Chers amis, vous m’offrez la collaboration à la Revue Anti-Patriote que vous fondez.
J’accepte de grand cœur, oui j’accepte, car il est temps de montrer au peuple ce qu’est la Patrie ; car il est temps de briser ces fibres qui le dominent assez pour lui faire commettre toutes sortes de crimes, sans que ses sentiments de dignité se révoltent. Expliquez avec des larmes de rage s’il le faut, aux pères et aux mères de famille ce que sont ces abominables carnages que leurs fils payent de leur vie.
Faites leur bien comprendre que ces sanglantes comédies sont le résultat de l’autorité et de la propriété individuelle, que le rôle politique et diplomatique de nos maîtres consiste à préparer périodiquement ces guerres sauvages qui détruisent chez le peuple l’élément le plus viril, et qui arrachent à la vieille mère le soutien qu’elle aimait plus que sa propre vie.
Oh oui ! pauvre femme vous étiez bien fières, n’est-ce pas ? quand vos fils qui vous ont coûté tant d’angoisses et de privations vous remerciaient de vos peines en vous manifestant leur amour ?
Avec quel orgueil vous les contempliez parmi leurs camarades et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, il ne reste d’eux que quelques os brûlés par un soleil lointain et pour vous la misère et le deuil.
Et vous oseriez pleurer en présence d’une douleur si poignante, et vous oseriez dire aux dirigeants qui se vautrent dans les orgies : voilà l’œuvre de votre patrie ?
Ah ! ce n’est pas comme cela qu’ils entendent eux. Pour leurs fils, les lycées, les grandes écoles. Pour leurs fils, vos filles et tous les plaisirs : pour les vôtres, les sourdes souffrances des usines, des ateliers et les champs de bataille.
C’est pour éterniser cette oppression qu’ils ont besoin d’une patrie.
Ne comprends-tu pas, peuple ignorant, que si la patrie n’existait pas, les malheureux de tous les pays s’entendraient trop facilement et qu’il en serait vite fait de toutes les tyrannies ?
Ne comprends-tu pas que l’exploitation n’a pas de frontières et que dans tous les pays la misère étant à peu près la même, les mêmes remèdes s’imposent ?
Eux aussi l’ont compris, et c’est précisément pour opprimer, exploiter à leur aise qu’ils ont crée les frontières.
C’est pour cela que presque tous les patriotes émargent au budget, que seul tu payes, puisque seul tu produis.
C’est pour cela qu’ils apprennent dans les écoles à tes enfants, « leurs devoirs envers Dieu et la Patrie ». Les guerres de religion disparaissent, le bon sens du peuple a nié Dieu ; à la religion d’en haut qui s’en va honteuse et chargée de ses nombreux crimes, ils leur faut une religion plus inique, plus barbare plus sanglante : le patriotisme.
Sur quoi repose l’idée de Patrie ? Est-ce une loi naturelle ? Pourquoi les peuples doivent-ils être séparés ? Est-ce une nécessité sociale ?
L’idée de patrie repose sur la conquête, sur la violence, sur le, vol, puisque c’est le plus fort qui impose ses lois.
Que diriez vous, lecteurs, si un homme, possédant une force physique supérieure à la vôtre, en vous empoignant vous disait : tu m’appartiens, ce que tu as et ce que j’ai formeront notre patrie, accepte, je suis le plus fort ?
Vous répondriez, c’est horrible. C’est pourtant là-dessus que repose l’idée de patrie.
La loi naturelle a fait de l’homme un être supérieur, elle lui a permis de développer son cerveau de manière que la terre soit son domaine et elle s’oppose à cette division arbitraire et antinaturelle, par conséquent.
Vous donc à qui on arrache vos fils pour en faire des assassins ou des cadavres, détruisez chez eux le préjugé patriotique et au lieu d’en faire de la chaire à mitraille, engagez-les à lutter contre les oppresseurs quels qu’ils soient, et à passer la frontière plutôt que de prendre l’arme qui doit l’avilir ou le détruire.
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