Un anarchiste allemand, vieil ami des Temps Nouveaux, nous envoie l’article qu’on va lire.
Les événements révolutionnaires en Allemagne, du mois de mars 1920, sont en relation étroite avec ceux de novembre 1918.
Le 9 novembre éclatait une révolution, dont les succès (ébranlement de la monarchie et du militarisme, et établissement d’un régime démocratique parlementaire) sont moins la conséquence d’une énergie révolutionnaire et de buts révolutionnaires définis que d’une apathie et d’un mécontentement général dans toutes les classes (y compris les classes gouvernantes), et sont dus principalement à la perte de la guerre et à la misère causée par celle-ci. Les socialistes indépendants ont sûrement le mérite d’avoir donné le signal de cette révolution, mais vis-à-vis d’une apathie générale aussi de la part des travailleurs — leur force suffisait tout au plus à enregistrer — je n’ose pas dire diriger — la chute de l’arbre. Il apparaît aussi que dans des questions de théorie sociale et politique, ils ne diffèrent pas beaucoup des socialistes officiels, quoique on doive reconnaître que leur instinct dans des questions de tactique et leur tempérament sont beaucoup plus révolutionnaires. Les Bernstein, Kautzky, Ledebour, Strœbel, Cohn, Daumig, etc., étaient des marxistes et des démocrates, et il ne semble pas qu’ils aient modifié leurs théories. Ce qui était à la base des événements de novembre et se traduisait par le désarmement des soldats et des officiers — encore plus volontaire de la part des soldats que forcé — était une révolte impulsive contre le système militaire. Cette même révolte s’est reproduite en mars dernier. L’instinct des masses a bien reconnu leur ennemi le plus dangereux, lequel avait eu sous le régime social-démocrate du Reichswehrminister Noske, dont on connaît l’affinité avec le régime de Guillaume, une résurrection assez sérieuse.
Mais on a constaté, cette fois-ci, une grande différence avec les événements de novembre 1918. À ce moment-là, seule une petite minorité se montrait intéressée et active, tandis que cette fois-ci la lutte contre le « Putsch » des militaristes et monarchistes (Kapp, Luttwitz, etc.), a été un mouvement vraiment populaire. L’armement des travailleurs et leurs combats hardis contre le « Reichswehr », la grève générale — vraiment générale, car il ne s’agissait pas seulement de celle des ouvriers, mais aussi des employés de commerce, d’industrie et d’État, même jusque dans les classes supérieures de fonctionnaires —, les démonstrations imposantes dans l’Allemagne occupée, auxquelles prirent part, non seulement les travailleurs et les socialistes de toutes nuances, mais aussi les démocrates de parties considérables des classes bourgeoises, ont caractérisé le mouvement comme vraiment populaire et ont signifié un progrès énorme vis-à-vis de l’apathie de novembre 1918. Et ces faits donnent l’espoir que les militaristes de l’empire de Guillaume n’auront plus l’occasion de s’organiser et de s’installer comme sous le régime du Reichswehrminister Noske, cette incarnation de l’esprit autoritaire et jacobin, qui possède tout seul le secret de chaque évolution et ne peut pas faire la différence entre la fermentation nécessaire et le « désordre » que le jacobin doit supprimer par toits les moyens, la force militaire incluse. La faillite de la contre-révolution des Kapp, Luttwitz, etc., est la conséquence d’un esprit antimilitariste se développant de plus en plus malgré Noske, ou grâce à Noske, et du fait que sous le nouveau régime démocratique parlementaire (créé principalement sous l’influence des social-démocrates) les droits et les conditions de vie, non seulement des ouvriers, mais aussi des employés de commerce, d’industrie et d’État, ont obtenu des améliorations essentielles. Sans cela, la grève générale n’aurait pas pris des dimensions si imposantes.
Tout cela marque certainement un progrès, mais n’indique pas encore les germes d’une nouvelle organisation sociale. Il est vrai que le nouveau cabinet est formé, non seulement sous l’influence de organisations politiques, mais largement sous celle des syndicats. Mais comme ces organisations et leurs chefs sont — je crains — sans exception des adeptes du centralisme, de l’unité et de l’ordre à tout prix, on ne doit pas se faire des illusions trop grandes dans cette direction. On doit aussi admettre que la tâche qui incombe à la jeune révolution, c’est-à-dire changer un système centralisé à outrance, et qui a dirigé la vie, politique et économique du pays, et poser les fondations d’une société libertaire sous des conditions si difficiles et dans une débâcle économique parfaite, est énorme et n’est pas à résoudre sans compromis. Mais nos espérances pourraient être plus grandes, si des conceptions plus libertaires étaient répandues, si on ne croyait pas toujours à la nécessité d’un gouvernement centralisé, réglant la vie politique et économique, si on ne se méfiait pas du fédéralisme et si on avait appris à entrevoir dans la grande entreprise politique (même démocratique parlementaire) et économique (même socialisée) les possibilités de l’exploitation.
Cet esprit autoritaire se trouve même dans les cercles socialistes indépendants, « communistes » et « spartakistes ». Partout les conceptions concernant la socialisation de la vie politique sont très vagues et peut libertaires. Le militarisme et le régime des Hohenzollern parait être mort. Le progrès fait depuis novembre 1918 est considérable au point de vue négatif (destruction d’un appui principal