Carmaux. – Combien instructifs pour la classe ouvrière sont les événements qui se succèdent à Carmaux ! Ainsi que la dernière grève des mineurs de cette localité, le mouvement actuel, qu’on ne peut appeler, une grève, puisque, cette fois, c’est le capital qui ferme la porte au nez du travail, a pour seul mobile la solidarité. Il ne s’agit pas ici d’une demande d’augmentation de salaires et les plumitifs larbins du capital sont fort en peine de taxer les travailleurs d’exigence outrée. Non, le terrain sur lequel s’est engagée la lutte est autrement meilleur. La bande de fainéants qu’entretiennent du produit de leur labeur les verriers de Carmaux, sont sortis de la réserve que leur imposait pourtant leur situation de pique-assiette, pour intervenir dans une question qui ne touchait en rien au travail qu’ils font effectuer à leur profit. Parce qu’il a plu aux ouvriers de là-bas de ne choisir, pour s’occuper de leurs intérêts, aucun de ces animaux domestiques qu’ils gavent, à leurs frais, ceux-ci se sont rebiffés et ont arraché le pain de la bouche aux deux honnêtes gens que leurs camarades avaient investis de leur confiance. Singulière levée de boucliers. C’est la révolte des porcs à l’engrais !
Forts de leurs droits, les verriers ont déclaré ne pas séparer leur cause de celle de leurs camarades. Dès lors, le chef des entretenus, le Rességuier a fermé boutique, déclarant le travail suspendu jusqu’à nouvel ordre. Cette conduite, qui avait paru dès l’abord bizarre, vient d’avoir son explication.
Jadis, un groupe d’oisifs, estimant que les revenus de leurs capitaux ne leur procuraient pas assez de jouissances, imaginèrent d’attirer en ce pays malsain un assez grand nombre d’esclaves dont le travail leur permit de mener la vie à plus grandes guides. Comme des bateleurs qui promettent aux badauds monts et merveilles pour l’autre côté de la toile devant laquelle ils paradent, ils offrirent des salaires relativement plus élevés qu’ailleurs et que devaient accroître encore des primes particulières.
Le boniment. fit bon effet et les esclaves accoururent. Maintenant que l’affaire est lancée, ils songent à revenir sur leurs promesses et à ramener les tarifs aux taux des autres verreries dans lesquelles les conditions du travail sont autrement moins pénibles. Le prétexte de cette élection fut choisi et après avoir imposé à ceux qui les nourrissent quelques jours de jeûne forcé, ces messieurs font savoir par l’organe de leur Rességuier avec la morgue de Tartuffe s’écriant, au dernier acte :
La maison est à moi, c’est à vous d’en sortir…
que le travail va reprendre avec une baisse de salaire considérable et que les « meneurs » de la grève ne seraient pas réintégrés. Toutes ces canailleries avaient donc pour but une diminution de salaires. Jamais la cupidité ne s’étala avec autant de cynisme.
De tels procédés ont soulevé l’indignation générale et tout fait pressentir que les verriers de Carmaux ne manqueront pas de secours et qu’ils pourront sortir vainqueurs de cette lutte. Car, de tous côtés, les groupements corporatifs ont promis leur appui. Il est à remarquer que, plus que les autres, les grèves suscitées par la solidarité ont une réussite plus certaine que celles qui ont pour motif une augmentation de salaires.
Que les travailleurs tirent donc de ces faits l’enseignement qui en découle. Qu’ils voient quel levier puissant est l’esprit de solidarité ; qu’ils sachent le développer chez eux, dans et entre leurs groupements, qu’ils comprennent que c’est là la meilleure arme pour lutter contre un ennemi puissant, que c’est par elle qu’ils pourront réaliser la grève générale qui seule pourra les affranchir du capitalisme et briser le joug écrasant qui pèse sur eux de tout le poids de l’inconscience dans laquelle ils se trouvent des causes de leur misère. La puissance du capitalisme est une toile d’araignée au travers de laquelle il suffit de passer pour l’anéantir.
Chalon-sur-Saône. – Notre camarade Sébastien Faure a fait dans cette ville deux conférences dans lesquelles il a exposé les idées libertaires. Au cours de la première de ces conférences, un certain tumulte s’est produit quand les contradicteurs de notre ami ont parlé. Nous avons déjà eu l’occasion de dire ce que nous pensions de cette façon d’entendre la libre discussion, nous n’y reviendrons pas.
Nous voulons seulement signaler l’attitude odieuse de la presse locale et notamment du Progrès de Saône-et-Loire, qui semble rédigé par les agents des brigades politiques. Dans le Progrès, un certain « Chat » – évidente abréviation de chacal après avoir insinué que Faure était en relations suivies avec Vaillant, Léauthier, etc., et que c’est lui qui les a poussés aux actes que l’on connaît, parfait son œuvre de mouchard en lui posant cette question insidieuse : Que pensez-vous de l’assassinat du Président Carnot ? De trois choses l’une : ou Faure le désapprouvera, et alors toute la bande s’écriera que Caserio est renié par les anarchistes, ou bien, sans l’approuver ni le désapprouver, il tentera de l’expliquer, et les chacals et hyènes de l’endroit interpréteront cette explication comme une apologie et signaleront le délit à leurs amis les policiers ; ou enfin Faure l’approuvera, et dans ce cas l’apologie est toute trouvée. Quand on a la lâcheté de ne pouvoir se débarrasser d’un adversaire gênant, on s’en fait débarrasser par les autres. Tels les seigneurs de Florence entretenaient des bandes d’assassins à gages qui frappaient pour leurs maîtres.
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