La Presse Anarchiste

La conquête du pouvoir politique et les partis « ouvriers »

L’In­ter­na­tio­nale, avons-nous dit, a net­te­ment et à diverses reprises signi­fié que les réformes par­tielles sont dan­ge­reuses, et, par­tant de ce prin­cipe, elle a décla­ré que si le pro­lé­ta­riat doit com­plé­ter son « action » éco­no­mique par l’« action » poli­tique, il doit se gar­der du moins du par­le­men­ta­risme, c’est-à-dire de toute coopé­ra­tion aux lois dites ouvrières, ne consi­dé­rer les luttes élec­to­rales que comme un « moyen d’a­gi­ta­tion » et en subor­don­ner les inci­dents et les consé­quences au but suprême, qui est la des­truc­tion par la force du sys­tème éco­no­mique et social actuel. De ces décla­ra­tions, sanc­tion­nées par le refus de son conseil géné­ral (mar­xiste) d’ap­pré­cier le pro­gramme anar­chiste de cer­taines sec­tions adhé­rentes, on conclut que l’In­ter­na­tio­nale n’en­ten­dait par « action poli­tique » ni exclu­si­ve­ment ni même néces­sai­re­ment la prise de pos­ses­sion par les voies légales des assem­blées publiques. Cher­chons donc main­te­nant ce que disent à ce sujet les pro­grammes des diverses écoles socia­listes françaises.

i. – Par­ti ouvrier socia­liste révo­lu­tion­naire. – On sait que depuis la recons­ti­tu­tion (1876) du par­ti socia­liste jus­qu’au congrès de Châ­tel­le­rault, les deux écoles qui portent aujourd’­hui ce titre n’en for­mèrent qu’une seule. Les Consi­dé­rants défi­ni­tifs de cette école furent éta­blis en 1882, par le congrès de Saint-Étienne. En voi­ci le texte, emprun­té d’ailleurs presque tex­tuel­le­ment au pro­gramme de l’Internationale :

« Consi­dé­rant que l’é­man­ci­pa­tion des tra­vailleurs ne peut être l’œuvre que des tra­vailleurs eux-mêmes ; que les efforts des tra­vailleurs pour conqué­rir leur éman­ci­pa­tion ne doivent pas tendre à consti­tuer de nou­veaux pri­vi­lèges, mais à réa­li­ser pour tous l’é­ga­li­té, et par elle la véri­table liber­té ; que l’as­su­jet­tis­se­ment des tra­vailleurs aux déten­teurs du capi­tal est la source de toute ser­vi­tude, poli­tique, morale et maté­rielle ; que, pour cette rai­son, l’é­man­ci­pa­tion éco­no­mique des tra­vailleurs est le grand but auquel doit être subor­don­né tout mou­ve­ment poli­tique ; que l’é­man­ci­pa­tion des tra­vailleurs n’est pas un pro­blème sim­ple­ment local ou natio­nal, qu’au contraire ce pro­blème inté­resse les tra­vailleurs de toutes les nations dites civi­li­sées, sa solu­tion étant néces­sai­re­ment subor­don­née à leur concours théo­rique et pratique ;

« Pour ces rai­sons, le Par­ti ouvrier socia­liste révo­lu­tion­naire fran­çais déclare : 1° que le but final qu’il pour­suit est l’é­man­ci­pa­tion com­plète de tous les êtres humains, sans dis­tinc­tion de sexe, de race et de natio­na­li­té ; 2° que cette éman­ci­pa­tion ne sera en bonne voie de réa­li­sa­tion que lorsque, par la socia­li­sa­tion des moyens de pro­duire, on s’a­che­mi­ne­ra vers une socié­té com­mu­niste dans laquelle « cha­cun, don­nant selon ses forces, rece­vra sui­vant ses besoins »  3° que, pour mar­cher dans cette voie, il est néces­saire de main­te­nir, par le fait his­to­rique de la dis­tinc­tion des classes, un par­ti poli­tique dis­tinct en face des diverses nuances des par­tis poli­tiques bour­geois ; 4° que cette éman­ci­pa­tion ne peut sor­tir que de l’ac­tion révo­lu­tion­naire, et qu’il y a lieu de pour­suivre comme moyen (ces deux mots sont sou­li­gnés dans le texte) la conquête des pou­voirs publics dans la com­mune, le dépar­te­ment et l’État. »

Tel est le pro­gramme ini­tial des deux frac­tions poli­tiques qui consti­tuèrent pen­dant cinq ans la Fédé­ra­tion du Centre. Un expo­sé de la dis­cus­sion qu’il sou­le­va en explique sur­abon­dam­ment les para­graphes rela­tifs à l’ac­tion électorale.

Sauf quelques rares excep­tions, les groupes poli­tiques et les orga­ni­sa­tions cor­po­ra­tives repré­sen­tés au congrès tinrent a décla­rer que, l’ac­tion élec­to­rale étant saurs valeur, l’emploi n’en devait être fait que déga­gé de toute pré­oc­cu­pa­tion de suc­cès. Les groupes de Saint-Raphaël, de Beau­caire, d’Arles et d’Al­bi, par la bouche de Mme Paule Mink, spé­ci­fièrent « qu’ils accep­taient la par­ti­ci­pa­tion aux luttes élec­to­rales comme moyen d’a­gi­ta­tion et de pré­pa­ra­tion révo­lu­tion­naire et non comme solu­tion de la ques­tion sociale, qui ne peut être réso­lue que par une trans­for­ma­tion abso­lue de l’ordre de choses exis­tant ; par consé­quent, ajou­tèrent-ils, et ceci donne au mot moyen toute sa signi­fi­ca­tion, les can­di­dats devront avoir un pro­gramme entiè­re­ment, socia­liste révo­lu­tion­naire et se moins pré­oc­cu­per d’être élus que d’af­fir­mer les prin­cipes. Une décla­ra­tion sem­blable fut faite au nom des groupes de Tou­lon, Mon­té­li­mar, Cuers, Mont­pel­lier, par le citoyen Negro. – Les groupes de Paris, de Châ­tel­le­rault, de Brest (ces der­niers repré­sen­tés par M. John Labus­quière) ne consi­dé­raient la conquête des pou­voirs poli­tiques que « comme moyen de démo­lir la socié­té actuelle pour la rem­pla­cer par la socié­té com­mu­niste, la seule qui soit juste et équi­table ». Le Cercle biblio­phile des ouvriers de Rouen, « quoique anar­chiste, accep­tait la can­di­da­ture ouvrière comme moyen de pro­pa­gande jus­qu’au jour du triomphe de l’a­nar­chie » ; les tailleurs d’ha­bits de Paris, « comme moyen d’ac­ti­ver la révo­lu­tion sociale ».

Nous pour­rions mul­ti­plier ces exemples. L’ac­cord par­fait des délé­gués sur la ques­tion déter­mi­na le vote una­nime de la réso­lu­tion suivante :

« Consi­dé­rant que les rap­ports sont una­nimes à ne regar­der l’ac­tion du vote que comme un moyen de pro­pa­gande ayant pour but d’or­ga­ni­ser l’ar­mée révo­lu­tion­naire et de rap­pro­cher l’é­chéance fatale, le Congrès décide que l’en­trée dans les corps élus n’au­ra jamais pour objec­tif d’exer­cer un par­le­men­ta­risme quel­conque, mais bien au contraire de faire à la bour­geoi­sie de constantes mises en demeure. Comme, alors même qu’une majo­ri­té ou une forte mino­ri­té serait acquise, il est impos­sible d’ad­mettre qu’elle puisse ame­ner les grandes réformes que réclame le pro­lé­ta­riat, il ne faut consi­dé­rer les fonc­tions légis­la­tives ou muni­ci­pales qu’au point de vue de la pro­pa­gande révolutionnaire. »

Enfin, les délé­gués, esti­mant à leur juste valeur les « mises en demeure » que devaient. faire les élus, ado­ptèrent la réso­lu­tion addi­tion­nelle sui­vante, que (qui le croi­rait ?) à M Fer­roul, repré­sen­tant du Cercle de la Mon­tagne, de Narbonne :

« Atten­du que les mises en demeure qui pour­ront être faites à la bour­geoi­sie au nom du Par­ti ouvrier socia­liste révo­lu­tion­naire n’ont pas plus de chances d’a­bou­tir à l’a­ve­nir qu’elles n’ont abou­ti dans le pas­sé ; que ces mises en demeure ne peuvent que pro­vo­quer des mesures coer­ci­tives contre les­quelles le Par­ti devra réagir ; que le Par­ti reste désar­mé devant la coa­li­tion bour­geoise, le Congrès socia­liste ouvrier de Saint-Étienne invite le Par­ti à orga­ni­ser l’ac­tion révolutionnaire. »

L’o­pi­nion en matière élec­to­rale de la frac­tion dite, on ne sait trop pour­quoi, pos­si­bi­liste, puisque quelques-uns de ses membres seule­ment méri­taient l’é­pi­thète, cette opi­nion était donc bien nette. Mais, au cours des débats, un cer­tain nombre de délé­gués lui don­nèrent une pré­ci­sion plus exacte encore.

« Nous sommes, dit M. Roua­net., un par­ti anar­chiste, anti-éta­tiste. » – « Il est, dit, M. Brousse, un des pro­jets de Consi­dé­rants sou­mis au Congrès qui ne peut être accep­té : c’est celui qui ren­ferme les consi­dé­rants du pro­gramme dit mini­mum. Ces consi­dé­rants sont col­lec­ti­vistes, et encore d’une cer­taine école col­lec­ti­viste. » – « L’es­sai loyal du suf­frage uni­ver­sel, décla­ra M. Fer­roul, a été fait en beau­coup d’en­droits, à Nar­bonne entre autres, où le can­di­dat révo­lu­tion­naire socia­liste a obte­nu plus de 8000 voix, et cet essai a prou­vé l’in­suf­fi­sance de ce moyen de lutte. D’a­bord, rien ne garan­tit la liber­té du vote, et rien ne peut la garan­tir : on a vu la spo­lia­tion des votes et de la liber­té des élec­teurs se pra­ti­quer sur une vaste échelle par le gou­ver­ne­ment, par l’ad­mi­nis­tra­tion, par les dépu­tés, par les chefs d’in­dus­trie, qui pra­ti­quaient qui l’in­ti­mi­da­tion, qui d’autres moyens aus­si odieux ; l’é­ga­li­té sociale de tous les citoyens pour­rait seule garan­tir la liber­té du vote, et cette éga­li­té n’existe pas et n’exis­te­ra pas tant que la révo­lu­tion sociale ne sera pas faite.

« L’o­ra­teur sup­pose les conseils et les assem­blées natio­nales tout pleins de délé­gués socia­listes et déclare que, même dans ce cas, la ques­tion sociale ne serait point réso­lue, car, dit-il, il fau­drait employer des moyens révo­lu­tion­naires qua­li­fiés illé­gaux, et ces moyens révo­lu­tion­naires empor­te­raient tout d’a­bord la dis­pa­ri­tion des assem­blées qui seraient dési­reuses de les appliquer.

« Il pro­po­sa de ne rete­nir des réso­lu­tions du congrès du Havre (1880) que l’ac­tion révo­lu­tion­naire. Il recon­naît le Congrès sou­ve­rain et libre de choi­sir le mode de lutte qu’il croi­ra le meilleur et le plus capable de lui don­ner la vic­toire défi­ni­tive. Quant à lui, délé­gué de Nar­bonne, il se déclare anar­chiste, c’est-à-dire com­mu­niste libertaire. »

De telles décla­ra­tions expliquent sur­abon­dam­ment le grand nombre de groupes anar­chistes que comp­tait le Par­ti ouvrier et dis­pensent de plus amples com­men­taires. Pas­sons donc sans tar­der au

ii. – Par­ti ouvrier fran­çais (mar­xiste). – On sait que les membres de ce par­ti quit­tèrent le congrès de Saint-Étienne au nombre de 23, et allèrent ouvrir à Roanne un congrès par­ti­cu­lier. Par­mi ces 23, se trou­vaient Dereure, Dor­moy, Far­jat, Fre­jac, Fouilland, Guesde et Lafargue. De ceux qui appar­te­nant alors à la frac­tion pos­si­bi­liste, devaient plus tard rejoindre les dis­si­dents et gros­sir l’é­tat-major gues­diste, deux étaient res­tés au congrès de Saint-Étienne : l’un, Pédron, de Troyes, déjà indé­cis sur la direc­tion à prendre ; l’autre, Fer­roul, mani­fes­tant publi­que­ment (26 sep­tembre) l’a­vis que le départ des Guesde, des Lafargue et de leurs amis « ren­dait un grand ser­vice au Par­ti ouvrier ». Le congrès de Roanne éla­bo­ra à son tour un pro­gramme, qu’un de ses auteurs, Jean Dor­moy, en une bro­chure qui date de 1883, com­mente ainsi :

« Au congrès col­lec­ti­viste de Mar­seille (1879), une nou­velle tac­tique appa­raît. L’action élec­to­rale est affir­mée à nou­veau comme une néces­si­té… Mais ce n’est plus dans l’es­pé­rance d’é­man­ci­per le tra­vail avec des moyens par­le­men­taires, mais pour consti­tuer le pro­lé­ta­riat en un par­ti de lutte et pré­pa­rer ain­si une armée pour la révo­lu­tion décla­rée inévi­table. Il s’a­gis­sait de trans­por­ter sur le ter­rain poli­tique l’an­ta­go­nisme des classes qui existe sur le ter­rain éco­no­mique, de sépa­rer à l’aide du bul­le­tin de vote les sala­riés des sala­riants afin de les oppo­ser les uns aux autres et de les faire se heurter. »

Une par­tie de ce pro­gramme éla­bo­rée en 1880 par le congrès régio­nal de Paris disait : « … Tout en se ser­vant des moyens légaux, le pro­lé­ta­riat ne pour­ra arri­ver à son éman­ci­pa­tion par la voie paci­fique, et la révo­lu­tion sociale par la force reste la seule solu­tion défi­ni­tive pos­sible ; 5. L’in­ter­ven­tion poli­tique sera subor­don­née au mou­ve­ment socia­liste et ne lui ser­vi­ra que de moyen ; 6. Tout en se mêlant aux luttes des dif­fé­rentes frac­tions de la bour­geoi­sie, pour les com­battre indis­tinc­te­ment, le pro­lé­ta­riat pour­sui­vra son orga­ni­sa­tion dis­tincte… » Ce fut cette par­tie que reprit et confir­ma le congrès gues­diste de Roanne en le fai­sant pré­cé­der des obser­va­tions suivantes :

« Appe­lé par son ordre du jour à s’oc­cu­per du pro­gramme du Par­ti, le Congrès natio­nal de Roanne a confir­mé les déci­sions des congrès de Mar­seille et du Havre rela­ti­ve­ment à la néces­si­té de l’ac­tion élec­to­rale, mais uni­que­ment comme moyen de pro­pa­gande, d’or­ga­ni­sa­tion et de lutte. Repous­sant comme une tra­hi­son l’i­dée seule de par­le­mean­ta­ri­ser le Par­ti ouvrier et de faire dépendre le salut du pro­lé­ta­riat de la conquête paci­fique et gra­duelle du pou­voir muni­ci­pal ou légis­la­tif, le Congrès main­tient que pour l’ex­pro­pria­tion de la classe capi­ta­liste, qui est notre but, il n’y a qu’un moyen : – l’ac­tion révolutionnaire. »

Pas plus, donc, pour les col­lec­ti­vistes gues­distes que pour les pos­si­bi­listes, l’ac­tion par­le­men­taire ne pou­vait être un moyen d’é­man­ci­pa­tion. Mais qu’en­ten­daient-ils alors par « conquête du pou­voir poli­tique » ? À cette ques­tion, réso­lue déjà dans le sens anti-éta­tiste par les membres du congrès de Saint-Étienne, voi­ci com­ment répond Dor­moy, un des lea­ders du congrès de Roanne : « Par conquête de l’État, nous n’en­ten­dons pas la conser­va­tion mais la des­truc­tion de l’État bour­geois et la consti­tu­tion d’un pou­voir révo­lu­tion­naire jus­qu’à l’ex­pro­pria­tion éco­no­mique com­plète de la classe capi­ta­liste. »

Voi­là qui est par­lé net. Entre les anar­chistes et les col­lec­ti­vistes, tous convain­cus de la néces­si­té, ou plu­tôt de la fata­li­té d’une révo­lu­tion vio­lente, il n’y avait qu’un débat : la durée de l’é­tat de révo­lu­tion, c’est-à-dire l’u­ti­li­té ou l’i­nu­ti­li­té d’une dic­ta­ture révo­lu­tion­naire jus­qu’à des­truc­tion par­faite du sys­tème poli­tique et social.

Cer­taines pro­po­si­tions, d’ailleurs, pré­cé­dem­ment sou­mises au congrès régio­nal de la Fédé­ra­tion du Centre (Paris, 1880), et repro­duites dans la bro­chure de Dor­moy, confirment cette inter­pré­ta­tion. « Les groupes révo­lu­tion­naires, dit une pro­po­si­tion du groupe l’Égalité (gues­diste), ne se dif­fé­ren­cient que sur des ques­tions d’ordre secon­daire, dont nous allons pas­ser quelques-unes en revue :

« Ques­tion élec­to­rale. – Cer­tains prêchent l’abs­ten­tion abso­lue… Les meneurs pos­si­bi­listes ne voient dans les élec­tions que la tim­bale à décro­cher… Nous pro­fi­tons, nous, des périodes élec­to­rales pour pro­pa­ger les idées expro­pria­trices… Notre but n’est pas de fabri­quer des élus, mais des socia­listes révolutionnaires.

« Action indi­vi­duelle, action col­lec­tive. – Des révo­lu­tion­naires croient hâter l’heure de la révo­lu­tion par des actes indi­vi­duels… Bien que notre admi­nis­tra­tion soit acquise à des actes indi­vi­duels…, cepen­dant, nous ne conseillons pas les actes de pro­pa­gande par le fait…

« Ces ques­tions sont pour nous secon­daires, et loin de deman­der qu’on les écarte, nous croyons qu’elles doivent conti­nuer à nous dif­fé­ren­cier. Si les diver­gences entre les groupes se bor­naient à n’être que théo­riques et de tac­tique…, il fau­drait se réjouir de ces diver­gences qui attestent l’in­dé­pen­dance des groupes, cher­chant à faire triom­pher ce qu’ils pensent être le vrai et l’utile…

« En consé­quence, le Congrès régio­nal du Centre déclare que… c’est sur l’ap­pro­pria­tion col­lec­tive ou sociale à réa­li­ser de haute lutte que doit se faire l’u­nion révo­lu­tion­naire du pro­lé­ta­riat. Consi­dé­rant, d’autre part, que, sur les moyens à employer pour arri­ver à cette socia­li­sa­tion…, de graves diver­gences se sont mani­fes­tées, les uns croyant devoir user de toutes les armes… pour orga­ni­ser la classe ouvrière en par­ti de com­bat, pen­dant que les autres élèvent l’abs­ten­tion élec­to­rale à la hau­teur d’un prin­cipe…, le Congrès, tout en res­tant per­sua­dé que l’ex­pro­pria­tion poli­tique de la bour­geoi­sie devra pré­cé­der son expro­pria­tion éco­no­mique, est d’a­vis de lais­ser aux dif­fé­rents grou­pe­ments révo­lu­tion­naires la liber­té la plus abso­lue en matière de pro­pa­gande et d’action.

« Ce que le Congrès juge indis­pen­sable, en revanche, et ce qu’il ose attendre de tous les grou­pe­ments sérieu­se­ment révo­lu­tion­naires, c’est qu’ils ne fassent pas, comme les pre­miers pos­si­bi­listes venus, le jeu de l’en­ne­mi com­mun en se calom­niant réci­pro­que­ment, et qu’ils suivent en cela l’exemple des groupes blan­quistes qui… ne se sont jamais mis en tra­vers de l’ac­tion de per­sonne et celui de la Fédé­ra­tion du Centre qui… refu­sait, il n’y a que quelques mois, de jeter par-des­sus bord les anar­chistes frap­pés à Mont­ceau et à Lyon.

« Divi­sés comme nous le sommes sur la façon la meilleure et la plus prompte de ren­ver­ser l’ordre capi­ta­liste, nous pou­vons et nous devons nous ren­con­trer et nous heur­ter dans nos cam­pagnes contra­dic­toires ; mais cette concur­rence, même pous­sée jus­qu’à l’an­ta­go­nisme, loin d’être un élé­ment de fai­blesse, est, en même temps qu’un signe, une cause de force, si nous savons nous éle­ver au res­pect mutuel nécessaire. »

Arrê­tons là cette évo­ca­tion d’an­tiques prin­cipes. Le temps a mar­ché, dira-t-on, et qui peut déci­der si ce sont les hommes ou les choses qui ont évo­lué ? Mais cette ques­tion en déter­mine une autre, dont la réponse ne sau­rait être dou­teuse : Le suf­frage uni­ver­sel et les condi­tions où il s’exerce sont-ils dif­fé­rents aujourd’­hui de ce qu’ils étaient il y a quinze ans ? – Si, d’ailleurs, nous ne devions évi­ter d’a­bu­ser des Temps Nou­veaux, nous mon­tre­rions, par une cita­tion de la bro­chure-pro­gramme qui est régle­men­tai­re­ment remise à tout groupe adhé­rent au par­ti gues­diste (p. 49), ce que pensent aujourd’­hui encore MM. Guesde et Lafargue des huit heures, du pro­gramme muni­ci­pal, et autres réformes du même genre. Le mal­heur est que la masse ne lit point les pro­grammes, même ceux qu’elle accepte ; elle se contente de suivre aveu­glé­ment la voie où marchent les chefs qu’elle s’est don­nés. Nous dirons bien­tôt pour­quoi ces chefs ont modi­fié leur opi­nion ori­gi­nelle et pour­quoi le pro­lé­ta­riat doit se gar­der de les imiter.

[/​Fernand Pel­lou­tier/​]

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