La Presse Anarchiste

Les conseils d’atelier sont-ils « condamnés » ?

Nous lisons dans le numé­ro du 3 cou­rant, de L’Atelier, un article inti­tu­lé de façon peu heu­reuse « Le Sovié­tisme en Ita­lie », et dont le sous-titre pré­tend que l’institution des Conseils ouvriers « semble condamnée ».

Il s’agit de la grève des métal­lur­gistes de Turin, qui a abou­ti à un échec désas­treux pour les ouvriers et a été menée et conduite par les délé­gués de « Conseil ouvriers » de fabriques, qui étaient aux mains des extré­mistes. De fait, le mou­ve­ment était ain­si diri­gé contre les orga­ni­sa­tions syn­di­cales et socia­listes cen­trales, du moins, entre­pris à l’insu de ces orga­ni­sa­tions, les­quelles n’ont été appe­lées à inter­ve­nir « qu’au moment de l’échec, et pour limi­ter les dégâts ».

Les condi­tions mêmes de ce conflit ont été dis­cu­tées au Congrès de la Fédé­ra­tion des métaux, qui a eu lieu à Gênes, à la fin du mois de mai. Et, comme le fait remar­quer le cama­rade L.-A. Tho­mas, dans L’Atelier, le repré­sen­tant de la Confe­de­ra­zione del Lavo­ro, Gino Bal­de­si, a dénon­cé (compte ren­du de L’Avanti) la tac­tique sui­vie et qui a mis à l’écart les orga­nismes cen­traux il a décla­ré « absurde » « l’idée de recon­naître à la masse le droit de déclen­cher spon­ta­né­ment un mou­ve­ment ouvrier ».

Nous n’insisterons pas sur cette appré­cia­tion per­son­nelle de Gino Bal­de­si, que nous qua­li­fie­rons d’« étrange » pour ne pas employer éga­le­ment le mot de « absurde ». Car, si « la masse » n’avait pas « le droit » de déclen­cher spon­ta­né­ment un mou­ve­ment ouvrier, qui donc aurait en der­nière ins­tance ce « droit ? » C’est pour­tant « la masse » qui peine dans les usines ; ce ne sont pas, dans la majeure par­tie des cas, les fonc­tion­naires syndicaux.

Mais le point essen­tiel est de savoir com­ment on a pu déduire des évé­ne­ments de Turin, que les Conseils d’ateliers « semblent condamnés ».

À notre avis, l’échec de la grève des métal­lur­gistes de Turin, ne prouve qu’une chose : Que les Conseils d’ateliers ou délé­gués d’usines, ne sont pas l’organisme dési­gné, de pré­fé­rence, pour mener uti­le­ment une grève. Voi­là tout !

Dans les grandes indus­tries et dans les centres indus­triels, les condi­tions de tra­vail sont à tel point géné­ra­li­sées que, dans tous les ate­liers et dans toutes les usines d’une ville, voire même d’un pays entier, se trouvent en vigueur les mêmes tarifs, les mêmes sti­pu­la­tions rela­tives aux heures de tra­vail, aux salaires, etc.

En outre, dans la lutte des salaires ce sont les syn­di­cats ouvriers qui ont l’expérience de bien­tôt un demi-siècle. C’est eux, les orga­ni­sa­tions de com­bat du pro­lé­ta­riat ! Si, donc, le per­son­nel d’une seule usine, ou de quelques usines d’une seule ville, s’efforce de déclen­cher un mou­ve­ment, en écar­tant les orga­ni­sa­tions syn­di­cales., c’est qu’il y a quelque chose qui cloche dans le mou­ve­ment ouvrier ; il doit y avoir frot­te­ment des inté­rêts, et conflit, et il faut dans ce cas en cher­cher les causes profondes.

Mais tout cela ne veut nul­le­ment dire que les Conseils ouvriers n’ont pas leur rai­son d’être dans les usines et les ateliers.

Ces Conseils sont des orga­nismes, non pas de com­bat, mais de pro­duc­tion. Ils doivent avoir pour rôle de sur­veiller sur place la pro­duc­tion de chaque entre­pre­neur capi­ta­liste, sa clien­tèle, ses débou­chés, la façon dont il obtient ses matières pre­mières, l’organisation spé­ciale du tra­vail. Les Conseils ouvriers doivent insis­ter à avoir leur délé­gué dans le Conseil d’administration de chaque entre­prise et récla­mer que le bilan ne soit éla­bo­ré et publié sans leur col­la­bo­ra­tion, etc., etc.

Dans cet ordre de faits, les Conseils ne sau­raient être rem­pla­cés par le Syn­di­cat ouvrier, ce der­nier n’étant pas orga­ni­sé pour inter­ve­nir direc­te­ment dans la production.

Les évé­ne­ments de Turin prouvent donc une fois de plus — ce que nous avons déjà pré­ten­du à maintes reprises — que Syn­di­cats ouvriers et Conseils d’ateliers devront s’entendre sur le rôle qui convient à cha­cun d’eux et devront le moins pos­sible, clans l’avenir, empié­ter les uns sur le domaine des autres. 

[/​Christian Cor­né­lis­sen./​]

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