Zazouteries
Nul ne peut mettre en doute la théorie de l’évolution qui est la seule, comme dit l’autre, qui puisse « frapper l’esprit sans heurter la raison ». En effet, si l’on plaçait l’homme des cavernes en face des problèmes que l’actuelle humanité doit résoudre, il est bien probable que, n’y comprenant rien, il laisserait tout tomber. À situation nouvelle doit correspondre un esprit nouveau, car l’homme de l’ère du machinisme ne peut raisonner en tous points comme on raisonnait au temps de la brouette.
Or, cet esprit nouveau est né. Comme toutes les belles choses, il a été en proie pour ses débuts aux quolibets et aux outrages, et cependant il s’impose, il s’implante parce que nul ne peut arrêter le progrès. Aujourd’hui encore, zazou est un terme de mépris, demain le zazou sera adulé et envié, car il a conquis ses titres de noblesse et les puissants l’ont adopté. Lorsqu’un déserteur, par exemple, vient prôner devant une salle monstre les beautés d’une armée solide, n’est-ce pas zazou ?
Et quant à la foule qui l’acclame, ne fait-elle pas zazou aussi ?
Quand les syndicats ouvriers demandent à leurs adhérents de sacrifier leurs vacances pour travailler et qu’ils mènent campagne en outre pour que les normes soient relevées afin d’abaisser les prix de revient, n’est-ce pas zazou ?
Qu’un ministre tout puissant s’écrie à longueur de journée que seule la production peut sauver la France et qu’il s’ingénie, maintenant que la guerre est finie, à faire fabriquer de vieux avions de combat du modèle 1939, n’est-ce pas zazou ? Qu’un ministre du Ravitaillement parte en Argentine négocier des achats de viande, qu’il nous rapporte un tas de promesses et qu’on fasse tintin pendant tout septembre, n’est-ce pas zazou ?
En vérité, l’esprit zazou c’est quelque chose d’indéfinissable, un peu comme un renversement des valeurs.
Où cela nous conduira-t-il ? On ne sait pas, mais faisons-leur confiance, car ils ne le savent pas non plus ; nous sommes donc logés à la même enseigne.
Et si l’esprit zazou est nouveau, du moins a‑t-il eu des précurseurs, témoin ce ministre qui déclarait que les Français avaient plus besoin de mitrailleuses que de robinets !
Pourtant, si tous les ayant droit recevaient leur douche froide, on a l’impression qu’en France il y aurait du travail pour les plombiers.
Impondérables
Il y a quelque temps le mot d’ordre était : « Produire d’abord… Revendiquer ensuite. » Inutile de dire que nous n’étions pas du tout d’accord. Ces temps-ci les grèves et menaces de grèves se multiplient, Est-ce indiscipline des ouvriers ? Y aurait-il de l’eau dans le gaz ? Ou serait-ce que les relations de plus en plus cordiales entre les partis ouvriers et le gouvernement auraient leur répercussion sur ces mouvements que l’on condamnait à l’époque de la lune de miel ?
Propagande
« Pour que nos enfants aient du lait cet hiver, pour qu’ils aient des chaussures, votez pour une assemblée souveraine ! » Vous avez certainement lu cette très intéressante affiche. Alors, à l’assemblée souveraine il n’y aura que des vaches et des savetiers ?
Émancipation féminine
Après le bulletin de vote, nos compagnes vont avoir la carte de tabac et une décade par mois. Que voilà des mesures… révolutionnaire, surtout qu’une décade, ça fait tout de même 250 millions qui rentrent dans la caisse.
Ces hommes, des traîtres ?
« Confirmant les campagnes de l’« Humanité », des renseignements ont été publiés hier. par notre confrère « Résistance » concernant l’activité fasciste à la frontière franco-espagnole. On a découvert que des tracts trotskistes et de la F.A.I. anarchiste ont passé en Espagne par les vallées d’Andorre. Il semble, déclare-t-on, que les responsables de ce trafic sont, comme de bien entendu, deux officiers de la D.G.E.R., qui font de fréquents aller et retour par-dessus la frontière. L’un de ces officiers, le capitaine Mansard, a déjà été démasqué par l’« Humanité ». Le 22 août dernier nous prouvions qu’il était en rapports étroits avec le chef d’un service d’espionnage franquiste, Lopez Moreno.
« À quand l’arrestation de ces agents secrets de la D.G.E.R. qui travaillent en liaison avec les fascistes espagnols et leurs complices trotskistes ? »
(« Huma » du 15 septembre 1945.)
Ainsi donc les camarades anarchistes espagnols qui périrent dans les combats pour la liberté étaient des fascistes ; les camarades anarchistes espagnols qui furent déportés en Allemagne nazie où ils moururent en masse dans les camps de la mort lente étaient des fascistes ; les hommes de Barcelone qui luttèrent pour la vraie révolution, sans que la sublime U.R.S.S. intervînt en leur faveur, étaient des fascistes ! La vérité est plus simple. Pour les communistes staliniens, tout ce qui n’est pas contrôlé par Moscou est hitlérien. Et que dire des travailleurs qui ne réagissent plus à la lecture de pareils entrefilets ?
Référendum
Tous les marchands de vent se battent au sujet du referendum, mais même parmi ceux qui sont « pour », il n’y en a pas un qui propose que lors du prochain casse-pipe, on en réfère d’abord aux ayant-droit parce qu’alors, là, comment qu’on s’en moque de la souveraineté du peuple !
Regrets
Pierre Benard, dans son article du dernier numéro du « Canard Enchaîné », « regrette » de n’avoir pas entendu la voix des pacifistes pendant l’occupation. Les pacifistes emprisonnés par Daladier, maintenus par Pétain dans les bagnes français qui ont nom Montluc, Vancia, Gurce, Laderie-Manzac « regrettent » que les cris d’agonie de ceux d’entre eux qui sont morts de misère ne soient pas parvenus aux oreilles de M. Benard, autrefois pacifiste et antimilitariste, aujourd’hui pitre à gages au service des puissants du jour.
Les fautes du ravitaillement
À la radio : « Par suite de la déficience des livraisons de viande, il sera distribué dans la région parisienne 500 grammes de pâtes. »
Dans les journaux : « Par suite de la déficience de livraison de viande, il sera distribué cette semaine 100 grammes de fromage gras par consommateur dans la région parisienne. »
Par suite du manque de numéraire, les contribuables seront autorisés à payer leurs impôts avec des nèfles.
Nationalisation
À l’usine Gnôme & Rhône, boulevard Kellermann, usine de cellules d’avions, près de 1.200 ouvriers viennent d’être licenciés. Soulignons que cette usine avait été nationalisée cette année, sur l’instigation de M. Tillon, ministre de l’Air, appartenant au grand parti de la Renaissance française.
Que doivent penser les 1.200 métallos mis sur le sable, des bienfaits de la nationalisation et des avantages d’avoir un camarade ministre ? À une certaine époque (sans Renaissance française), l’action de la section syndicale, au besoin appuyée par une petite grève de solidarité, eût permis d’éviter de pareils licenciements.
Paroles d’un sage
« On a mis « ordre » et « liberté » sur les boutons des uniformes de la garde nationale. La liberté est précisément le contraire de l’ordre : on a fait hurler les mots comme hurlent les choses. On a voulu mettre d’accord les deux chœurs qui peut-être ont tous deux raisons. Le second veut le gouvernement avec un principe, fatal, il est vrai, mais qui a l’avantage d’être un principe. Les amis de l’ordre n’ont pas de principe vital. On peut tout au nom du peuple, on ne peut rien au nom de l’ordre. Qu’est-ce que l’ordre ? Chacun l’entend à sa manière, l’ordre est une question éternellement à l’« ordre du jour », ce n’est que le maintien des intérêts. Les intérêts sont changeants, donc l’ordre change ; et le principe d’un gouvernement doit être éternel, immuable. »
« Par qui existez-vous ? Par le peuple ! Quel est votre devoir ? De veiller aux intérêts de vos commettants. Il n’y a plus de monarchie. Moi, fraction imposante du peuple, je souffre et je réclame ; qu’avez-vous à dire à cela, vous, mes intendants ? Le peuple est logique. Vous, gouvernement, vous êtes insensé d’accepter un pareil contrat, et vous ne tiendrez pas contre cette logique. »
Est-ce un libertaire qui parle ainsi ? Ne serait-ce pas Proudhon ou Kropotkine ? Non ! Ce n’est que M. Honoré de Balzac dans la « Revue Parisienne », en septembre 1840.
Ça revient
Dans « Combat » du vendredi 14 septembre,
« Grèves et mouvements sociaux. Lille, 12 septembre. — Les mineurs des fosses 2, 14 et 15 des mines de Lens, au nombre de 450, se sont mis en grève pour protester contre l’insuffisance du ravitaillement et contre l’augmentation de certains impôts.
« Cependant le mouvement a été nettement désavoué par le Syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, qui a invité les ouvriers à ne pas suivre les mots d’ordre du secrétaire Thévenot, exclu du syndicat pour indiscipline, et qui portera toute la responsabilité du mouvement déclenché. »
Le monde est maintenant renversé : c’est le syndicat qui s’oppose à une grève revendicatrice des ouvriers au nom du syndicalisme qui est, jusqu’à nouvel ordre, l’organisme de lutte des ouvriers pour leurs revendications contre leurs exploiteurs.
Il faudra sans doute, dans le dictionnaire, changer le sens du mot « syndicat ». À communiquer à l’Académie Française pour ses séances du jeudi.
Pas un mot à la reine-mère
On parle, sous le manteau, de scission au sein de la C.G.T. Quelle surprise pour nous qui croyions jusqu’ici à l’unité totale de la classe ouvrière sur le mot d’ordre de la production à outrance pour la « Renaissance française » ! Nous mettons en garde nos lecteurs sur l’origine de tels bruits. Certainement la 5e colonne !
Plus ça change…
Scandale au centre d’accueil de Dombasle, scandale au centre d’accueil de Saint-Quentin, scandale au centre d’entr’aide sociale de Lyon.
La IIIe République avait eu les scandales Wilson, Panama, la Snia Viscoza, Stavisky. La IIIbis ne manque pas de gueule pour ses débuts… et on ne sait pas tout.
L’appétit de l’ogre
Bien sûr, il y avait quelque chose qui n’allait pas dans ce dessin du bolchevik au couteau entre les dents. Péché de jeunesse. Et si un artiste voulait nous présenter le bolchevik 1945, il ne manquerait pas d’y joindre une fourchette, car, « grands dieux », quel appétit ! Les pays baltes, le Dodécanèse, les Balkans et tout et tout. Ah ! on sait se tenir à table… de conférences.
Celles qui la connaissent
Lors des dernières élections, une communauté des sœurs se rendit bien sagement à la section de vote et, au contentement des uns, mais à la stupeur des autres, les sœurs choisirent toutes un bulletin de l’Union Républicaine Patriotique Antifasciste, d’obédience communiste. Certains zigotos s’esclaffaient et affirmaient : « Qu’est-ce que vous voulez ? Elles n’y connaissent rien. » Seulement ce que les zigotos ne savaient pas, c’est qu’avant de quitter la communauté, la Mère supérieure avait donné à chacune des Sœurs Inférieures le bon, le vrai, le seul, l’unique bulletin à déposer dans l’urne, et bien entendu il n’avait aucun rapport avec celui de l’U.R.P.A.