La Presse Anarchiste

L’organisation comme conséquence de la pratique

Pour­quoi ce débat s’est-il ouvert sur le pro­blème de l’or­ga­ni­sa­tion, aujourd’­hui ? Cer­tai­ne­ment pour beau­coup par un besoin d’é­lar­gir l’ho­ri­zon des pos­si­bi­li­tés d’in­for­ma­tion, d’aide et éven­tuel­le­ment de pra­tique com­mune. Parce que le capi­tal a tota­le­ment géné­ra­li­sé sa domi­na­tion de telle sorte que les pro­blèmes se posent à un niveau inter­na­tio­nal. Parce qu’aus­si il y a un ren­for­ce­ment crois­sant des pré­ro­ga­tives de l’É­tat moderne qui est dan­ge­reux pour toute émancipation. 

Mais c’est tou­jours pour ces bonnes rai­sons que s’est posé le pro­blème de « l’or­ga­ni­sa­tion » et il n’a jamais été réso­lu, mieux, il a tou­jours échoué. Alors pourquoi ? 

Parce qu’on a tou­jours mar­ché la tête en bas, on a pris le pro­blème à l’en­vers en posant l’or­ga­ni­sa­tion comme pré­misse et non comme consé­quence de la pratique. 

L’His­toire vient com­bler le vide. C’est 1917, 1936, l’Al­le­magne de 21. Se rat­ta­chant à l’é­poque des grands jours non vécus avec un répé­ti­tif qua­si-reli­gieux les « inquiets de l’or­ga­ni­sa­tion » extirpent les éplu­chures des pou­belles de l’his­toire pour s’en revê­tir : ils s’or­ga­nisent ! Et, de là, ima­ginent que décou­le­ra une pra­tique, pour peu que les méca­nismes soient bien rodés. C’est la démarche léni­niste avec tout ce qu’elle com­porte théo­ri­que­ment et pra­ti­que­ment : la révo­lu­tion est un pro­blème d’or­ga­ni­sa­tions révo­lu­tion­naires, il faut recru­ter (etc.). Chaque forme du pas­sé a ses ado­ra­teurs et tient lieu de pers­pec­tive (fédé­ra­lisme contre cen­tra­lisme, syn­di­cat contre par­ti, conseil ouvrier, etc.). 

Mais même ces orga­ni­sa­tions révo­lu­tion­naires du pas­sé étaient autant un pro­duit qu’un fac­teur de cette lutte ; leur vie n’é­tait pas que d’elle-même et elles vivaient de l’embrasement géné­ral. La force, l’exis­tence de ces regrou­pe­ments dont on ne per­çoit main­te­nant que la réduc­tion livresque, c’é­tait dans les com­munes, les villes, les usines ; des noyaux des pro­lé­taires qui face aux tâches immé­diates et concrètes s’é­taient don­né les capa­ci­tés d’a­gir contre les anciens rap­ports sociaux. À ce niveau de leur exis­tence jour­na­lière. Cela ne décou­lait pas d’une Orga­ni­sa­tion poli­tique préa­lable à la lutte réelle. Ou lorsque cela se fit (agis­sez ain­si !) ce fut une catas­trophe, cou­pées de ce mou­ve­ment réel, les orga­ni­sa­tions étaient comme le membre cou­pé du corps, accu­lées à mou­rir ou à être arti­fi­ciel­le­ment entre­te­nues, comme secte. L’his­toire nous apprend aus­si cette dia­lec­tique entre réflexion et pra­tique, la pra­tique et son orga­ni­sa­tion. Pour­quoi en serait-il autre­ment aujourd’­hui ? Et pré­ci­sé­ment la crise du gau­chisme moderne, en 1976, fût-il d’i­déo­lo­gie liber­taire, exprime bien le peu de réa­li­té de ce répé­ti­tif abs­trait, de cette cou­pure entre la vie réelle et la bonne volon­té abs­traite. L’o­ri­gine sociale de ce mou­ve­ment-là — essen­tiel­le­ment intel­lec­tuelle, lycéenne, uni­ver­si­taire — n’y est pas étran­ger. C’est la dés­in­car­na­tion et la « culture sub­ver­sive » qui tient lieu de réa­li­té sociale. 

La rai­son de l’é­chec per­ma­nent des ten­ta­tives de regrou­pe­ment est là : on n’or­ga­nise pas l’I­dée, mais la com­mu­nau­té de nos besoins mis en oeuvre. 

Ces besoins, cette révolte contre l’ordre exis­tant naissent, se repro­duisent quo­ti­dien­ne­ment en cha­cun. Ils peuvent mari­ner, tour­ner sur eux-mêmes ; et s’a­che­ver en bouilla­baisse exis­ten­tielle ; ils peuvent aus­si être mis en action, expri­més, être expri­més. Celui qui se pose alors, où il est, et avec cohé­rence la ques­tion de SA propre insou­mis­sion se pose­ra en même temps celle des moyens qui lui sont néces­saires aus­si natu­rel­le­ment que celui qui a faim se pose la ques­tion d’as­sou­vir celle-ci. C’est là que la ren­contre avec d’autres puise sa réa­li­té : dans une cri­tique du monde exis­tant qui, parce que déjà expri­mée, favo­rise la coïn­ci­dence d’in­té­rêts, d’as­pi­ra­tions com­munes. Cela peut se faire à par­tir de sa rue. de son immeuble, qui sait, avec cer­tai­ne­ment plus de réa­li­té qu’à par­tir de l’A­mé­rique latine. 

Alors et seule­ment alors il peut y avoir un inté­rêt quel­conque à ren­con­trer d’autres pro­lé­taires dont on sait qu’eux aus­si par­tagent des besoins de lutte, peuvent aider à la réso­lu­tion de telle ou telle dif­fi­cul­té. Il ne peut y avoir de ren­contre qu’intéressée. 

L’au­to­no­mie de cha­cun, sa propre prise en charge, est cer­tai­ne­ment dans ces condi­tions le meilleur moyen pour gra­vir les marches : parce que l’on sait déjà mar­cher, on ne para­ly­se­ra pas les autres. 

S’il y a aujourd’­hui encore UN pro­blème de l’or­ga­ni­sa­tion c’est parce que la réa­li­té a été inver­sée et la spé­ci­fi­ci­té d’une telle inter­ro­ga­tion est aber­rante. Ce que l’on devrait se poser, ce sur quoi on devrait s’in­for­mer c’est plu­tôt de l’exis­tence ou pas d’une pra­tique de lutte contre la sur­vie, ses ins­ti­tu­tions, les moyens que l’on se donne — ou pas — les pers­pec­tives que l’on y découvre. Les néces­si­tés de cha­cun. C’est donc un esprit de pro­po­si­tion, de créa­ti­vi­té sub­ver­sive, DONC leurs moyens de réa­li­sa­tion qui doivent, selon nous, être sus­ci­tés. La rela­tion entre nous ne peut être réelle que sur la base de ce genre d’ac­cord. L’a­bou­tis­se­ment posi­tif de celui-ci crée réel­le­ment un rap­port de confiance, d’in­té­rêt. de conti­nui­té. sans pour autant impli­quer qu’il soit sys­té­ma­tique, formalisé. 

Tel est selon nous le véri­table débat auquel nul dis­cours sur « l’or­ga­ni­sa­tion » en tant que pure idée, ne palliera.

Groupe « Impri­me­rie 34 ». 

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