On le sait : ceux qu’on appelle les « gauchistes », et qui comprennent les trotskistes, les maoïstes, les guevaristes, et même certains anarchistes armés de casques et de matraques pour assurer le service d’ordre dans les manifestations, annoncent à grands cris qu’ils veulent faire la révolution. La révolution violente et armée.
Que leurs effectifs ou leurs suiveurs croient à ces proclamations, cela s’explique : les violents ne réfléchissent pas beaucoup, en tout cas pas assez pour peser les chances qui sont de leur côté et celles qui sont du côté de l’adversaire. Mais que les Geismar, les Krivine, les Sartre tiennent ce langage, et fassent ces promesses, voilà qui nous oblige à conclure soit qu’ils sont beaucoup moins intelligents que nous ne supposons, soit qu’ils abusent d’une façon impardonnable de la candeur de ceux qui les suivent.
Pour faire une révolution, il faut exposer sa vie, sans tricher, accepter l’hypothèse de la mort. Et qui peut nier qu’il n’y a, aujourd’hui, dans un pays comme la France — ou l’Allemagne, l’Angleterre, les nations d’Europe du Nord, et même l’Italie — que quelques milliers d’hommes disposés au sacrifice ? Et que, contre ces quelques milliers d’hommes, les forces de l’État sont incomparablement mieux armées, organisées, ravitaillées, plus qu’elles ne le furent jamais quand il s’est agît d’une révolution ? Qui peut nier, aussi, qu’il y a, de l’autre côté de la barricade, au moins quelques milliers d’antirévolutionnaires disposés, eux aussi, à mourir pour empêcher le triomphe de ce qu’ils considèrent comme une calamité ?
Quiconque a quelques grammes de matière grise en état de bon fonctionnement ne se fait à ce sujet la moindre illusion. Nous l’avons déjà dit : juin 1848, la Commune, la Révolution hongroise, la république de Soviets de Bavière, et, plus près, la révolution espagnole, sont là, sans remonter plus loin dans l’histoire, pour nous prouver que ces proclamations ne sont qu’hystérie ou charlatanisme irresponsable. Il est comique de voir, souvent, des groupuscules dont l’action n’a pas plus d’effet sur la société qu’en aurait une piqûre d’épingle sur un mastodonte, parler très sérieusement de leur prochaine révolution avec la même certitude intransigeante que si la proportion des forces était exactement inversée.
Tout cela sont des choses que nous avons déjà dites, mais qu’hélas ! il faut répéter. Et nous voulons ajouter aujourd’hui des considérations qui nous sont suggérées par un camarade membre du P.S.U. Nous avons répondu à une lettre de ce camarade qu’au fond, les socialistes — les vrais, comme c’est son cas — devraient avoir le courage de renoncer à leur tactique traditionnelle, du parlementarisme, et du réformisme parlementaire ; tout comme les anarchistes devraient avoir le courage de renoncer à leurs conceptions de révolution armée ; que les uns et les autres devraient rompre avec ce qui s’est avéré inefficace ou contre-indiqué, et adopter une tactique de réalisations directes que nous montrent aujourd’hui plus de cinq cents coopératives de production en activité. Cela ne vaudrait-il pas mieux que de s’embourber de nouveau dans le Parlement ou de provoquer de nouveaux massacres de révolutionnaires pour la plus grande joie de nos ennemis communs ?