La Presse Anarchiste

Dans notre courrier

D’un cama­rade de Mont­réal (Cana­da) : (…) Je suis un de ceux qui croient que le pre­mier pas à fran­chir ici au Cana­da fran­çais c’est de mettre l’É­glise où les Fran­çais l’ont mise il y a long­temps… Je sais qu’elle prend beau­coup de moyens pour rega­gner le des­sus chez vous. Ici, elle a tou­jours été reine et maî­tresse… et c’est la géné­ra­tion qui pousse qui gronde.., les « jeunes intel­lec­tuels », disons. Ce sont eux qui essaient de secouer la tor­peur intel­lec­tuelle de notre peuple indif­fé­rent et amorphe.

Puisque vous vous inté­res­sez à la ques­tion ouvrière, etc., je vais vous le dire bien fran­che­ment tout de suite. Notre classe ouvrière n’existe pas. L’ou­vrier moyen ici est tout aus­si confor­table que je le suis ; et, beau­coup le sont bien plus que moi. Mais, – et je le regrette autant pour eux que pour nous tous – ce même groupe n’a qu’une pré­oc­cu­pa­tion : un confort maté­riel bien sou­vent gros­sier. On ne « pense » pas ; on n’é­tu­die pas ; on ne s’in­té­resse qu’aux jeux, à la gros­seur de la voi­ture, aux choses faciles, etc. Les ouvriers soi-disant « étran­gers » sont beau­coup plus conscients des pro­blèmes – les juifs, les immi­grants des divers pays d’Eu­rope depuis la fin de la der­nière guerre, etc. Encore une fois, l’É­glise, par l’en­tre­mise d’une foule d’a­gences, (J.E.C.M., J.A.C., etc.) conduit, et la foule suit. Le pre­mier mai est une grande fête reli­gieuse ouvrière ici, alors que les foules se rendent à l’O­ra­toire Saint-Joseph (une manu­fac­ture de miracles comme Fati­ma, Lourdes, etc.) et là, le car­di­nal Léger leur parle du grand ouvrier Saint-Joseph ! N’at­ten­dez pas la révo­lu­tion vous allez attendre long­temps. Le seul espoir que je voie est le réveil anti­clé­ri­cal. Si l’on peut faire ouvrir les yeux aux jeunes de ce côté-là, tout s’en sui­vra, car, une fois les yeux ouverts, les cer­veaux rece­vront les idées de toutes les cou­leurs… et le reste s’en sui­vra. Donc, à mon point de vue, c’est le pre­mier pas à faire ici. Nous en reparlerons. (…)

De notre cama­rade L.D. de San­tia­go du Chi­li : Le der­nier n° de « Noir et Rouge » m’a tout par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sé par deux études (…) celui sur le com­bat laïque dans l’en­sei­gne­ment et celui d’Y­von Bour­det sur le par­ti révo­lu­tion­naire et la spon­ta­néi­té des masses. Le pre­mier m’in­té­resse parce que j’ai assis­té à plu­sieurs séances de la Com­mis­sion pour la Défense de l’En­sei­gne­ment Public. Mal­heu­reu­se­ment les par­tis poli­tiques ont acca­pa­ré le mou­ve­ment qui est sur le point d’a­vor­ter. J’ai trou­vé dans votre article quelques idées qui peuvent être utiles pour orien­ter une cam­pagne d’o­pi­nion dans notre pays. (…)

Quant à l’ar­ticle de Bour­det il me semble que le débat par­ti-spon­ta­néi­té des masses (je n’aime pas ce mot, je le trouve péjo­ra­tif pour l’en­semble des tra­vailleurs) a été épui­sé par les théo­ri­ciens du Com­mu­nisme des Conseils : Gor­ter, Pan­ne­koek, Mat­tick, ce qui n’a­moin­drit pas l’ef­fort de Bourdet. (…)

D’un cama­rade étu­diant ayant par­ti­ci­pé à la mani­fes­ta­tion orga­ni­sée par l’U.N.E.F. le 3 février, à Paris, pour récla­mer de meilleures condi­tions de vie pour les étu­diants : 2 heures 10 Ras­sem­ble­ment rue Souf­flot : pre­mier inci­dent : les mino­ri­taires (de gauche) de la Facul­té de Droit déploient une ban­de­role « les mino­ri­taires (sont) pour l’U.N.E.F. ». Quelques types de la Cor­po­ra­tion de Droit, qui s’é­taient glis­sés dans le ser­vice d’ordre étu­diant (l’ap­pa­reil de la cor­po au pou­voir est fas­ci­sant et anti‑U.N.E.F.) arrivent et font de la pro­vo­ca­tion mais se retirent étant en trop petit nombre. – Dis­cours officiels.

Second inci­dent : de nom­breuses poi­gnées de tracts jetées en l’air retombent un peu par­tout : « Jeune Résis­tance » — « Insou­mis­sion » — « Mou­ve­ment Anti­co­lo­nia­liste Fran­çais ». La manif part vers le Boul’­Mich’ (5 000 envi­ron) ; les slo­gans pure­ment « syn­di­caux » sont sou­vent aban­don­nés pour des slo­gans plus « poli­tiques », ex : « Des cré­dits pour l’é­cole » deviennent « Des cré­dits, pas de canons », puis « Paix en Algé­rie, négo­cia­tion », etc. Un slo­gan très repris aus­si : « Les pro­los à la Fac (démo­cra­ti­sa­tion de l’U­ni­ver­si­té : elle doit aus­si deve­nir l’af­faire des ouvriers ; allo­ca­tions d’études).

La mani­fes­ta­tion arrive Place St Michel. 4 heures moins le quart (?). Quelques types du ser­vice d’ordre appellent à se dis­per­ser. Cer­tains types s’en vont. À ce moment d’autres étu­diants en groupe, dont cer­tains avaient même des bras­sards rouges (et non bleu-blanc-rouge comme le ser­vice “régu­lier”) se remettent à crier. Une grande par­tie de la mani­fes­ta­tion repart vers le Boul’ Mich’ et se met à le remon­ter, à le redes­cendre, etc.

Troi­sième inci­dent : accal­mie. Les types sont fati­gués, sur­viennent les “fachos” par une rue trans­ver­sale gueu­lant en chœur, bien grou­pés (comme tou­jours). Des gars qui com­men­çaient à se dis­per­ser reviennent. Dis­pa­ri­tion des fachos. Reprise de la pro­me­nade. Réap­pa­ri­tion des fachos sur l’ar­rière ; pro­fi­tant d’un flot­te­ment et d’une apho­nie par­tielle ils se ramènent en groupe, très vite, essaient d’en­fon­cer les rangs. Quelques-uns, sur­pris, reculent. Les types des der­niers rangs serrent et se remettent à crier : “Le fas­cisme ne pas­se­ra pas”. Pas mal de poings levés. Les fachos s’im­mo­bi­lisent. Les types de tête reviennent en cou­rant. Les pre­miers rangs se mettent à pous­ser les fachos ; brève ten­ta­tive de résis­tance de ceux-ci, ils cèdent et sont pour­sui­vis sur une cen­taine de mètres. Un peu plus loin un fas­ciste se fait cas­ser la figure, ses copains le laissent tom­ber. Il y a long­temps qu’on n’a­vait pas vu ça au Quar­tier Latin. Les flics, assez peu nom­breux, se contentent de suivre le mou­ve­ment en deman­dant de temps à autre la dis­per­sion. Elle aura lieu à 5 heures moins le quart.

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