La Presse Anarchiste

À l’étalage du bouquiniste

Derniers livres parus

La Reli­gion de la Foi, par Hen­ri Dela­croix. — Je venais de relire ce remar­quable livre qui a pour titre l’Évolution des dogmes, de Charles Gui­gne­bert, lorsque j’ai ouvert l’œuvre de M. Hen­ri Delacroix.

Jamais pen­sée phi­lo­so­phique éclose dans deux cer­veaux dif­fé­rents ne pré­sen­ta ana­lo­gie plus grande et ne converge, bien que par des routes dif­fé­rentes, vers le même but. Je ne veux, certes, pas dire, par là, que la der­nière œuvre soit une imi­ta­tion de la pre­mière ni même qu’elle s’en soit ins­pi­rée ; il n’en est rien et cha­cune pos­sède une robuste ori­gi­na­li­té : c’est même pour­quoi, se com­plé­tant mutuel­le­ment, elles ont, à mon sens, réso­lu le déli­cat pro­blème de la Reli­gion et du dogme dans leurs rap­ports avec la Foi.

L’auteur de l’Évo­lu­tion des dogmes ayant magis­tra­le­ment prou­vé, par des rai­sons his­to­riques, que le dogme, quelle que soi la Reli­gion qui l’enfanta, est sou­mis à la grande loi de l’Évolution qui régit l’univers phy­sique comme le monde moral, M. Hen­ri Dela­croix a sui­vi cette évo­lu­tion à tra­vers la pen­sée et l’âme des croyants, cher­chant à fixer leur moda­li­té d’adaptation aux dogmes nou­veaux et aux nou­velles ins­ti­tu­tions reli­gieuses qui en découlent.

C’est ain­si qu’il passe en revue et ana­lyse, d’une façon puis­sante et sub­tile à la fois, leurs atti­tudes suc­ces­sives à tra­vers l’histoire comme à tra­vers l’individu. Il nous fait assis­ter tour à tour à l’évolution des croyants simples qui ne rai­sonnent pas leur foi, comme à celle de Luther, de Cal­vin, des sym­bo­lo-fidéistes, des moder­nistes ; et c’est avec une remar­quable sûre­té de juge­ment qu’il ana­lyse et décrit l’évasion reli­gieuse des Loy­son, des Renan et des Loisy.

Ceux qui s’intéressent aux frag­ments parus ici même de l’Imposture reli­gieuse, par Sébas­tien Faure, liront ce livre avec profit.

Émile Zola, par Ernest Seillère. — Que pen­se­riez-vous d’un écri­vain qui, se pro­po­sant de situer l’œuvre sociale et le rôle de Zola dans l’atmosphère poli­tique de son temps, oublie­rait volon­tai­re­ment de par­ler de l’Affaire Dreyfus ?

C’est le cas fort curieux de M. Seillère. Aus­si, au lieu d’écrire une œuvre sin­cère et impar­tiale, n’a-t-il com­mis qu’une dia­tribe d’un mince intérêt.

Ori­gine et Évo­lu­tion de la vie, par Hen­ry-Fair­fiel Osborn, tra­duc­tion par F. Sar­tiaux. — Quel dom­mage que le prix de ce livre, avec ses 126 gra­vures, soit coté 27 francs, ce qui le rend acces­sible aux seuls porte-mon­naies de bour­geois ! On ne trou­ve­ra pas, en effet, par­mi les plus récentes publi­ca­tions scien­ti­fiques, de syn­thèse plus claire, plus pré­cise et plus pas­sion­nante à la fois du pro­blème des ori­gines et de l’évolution de la vie.

L’hypothèse d’Osborn qui consi­dère la chro­ma­tine des cel­lules ger­mi­na­tives comme l’élément prin­ci­pal de cette évo­lu­tion, est une des plus auda­cieuses qui aient été pro­duites et auraient eu cer­tai­ne­ment l’appui du grand bio­lo­giste Hoeckel.

Mais, encore une fois, c’est trop cher pour le pro­lé­taire. Que les lec­teurs de la Revue Anar­chiste soient donc recon­nais­sants au cama­rade André Rey­mond qui résume ici pour eux, chaque mois, avec une remar­quable clar­té, ces pas­sion­nants pro­blèmes et leur éco­no­mise, par ses nom­breuses lec­tures, un argent rare et un temps précieux.

Les Semeurs d’Épouvante, par Fer­nand Mysor. — En lisant ce livre, qui a pour sous-titre Roman des temps juras­siques, j’ai consta­té une fois de plus com­bien il est impru­dent pour un pro­fane de cher­cher des sujets lit­té­raires dans le pré­his­to­rique. Grâce à leur incon­tes­table talent des­crip­tif et mal­gré leur éru­di­tion de troi­sième main, les frères Ros­ny, voi­ci déjà long­temps, par­vinrent péni­ble­ment, dans Yami­reh à évo­quer ces périodes géo­lo­giques, mais ils n’intéressèrent que quelques rares lec­teurs — et firent s’esclaffer les vrais savants. Encore ne s’attaquaient-ils, dans ce roman bizarre, qu’au néo­li­thique. Plus auda­cieux, M. Fer­nand Mysor n’a pas hési­té à prendre son sujet dans le paléo­li­thique. Et quel paléo­li­thique ! Je vois d’ici le sou­rire de Mar­cel­lin Boule et de Capi­tan lisant les Semeurs d’Épouvante.

Poèmes irres­pec­tueux, par Charles San­glier. — Ce livre jus­ti­fie son titre : irres­pec­tueux, certes, il l’est et beau­coup, non seule­ment à l’égard des vieilles formes poé­tiques, mais et l’égard de tout ce que Max Nor­deau a appe­lé les men­songes conven­tion­nels de notre civi­li­sa­tion. Bra­vo, poète !

Le nou­veau déluge, par Mme Noelle-Roger. — Je pour­rais presque dire de ce livre ce que j’ai écrit plus haut sur les Semeurs d’Épouvante, sauf qu’ici l’imagination vrai­ment remar­quable de l’auteur n’évoque pas le pas­sé per­du de la pré­his­toire, mais le fait revivre par une poi­gnée d’humains échap­pés au nou­veau déluge, les­quels réin­ventent le feu et recom­mencent à par­cou­rir les étapes pri­mi­tives des huma­ni­tés disparues.

Le Livre des pla­giats, par Jacques Mau­re­vert. — Pla­giez ! pla­giez sans crainte et ne vous gênez pas pour crier en même temps ;

Au voleur ! Il vous en res­te­ra tou­jours quelque chose et même sou­vent beau­coup d’argent et une grande renom­mée. C’est ce qui res­sort clai­re­ment de ce fort curieux bou­quin. Voyez plu­tôt, nous dit l’auteur, Molière, Cor­neille, Lafon­taine ; Pas­cal, La Roche­fou­cauld, Lamar­tine, Vigny. Bal­zac. Tous pla­giaires… d’après M. Maurevert !

L’Abdication des pauvres, par Louis Emié. — Ce livre devrait avoir pour sous-titre : Essai sur l’avachissement et la veu­le­rie des masses.

L’auteur, avec une fran­chise qui va jusqu’à la cruau­té, nous les montre, en effet, d’un bout à l’autre de son œuvre, de plus en plus gré­gaires, sou­mises, apla­ties, rési­gnées, esquis­sant à peine de loin en loin quelques timides vel­léi­tés de révolte, pour retom­ber ensuite dans une sorte de tol­stoïsme, ou plu­tôt dans un véri­table som­meil que la misère emplit sans cesse de ses plus ter­ribles cauchemars.

Si vous ajou­tez à cela que M. Louis Emié pos­sède une forme per­son­nelle un peu bizarre, mais adé­quate à son sujet, vous juge­rez, comme moi, que son livre mérite de ne point pas­ser inaperçu.

Paléon­to­lo­gie et Zoo­lo­gie, par Roman. — Comme ini­tia­tion com­plète et facile, à ces deux sciences qui jettent tant de clar­té sur les ori­gines de l’humanité, je ne connais pas mieux que ce petit livre, d’un prix abor­dable à tous.

Huma­ni­té, par Émile Pignot. — Quel dom­mage que l’auteur de ce livre for­te­ment pen­sé et bien écrit, n’ait pu débar­ras­ser son cer­veau du virus chré­tien qui l’imprègne ! Sa belle théo­rie de l’Humanité par-des­sus tout (reli­gion, famille, patrie) y eût cer­tai­ne­ment gagné en force et en profondeur.

Le Chris­tia­nisme médié­val et moderne, par Charles Gui­gne­bert. — Tout à l’heure, j’ai cité l’admirable livre qui a pour titre : L’Évolution des dogmes ; celui que nous donne aujourd’hui l’auteur ne lui est infé­rieur ni par l’érudition, ni par la lar­geur de la pen­sée, ni par la forme claire, sobre et pré­cise. C’est avec la même maî­trise que M. Gui­gne­bert fait se dérou­ler sous nos yeux l’histoire, ou plu­tôt l’évolution de l’Église depuis le moyen âge. Rien n’a été oublié depuis les ori­gines de la papau­té jusqu’à l’apparition de l’esprit moder­niste dont celle-ci s’est tant alar­mée. Ce livre dis­pense d’en lire beau­coup d’autres sur le même sujet. C’est une petite ency­clo­pé­die de tout ce qui a trait à l’histoire du Christianisme.

Les Hommes nou­veaux, par Claude Far­rère. — Du talent, certes, dans ce roman ins­pi­ré par l’œuvre du géné­ral Lyau­tey au Maroc, il y en a, mais cette œuvre basée sur la rapine et la spo­lia­tion trouve presque, dans Claude Far­rère, res­té, mal­gré tout, offi­cier de marine, une sorte de pané­gy­riste et de nar­ra­teur atten­dri. À son roman sym­pa­thique aux requins, nous conti­nue­rons d’opposer l’histoire pré­cise, faite de vols, d’injustices et de cruautés.

La triple caresse, par Renée Dunan. Un très beau livre dont l’audace m’a beau­coup plu. J’ai lu de nom­breux livres ayant pour but de nous mon­trer le rôle puis­sant joué par la sexua­li­té sur la vie de l’humanité ; dans aucun je n’ai trou­vé la démons­tra­tion pous­sée jusqu’aux limites où avec une maî­trise impla­cable l’a conduite Renée Dunan. Livre de mâle plu tôt que de femme, qui a fait et fera encore beau­coup crier les eunuques et les hypo­crites de tout poil.

La Beau­té et l’instinct sexuel, par Lalo. Ce livre est, si j’ose dire, le pen­dant didac­tique et phi­lo­so­phique du pré­cé­dent. L’auteur a emprun­té et résu­mé dune façon claire et com­plète tout ce que les phi­lo­sophes ont pen­sé sur le rôle et la puis­sance de l’instinct sexuel sur l’évolution de la civi­li­sa­tion. Mais il s’est plus par­ti­cu­liè­re­ment atta­ché à nous mon­trer toute la valeur que l’école freu­dienne attache à la sexua­li­té dans l’origine et l’évolution de l’Art.

Pour men­tion. — Le Sosie, par José Ger­main et Émile Gué­ri­non. Jou­vence ou la Chi­mère, par Jacques Chen­ne­vière. — La France du Direc­toire, par L. Made­lin. L’Homme-Chien, par Raoul Ste­phan. — Le visage de l’Amour, par Maxime For­mont. — La Tra­gique Aven­ture, par Louis Mer­let. — Le Diable au Vil­lage, par Paul Séries.

[/​P. Vigné d’Octon./​]

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