La Presse Anarchiste

De l’argot à l’histoire

L’autre jour, à pro­pos de Figon, auquel l’Ex­press prê­tait des pro­pos argo­tiques un tan­ti­net més­in­ter­pré­tés par les tra­duc­teurs-mai­son, nous nous étions mis en quête des lexiques les plus appro­priés à pro­je­ter une lueur défi­ni­tive, et tout natu­rel­le­ment du Petit Simo­nin illus­tré aus­si bien que de l’ou­vrage simi­laire d’Au­guste le Bre­ton, Langue verte et noirs des­seins. Et pour l’ex­pres­sion en litige (« se la don­ner ») nous avions été ravis de les voir tous deux en concor­dance, ce qui n’est pas tou­jours le cas.

Et par-delà la vétille qui nous sou­ciait, nous avions, sol­li­ci­té par l’herbe tendre, gam­ba­dé plus avant, plus par­ti­cu­liè­re­ment dans le tra­vail de le Bre­ton. Celui-ci est d’a­bord et sera tou­jours l’au­teur des Hauts Murs bien avant que d’être celui de tous les Rifi­fis qu’on sait, fabri­ca­tion inter­mi­nable qui ne res­sor­tit plus qu’au pro­cé­dé et dont les der­niers-nés fini­ront par faire oublier ce qu’a­vait de puis­sant et d’o­ri­gi­nal le pre­mier de la série.

Mais notre pro­pos n’est pas là et concer­ne­ra seule­ment le lin­guiste et éven­tuel­le­ment l’his­to­rien du milieu.

On s’é­tait déjà amu­sé un jour qu’Au­guste le Bre­ton récla­mât comme titre de gloire d’a­voir créé le mot « val­seur » dans l’ac­cep­tion cal­li­pyge du terme, si nous osons dire.

Cette affir­ma­tion est d’ailleurs reprise à la page 366 de la Langue verte.

Nous ne pré­ten­drons pas y contredire.

Mais voi­là que dans ce même recueil, feuille­té pour­tant à la hus­sarde, nous retrou­vons témoi­gnage de pareille présomption.

Dès 1612, on parlait du « faubourg ».

C’est cette fois le mot « fau­bourg », (tou­jours l’ai­mable par­tie char­nue en ques­tion, de quoi Freud eût peut-être infé­ré beau­coup, infé­ré trop !) qu’Au­guste, dans son inépui­sable génie inven­tif, aurait lan­cé voi­ci une tren­taine d’années.

Écou­tez-le avan­cer ses lettres de grande natu­ra­li­sa­tion, à la page 141 de sa Langue verte :

« Ce mot, tou­jours en usage », fut lan­cé par moi en 1937 dans un bal musette de Saint-Ouen, à mon ami Roger le Boutonneux… »

Auguste, tu pousses vrai­ment un peu trop !

Quelle que soit la pile, bien­tôt hima­layesque, des Rifi­fis, éri­gée de tes mains expertes, on n’en ferait pas une moindre des auteurs ou des ouvrages argo­tiques et même sim­ple­ment popu­laires, qui consa­crèrent ce fau­bourg que tu dis avoir inventé.

Déper­suade-toi de pareille sor­nette, et ne va pas plus loin que le Dic­tion­naire des argots de Gas­ton Esnault, paru chez Larousse en 1965 pour connaître que Béroalde de Ver­ville, l’au­teur du Moyen de par­ve­nir, employait déjà ton évo­ca­teur fau­bourg pour les mêmes pré­cises évo­ca­tions, dès 1612.

La rue Lauriston, Laffont et Hitler.

Un peu trop cer­tain d’a­voir sou­vent décou­vert l’A­mé­rique, Auguste le Bre­ton n’est pas moins hasar­dé dans la par­tie « his­to­rique », si l’on ose dire, de son Dic­tion­naire, puis­qu’il s’y trouve tout un cha­pitre rela­tif au « milieu » jugé dans toutes ses stra­ti­fi­ca­tions et à toutes les époques.

Quelques lignes sont ain­si consa­crées à l’oc­cu­pa­tion et à Laf­font, de la rue Lau­ris­ton, ce sup­plé­tif de l’Abwehr, qui pré­fi­gu­ra un peu nos Bar­bouzes actuelles, sous cette réserve qu’il n’é­tait pas un des­ser­vant de la bonne cause !

Et voi­ci ce que le Bre­ton enre­gistre sur le thème :

Laf­font avait carte blanche et la béné­dic­tion d’Hit­ler. Un bruit cou­rait dans le milieu selon lequel Laf­font et Hit­ler s’é­taient connus en pri­son bien avant la prise du pou­voir par ce der­nier. C’est pos­sible et cela expli­que­rait bien des choses. En cas de vic­toire des Alle­mands, Laf­font ne devait-il pas deve­nir pré­fet de police ?

Par res­pect du texte cité, nous avons sui­vi l’or­tho­graphe bre­ton­nante, mais authen­ti­que­ment Lafont ne vou­lait qu’un seul f.

Tout cela relève à peu près du même sérieux que les « sources » allé­guées dans la par­tie grammaticale.

Il appa­raît d’ailleurs invrai­sem­blable que les gens du milieu, si por­tés fussent-ils, à l’exemple des autres hommes, à sous­crire à n’im­porte quel roman chez la por­tière, aient jamais cru à un com­pa­gnon­nage entre le gang­ster de la rue Lau­ris­ton et Hit­ler. Le moindre truand savait, en effet, d’où Laf­font tirait son cré­dit. Son his­toire était la sui­vante : déte­nu au Cherche-Midi en 1939, pour dif­fé­rents délits qui n’a­vaient rien à voir avec l’« espion­nage », Laf­font s’é­tait trou­vé com­pris dans la fameuse « éva­cua­tion des pri­sons de Paris », consé­cu­tive au débou­lé de l’of­fen­sive de mai 1940. Par voi­si­nage de cel­lule, il avait pris liai­son avec des agents alle­mands authen­tiques qui, sachant leurs employeurs proches de Paris, avaient joué la fille de l’air, entraî­nant Laf­font dans leur fuite.

Ren­trés tous à Paris, et les agents alle­mands ayant repris contact, ceux-ci avaient pré­sen­té leur ami Laf­font comme un expert pos­sible pour les approches du monde cri­mi­nel parisien.

Et c’est comme cela que l’af­faire de la rue Lau­ris­ton avait commencé.

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