Mes lecteurs seront étonnés, peut-être, de trouver ici cet article, aux lieu et place de mon étude sur Han Ryner, dont j’ai précédemment annoncé la suite et fin.
J’ai, pour m’en excuser, deux raisons, qui, j’en suis certain, leur paraîtront valables. La première est une nouvelle poussée aiguë de mon vieux paludisme colonial, qui enlève chaque fois à mon cerveau un peu de la vigueur suffisante à de tels travaux où la « cogitation » doit se doubler d’une réflexion profonde ; la seconde c’est que ce court article était déjà écrit et que je n’ai eu d’autre peine que de l’adresser à notre camarade André Colomer ; peut-être est-il regrettable qu’il soit en partie pro domo, mais que voulez-vous, une fois n’est pas coutume et Han Ryner lui-même m’excusera de remettre au numéro prochain la fin de mon travail qui n’en sera que plus consciencieux et complet.
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Donc, au moment où paraîtra le présent numéro de la Revue anarchiste, aura certainement paru aussi la première partie de ma Nouvelle Gloire du Sabre, sous le titre : Les Crimes du Service de Santé et de l’État-major général de la marine, suivie du Véritable scandale des pensions, aux Éditions du
Que mes lecteurs, encore une fois, m’excusent si je leur en annonce moi-même la nouvelle. Ce livre, pour la plupart ils le savent, m’a coûté quatre ans de travail ; et ils ont compris tout de suite qu’il ne peut s’agir ici de critique ; d’autres, je l’espère, parmi nos camarades, se chargeront de ce soin.
Non, je veux simplement, à propos des avatars subis par son manuscrit dire, ici, quelques mots sur cette fameuse conspiration du silence qui joue un rôle si important dans la vie intellectuelle et sociale du régime capitaliste et bourgeois. Et, par la même occasion, je veux faire connaître ce que j’ai souffert d’elle, depuis plus de vingt ans, c’est-à-dire depuis le jour où, tournant le dos à ma classe et renonçant à ses privilèges (car j’avais été gâté avant), j’ai marché d’un pas ferme à l’étoile vers le prolétariat en mal d’émancipation.
Ces quelques pages, mieux que la plus véhémente diatribe, montreront qu’il n’est pas entre les mains de la ploutocratie régnante, contre la pensée libre et l’écrivain indépendant, d’arme plus terrible que celle-là.
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D’une lettre que m’écrivait ces jours-ci notre jeune, courageux et talentueux camarade Georges Vidal, détenu pour un beau poème à la Maison d’arrêt d’Aix-en-Provence, j’extrais ces lignes :
— « J’apprends par l’En dehors que vous mettez en souscription la première partie de la Nouvelle Gloire du Sabre. Permettez-moi de vous envoyer mon obole… Ces jours derniers, je lisais justement dans ma prison un de vos livres : Au pays des fétiches, et j’appréciais votre talent de narrateur, le coloris de ces visions exotiques. Mais vous avez été un sincère et la société ne vous le pardonnera jamais. Parce qu’il est indépendant, on étouffe dans les Universités l’œuvre de Romain Rolland. Parce qu’il est indépendant, on ignore Han Ryner. Parce que vous êtes indépendant, le monde emploiera pour vous combattre son arme la plus vile : la conspiration du silence… » Vous allez voir, mon jeune camarade, que c’est fait depuis longtemps.
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La première fois que j’en subis les atteintes, c’était en 1900. J’étais encore député. Fatigué de clamer depuis huit ans, dans le désert du Palais-Bourbon, les infamies de la guerre coloniale, les crimes des scélérats et des requins, qui, pour en profiter la déchaînent et l’entretiennent, depuis les rives du Niger jusqu’à celles du Mékong, je résolus, avec l’espoir d’être mieux entendu, d’abandonner une tribune où me couvrait l’immunité parlementaire et de m’adresser au pays, par celle de la Presse, que pouvait suivre celle de la Cour d’assises, sur un geste du gouvernement.
Je réunis donc, sans tarder, les plus sanglants, les plus sensationnels et aussi les plus authentiques de mes documents. J’eus tôt fait de mettre à point ce travail. Mon titre de député, joint à un certain retentissement de mes interpellations, firent que tout de suite, pressentis en vue de sa publication, plusieurs grands journaux parisiens, dits d’information, acceptèrent avec empressement. Peut-être prévoyaient-ils un procès en cours d’assises capable d’augmenter leur tirage, en tout cas, il est certain que le sort des indigènes spoliés, volés, massacrés, les laissaient indifférents.
Quoi qu’il en fût, je leur envoyai ma copie, convaincu que je donnerais à mes accusations plus d’ampleur en la fragmentant, je partageai donc entr’eux mes documents encore inédits.
Mais avant le jour fixé pour la publication le gouvernement, mis au courant, s’empressa d’intervenir auprès de ceux qui tiennent en mainte les destinées de ces grands journaux et les arguments qu’il fit valoir durent être bien sérieux et d’une belle couleur d’or (il y en avait en ce temps-là), car le moment venu de publier, pas un d’eux ne consentit à donner une seule ligne.
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Je ne me décourageai pas ; voulant à tout prix, porter en public mes accusations, sans être couvert par l’immunité parlementaire, je résolus de réunir en un livre mes documents et d’appuyer sa publication par des conférences, à travers la France entière. Le livre une fois mis au point, je lui donnai pour titre : La Gloire du Sabre et, sans lui demander son autorisation, je le dédiais au Ministre des Colonies de l’époque, officiellement responsable de tous les crimes et de toutes les infamies dénoncées.
« Vous avouerez, lui disais-je, en terminant, que mes accusations sont d’une précision aussi exceptionnelle que leur gravité. Je ne cache ni le nom des coupables, ni la grandeur de leur infamie. Ou elles sont l’expression même de la vérité, ou, au contraire, d’abominables calomnies. Notre code pénal dispose, pour l’un ou pour l’autre cas, de rigoureuses sévérités.
» En ce qui me concerne, l’immunité parlementaire qui couvre les discours du député à la tribune de la Chambre, ne s’étend pas à l’écrivain. Qu’on me les applique donc, si j’ai menti. Mais qu’on les applique à ceux que j accuse et qu’on mette un terme à leurs crimes, si j’ai dit vrai. Pour l’honneur de notre pays, il ne peut y avoir d’autre solution ».
Restait à trouver un éditeur qui voulût bien prendre avec moi, sa part de responsabilité. Il m’arriva avec les grands manitous de la librairie, ce qui venait de m’arriver avec les maîtres omnipotente de la grande Presse.
Un seul, cependant, après bien des recherches, consentit à prendre le livre en dépôt dans ses magasins, à en assurer la vente et à mettre sa firme sur la couverture. Ce fut Ernest Flammarion. Sur la foi de sa parole d’honnête homme et sans autre convention que celle-là, je fis donc imprimer le livre et porter chez lui, au jour convenu les 6.000 (six. mille) exemplaires tirés.
Or, voici que lorsque les porteurs se présentèrent, rue Racine, le gérant de la maison leur signifia sévèrement qu’il avait reçu des ordres pour refuser le dépôt.
Et comme d’accord avec Flammarion, on l’a vu, j’avais fait imprimer sa firme sur la couverture et le faux-titre, je recevais, le lendemain, sommation par huissier, d’avoir à la retirer sous peine de poursuites judiciaires. Comment me défendre ou attaquer, sans autre pièce échangée entre nous, qu’une parole d’honnête homme ?
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Me voilà donc avec six mille volumes sur les bras et dans l’impossibilité de les mettre en vente, sans modifier la couverture. Ordonner aux porteurs de les jeter dans la Seine en traversant le Pont Saint-Michel, telle fut l’idée qui me vint sur le premier mouvement de colère. Mais je songeai aussitôt qu’il y avait dans, ce tas de papier noirci, une grande et profonde pitié pour les races vaincues, des vérités formidables contre la scélératesse et la cruauté des vainqueurs et que je n’avais pas le droit d’abandonner ainsi, sur une simple impulsion, les premiers à leur malheur et les autres à l’impunité de leurs crimes.
Bien m’en prit, car en rentrant chez moi, je trouvai la lettre d’un brave homme, un homme honnête, celui-là, qui dirigeait, rue Antoine Dubois, dans le voisinage même de la maison Flammarion, la Société d’éditions littéraires et scientifiques. C’était M. le Dr Henry Labonne, le grand et modeste explorateur, ami, comme moi, des indigènes, qui avait suivi attentivement mes interpellations à la Chambre et qui, dès apprendre l’attitude de Flammarion, m’offrait en termes émus ses services.
Pendant toute une nuit, son modeste personnel fut occupé à coller des papillons portant sa firme sur les couvertures des 6.000 volumes. Et le lendemain, grâce à lui et malgré la maison Hachette, la Gloire du Sabre était dans toutes les principales librairies et dans les kiosques, tant à Paris qu’en province.
Qu’il trouve ici, s’il lit ces lignes, l’expression fidèle encore que lointaine de ma reconnaissance.
La grande presse, bien entendu, fit un silence absolu autour du livre et Hachette continua à l’exclure de ses bibliothèques, mais l’édition n’en fut pas moins épuisée dès le courant de l’année suivante.
Telle est l’histoire de la Gloire du Sabre.
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Ce fut pis encore pour moi, six ans plus tard, lorsqu’après 12 ans de séjour au Palais-Bourbon, dont j’avais étudié les mœurs selon la méthode expérimentale, je voulus publier, sous la forme du roman, de résultat de mes observations patientes et sincères.
Cette étude, qui avait pour titre général : Quelques coins de la Troisième République, comprenait trois ouvrages différents par l’affabulation, mais ayant, pour fond commun, les mœurs politiques et parlementaires du régime. Après de longues et laborieuses recherches, j’avais, enfin, trouvé un éditeur pour les trois livres alors terminés. Comme je n’avais pas oublié ma déconvenue avec la maison Flammaion, je passais pour ces trois romans et après lecture de ceux-ci par l’éditeur Tallandier, 10, rue Saint-Joseph, un traité en bonne et due forme, aussi clair, net et précis que peut l’être un contrat de ce genre.
Le premier volume intitulé Compan du Var, fut, sans retard, envoyé à l’impression. J’en corrigeai les épreuves et surveillai la mise en pages, jusqu’à la 170e sur 300.
Mais un beau matin, au lieu de la suite, le facteur m’apporta une lettre de M. Tallandier, dans laquelle celui-ci me signifiait encore plus brutalement que ne le fit Flammarion et sans donner aucune raison « qu’il considérait notre traité comme non avenu et qu’il n’éditerait pas mon œuvre ».
Que s’était-il passé ? Tout simplement ceci : Le ministre de l’Intérieur était intervenu et sa pression sur Taillandier fut telle, que malgré les engagements écrits les plus précis et les plus formels, il arrêta net l’impression.
Il y a des juges à Paris, me dis-je, un peu ennuyé, mais sûr de gagner mon procès. Hélas ! quelle naïveté était la mienne, après quinze ans de vie publique ! Non seulement, les juges du Civil me déboutèrent, mais ils félicitèrent presque Tallandier, dans des considérants effarants pour un honnête homme.
J’ai raconté tout au long cette suggestive histoire dans un petit bouquin intitulé : Comment on étouffe un livre, lequel, bien entendu, fut lui-même étouffé avec un égal cynisme.
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Sans La Guerre Sociale d’antan, La Sueur du Burnous, eût certainement connu le même sort que La Gloire du Sabre et les Dessous de la Troisième République.
Mais le Gouvernement, on s’en souvient, se vengea de ce succès qui fut si cruel aux parlementaires voleurs et exploiteurs de la Tunisie, en faisant, pendant mon absence cambrioler mon appartement, par sa police, et en me volant tous les documents qui se trouvaient dans mes tiroirs, afin d’être maître de moi en Cour d’assises. On connaît sa déception et comment, croyant trouver des originaux, son commissaire ne ramassa que des copies.
Et maintenant quel sera le destin de ma Nouvelle Gloire du Sabre ?
Je l’ignore, mais ce que je puis dire, d’ores et déjà, c’est qu’il ne s’annonce pas comme très brillant, si j’en juge par ses débuts que beaucoup de militants connaissent. Le manuscrit de cette œuvre compacte, à laquelle, je le répète, j’ai travaillé quatre ans de ma vie, ne trouva d’abord asile que dans les colonnes du Libertaire et cela grâce à Content. Depuis lors, j’ai ajouté à mon œuvre, bien des chapitres nouveaux, et de nombreux documents inédits ; mais c’est en vain que j’ai cherché un éditeur, et j’ai dû, comme pour la Gloire du Sabre, imprimer à mes frais cette Première Partie, complètement remaniée et considérablement augmentée. Qu’adviendra-t-il d’elle, encore une fois ? Seuls, les camarades, les militants, les sincères, les indépendants, tous ceux enfin dont l’esprit généreux se soulève devant la tyrannie du Capital dominateur, contempteur et étrangleur de la Pensée libre, pourront répondre à cette question. Je leur confie donc mon œuvre, dont voici la Table des matières, écrite pour eux :
[|Première partie|]
Frontispice : Guerre à la guerre. — Avant-propos : Les mensonges du Capitalisme. — Les crimes du service de santé, à l’avant, à l’arrière, à Salonique, aux Dardanelles. Le martyre du matelot Casanova. — La vérité sur le désastre des Dardanelles. — Histoire de la poudre B. — Les cuirassés qui sautent par leurs propres explosifs. — Deux mille cadavres dans les Détroits. — La disparition mystérieuse du Suffren. — Basses vengeances de galonnés. — Le véritable scandale des pensions. — Les grands embusqués de l’autocratie républicaine : Le fils Millerand et le crétinissime Sarraut. — Les gaffes du médicastre Augagneur, ministre de la Marine. — La terreur en Afrique du Nord : Les éternels parias. — Le recrutement au nerf de bœuf. — Les réfractaires.
[|Deuxième partie
L’enfer des cuirassés. — Le crime de la « Guerre au canon ». — Le bagne de Malte et de Corfou. — Les crimes militaires d’Odessa. — Le martyre de Jeanne Labourbe. — Le drame de la Mer Noire. — La gloire douloureuse d André Marty. — Ses bourreaux. — Les exploits de Franchet d’Esperey. — Les crimes des conseils de guerre. — Les prétendues mutilés volontaires. — Les victimes inconnues. — Fusillé sur un brancard. — La guerre et sa loi d’airain.
[|Troisième partie
Coupables et responsables|]
Qui jugera les coupables ? La folie de la gloire militaire. — Les mensonges de l’impérialisme. — Poincaré-le-Maudit. — Un faux Saint-Just : le sinistre Viviani. — Ses mensonges — Un grand responsable : Ribot, le vieillard au cœur glacé. — Les exploits de Delcassé, de Paléologue, d’Isvolsky, de Sazonoff et de Buchanan. — Les âneries d’Hanoteau. — Les mauvais bergers. — Les trahisons et les traîtres : De Judas-Hervé à Jouhaux‑l’Iscariote. — Les responsabilités des intellectuels. — La faillite de la science. — Les lâchetés des savants : D’Ernest Hœckel à Le Dantec et Gustave Le Bon. — Au poteau. — La prochaine guerre et le Traité de Versailles. — Le Grand Soir.
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