier est le sol­stice d’hi­ver, le second l’é­qui­noxe de prin­temps. Lors du sol­stice d’hi­ver le soleil, de plus en plus décrois­sant depuis de longs jours, semble reprendre vie. À par­tir de ce moment les jours s’al­longent. C’est à cette époque qu’est célé­brée la fête de Noël — la fête de la Nati­vi­té — dies nata­lis.

On connaît la thèse sou­te­nue par Dupuis dans son remar­quable ouvrage sur L’o­ri­gine de tous les cultes, paru en 1794, remar­quable par l’é­ru­di­tion et la docu­men­ta­tion qui l’emplissent. Notre auteur pré­ten­dait que Jésus — le dieu des chré­tiens — n’é­tait autre que le Soleil, comme l’é­taient Osi­ris, Her­cule, Bac­chus, etc. Les Égyp­tiens célé­braient au sol­stice d’hi­ver la nais­sance du dieu Soleil. Les Romains y avaient aus­si fixé leur grande fête du soleil nou­veau. Enfin la date de nais­sance de Mithra, le dieu soleil, la grande divi­ni­té des Perses était éga­le­ment fixée au 25 décembre.

« Ain­si Mithra ou Christ nais­saient le même jour et ce jour était celui de la nais­sance du Soleil. On disait de Mithra qu’il était le même dieu que le soleil ; et le Christ qu’il était la lumière qui éclaire tout homme qui vient au monde. On fai­sait naître Mithra dans une grotte, Bac­chus et Jupi­ter dans une autre et Christ dans une étable. C’est un paral­lèle qu’a fait Saint-Jus­tin lui-même. Ce fut, dit-on, dans une grotte que Christ repo­sait lorsque les Mages vinrent l’a­do­rer. Mais qui étaient les Mages ? Les ado­ra­teurs de Mithra ou du Soleil. Quels pré­sents apportent-ils au dieu nais­sant ? Trois sortes de pré­sents consa­crés au soleil par le culte des Arabes, des Chal­déens et des autres Orien­taux. Par qui sont-ils aver­tis de cette nais­sance ? Par l’as­tro­lo­gie, leur science favo­rite. Quels étaient leurs dogmes ? Ils cra­vatent, dit Char­din, à l’é­ter­ni­té du pre­mier être, qui est la lumière. Que sont-ils cen­sés faire dans cette fable ? Rem­plir le pre­mier devoir de leur reli­gion, qui leur ordon­nait d’a­do­rer le soleil nais­sant. Quel nom donnent les pro­phètes à Christ ? Celui d’O­rient. L’O­rient, disent-ils, est son nom. C’est à l’O­rient et non pas en Orient qu’ils voient dans les cieux son image. En effet, la sphère des Mages et des Chal­déens pei­gnait dans les cieux un jeune enfant (appe­lé Christ et Jésus.) Il était pla­cé dans les bras de la vierge céleste ou de la vierge des signes, celle-là même à qui Era­thos­tène donne le nom d’I­sis, mère d’Ho­rus. À quel point du ciel répon­dait cette vierge de sphère et son enfant ? À l’heure de minuit, le 25 décembre, à l’ins­tant même où l’on fait naître le dieu de l’an­née, le soleil nou­veau ou Christ, au bord de l’O­rien­tal, au point même où se levait le soleil du pre­mier jour [[Dupuis : Abré­gé de l’o­ri­gine de tous les cultes.]]

Année, mois et jour de nais­sance de Jésus res­tèrent incon­nus des pre­miers chré­tiens et cela durant trois siècles. L’É­van­gile de Marc (le plus ancien) n’y fait aucune allu­sion. Mathieu la place au moins quatre ans avant notre ère (puis­qu’elle aurait eu lieu sous Hérode qui mou­rut en l’an de Rome 750). Quant à Luc, elle date­rait d’un recen­se­ment qui eut lieu dix ans après ― et à une époque per­met­tant aux ber­gers de cou­cher aux champs avec leurs trou­peaux. Le même Luc attri­bue une tren­taine d’an­nées à Jésus, en l’an 15 de Tibère, le 20 de notre ère. Le calen­drier phi­lo­ca­lien, dres­sé à Rome en 330 four­nit la pre­mière preuve cer­taine qu’on célé­brait Noël le 25 décembre. Cette fête, d’a­bord exclu­si­ve­ment latine, fut intro­duite à Antioche vers 375 et à Alexan­drie vers 430 ; St Augus­tin constate qu’on la célèbre un peu par­tout, mais ne la classe point par­mi les grandes fêtes chré­tiennes. Et le calen­drier phi­lo­ca­lien, en iden­ti­fiant la nais­sance de Jésus avec celle de l’In­vin­cible « Nata­lis Invic­ti, Nais­sance de l’In­vin­cible », prouve qu’il s’a­git bien d’une fête de Mithra, le dieu Invin­cible des Perses.

On ne peut nier la res­sem­blance sin­gu­lière entre Mithra et le Verbe Éter­nel de l’é­van­gé­liste Jean. Comme lui, il se pré­sen­tait comme média­teur entre l’homme et le dieu suprême, vain­queur du mal et sau­veur des âmes. Son cler­gé rap­pe­lait celui des chré­tiens par sa hié­rar­chie comme par son goût pour le céli­bat ; sa morale ne le cédait en rien à celle de Jésus ; son culte com­por­tait un bap­tême, des jeûnes et des repas divins où l’on usait en com­mun de pain, d’eau et de vin consa­crés. Il ne pou­vait être ques­tion de pla­giat, puisque le mithria­cisme est bien anté­rieur au christianisme.

Comme le chris­tia­nisme, le culte de Mithra se répan­dit sur­tout par­mi les esclaves et les petites gens, bien qu’il ait comp­té par­mi ses adaptes des patri­ciens et même l’empereur Com­mode. Durant quelques siècles on ne put savoir qui l’emporterait de Jésus ou de Mite­ra. Ce ne fut qu’à par­tir du moment où les empe­reurs furent chré­tiens que le mithraïsme fut pros­crit. Cepen­dant, lasse d’une riva­li­té qui s’é­ter­ni­sait, inca­pable d’une vic­toire com­plète mal­gré la puis­sance qu’elle avait acquise, l’É­glise s’ap­pro­pria maints rites chers au dieu per­san et fit coïn­ci­der ses fêtes avec les siennes. C’est ain­si qu’i­den­ti­fiant en quelque sorte les deux per­son­nages, elle fixe la nais­sance de Jésus le jour même de la nais­sance de Mithra.

D’ailleurs, ce n’est plus seule­ment au mithraïsme que l’É­glise emprun­ta ses habi­tudes cultu­relles. À l’O­lympe, où trô­naient Jupi­ter et Junon, elle sub­sti­tua le ciel où règnent Jésus et Marie ; la foi­son de ses saints rem­pla­ça la kyrielle des héros et des dieux secon­daires. Dans bien des cas, toute la dif­fé­rence se bor­na à des chan­ge­ments de noms.

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