La Presse Anarchiste

La guerre des matières premières

[[Extrait su Temps.]]

M. Her­bert Hoo­ver, ministre du Com­merce des États-Unis, vient, dans un dis­cours d’un ton com­mi­na­toire, de mena­cer de repré­sailles les pays qui ont orga­ni­sé des trusts pour la valo­ri­sa­tion de leurs pro­duits, matières pre­mières et den­rées, en impo­sant ain­si des prix exa­gé­rés à l’in­dus­trie et à la consom­ma­tion du peuple américain.

Ces repré­sailles com­por­te­raient notam­ment le refus de tout cré­dit de la part des États-Unis aux pays orga­ni­sa­teurs de sem­blables trusts.

Les deux nations par­ti­cu­liè­re­ment visées par cette menace sont la Grande-Bre­tagne en ce qui concerne le caou­tchouc et le Bré­sil pour le café. Les États-Unis sont en effet les plus gros consom­ma­teurs de ces pro­duits tro­pi­caux pour les­quels ils sont entiè­re­ment tri­bu­taires de l’é­tran­ger. Leur indus­trie, prin­ci­pa­le­ment celle de l’au­to­mo­bile, a besoin aujourd’­hui de 400.000 tonnes de caou­tchouc par an et leur popu­la­tion consomme envi­ron 6.000.000 de sacs de café, c’est-à-dire la moi­tié de la récolte moyenne du Bré­sil, qui repré­sente à lui seul les trois quarts de la pro­duc­tion mondiale.

Or, le caou­tchouc, l’u­nique matière peut-être dont la guerre n’eût pas rele­vé les prix et dont les cours végé­taient il y a quelques mois à peine autour de un shil­ling la livre à Londres et de 35 cents de dol­lar à New York, a depuis tri­plé et qua­dru­plé et se cote aux envi­rons de 4 shil­lings et de 1 dol­lar, les stocks ayant presque com­plè­te­ment disparu.

Quant au café, ses prix ont plus que décu­plé par rap­port à ceux cotés avant la guerre. Il suf­fit de citer la cote du mar­ché du Havre où cette den­rée a atteint à cette heure le prix de 625 francs le sac de 50 kilos, qui se négo­ciait avant la guerre aux envi­rons de 55 francs.

Cette hausse des deux pro­duits obéit-elle à la loi géné­rale du ren­ché­ris­se­ment des prix ? Dans une cer­taine mesure, oui. Mais elle est sur­tout la consé­quence de l’ap­pli­ca­tion du sys­tème de valo­ri­sa­tion, consis­tant à res­treindre et à rete­nir la pro­duc­tion, à réduire les stocks, bref à raré­fier le pro­duit sur les mar­chés pour en éle­ver la valeur en rame­nant l’offre au-des­sous de la demande.

Les États-Unis sont-ils en droit de se plaindre de ces valo­ri­sa­tions ? Oui, si elles sont abu­sives et tendent, de la part du pro­duc­teur, pour réa­li­ser des béné­fices exces­sifs, à exploi­ter sans ména­ge­ment le consom­ma­teur. Non, si l’on consi­dère que les États-Unis eux-mêmes n’ont pas hési­té à abu­ser du mono­pole ou qua­si-mono­pole que, par leur pro­duc­tion ou l’ac­ca­pa­re­ment, ils ont pu exer­cer sur le coton, le pétrole, le cuivre, le sucre, etc., sans oublier, comme le leur rap­pelle aus­si le Mor­ning Post de Londres, l’es­pèce de mono­pole des fabri­ca­tions et four­ni­tures de guerre dont ils ont joui en rai­son de la confla­gra­tion euro­péenne et qui leur a valu l’é­norme créance qu’ils ont acquise sur l’Eu­rope et qui pèse et pèse­ra si lour­de­ment sur son relèvement.

La pro­tes­ta­tion mena­çante du ministre amé­ri­cain contre le mono­pole bri­tan­nique met en relief une des causes les plus grives de conflits éco­no­miques sus­cep­tibles de trou­bler la bonne har­mo­nie et la paix inter­na­tio­nales dans l’a­ve­nir en rai­son des réac­tions poli­tiques que peuvent déter­mi­ner ces guerres de matières pre­mières affec­tant pro­fon­dé­ment la vie indus­trielle des peuples. 

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