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On se souvient — mais s’en souvient-on vraiment — que les requins et les pontifes de l’administration coloniale, avaient été quelque peu émus, il y a deux ans, par la publication de Batouala. Il n’y avait pas de quoi, certainement, car comme je l’ai dit, ici même, dans le premier numéro de cette Revue, le roman de René Maran était comme fond et comme forme, une œuvre ratée. J’y montrai que l’auteur avait oublié d’apprendre les rudiments de la langue française, avant de l’écrire et de la parler. En ce qui concerne la documentation prétendue subversive et destinée à défendre la cause d’une race vaincue contre son vainqueur, il me fut encore plus facile le faire toucher du doigt son néant et même sa mauvaise foi.
Non seulement, René Maran, après avoir annoncé dans la Préface, qu’il allait foncer sur ce vainqueur et dénoncer ses crimes et ses infamies, s’en tenait à de vagues généralités, évitant, en bon fonctionnaire, toute précision, mais — ce qui était plus honteux encore pour un nègre — il présentait ses frères d’Afrique, comme un ramassis de brutes, sanguinaires et alcooliques, inaptes à toute civilisation.
Malgré cela, je le répète, les forbans et les bonzes qui dirigent les destinées de notre empire colonial, se sentirent touchés, de même que l’assassin, après son crime, s’émeut au moindre bruit qu’il entend. Aussi s’occupèrent-ils, dès cette heure, de répondra au roman d’un nègre sur les nègres, par le roman d’un autre nègre sur les nègres.
Le nègre choisi s’appelle M. Gaston Joseph, et il est, bien entendu, comme M. René Maran, administrateur colonial. Cependant, on me dit, mais je n’en suis pas certain, que ces deux prénoms, dissimulent tout simplement, un fonctionnaire blanc de la rue Oudinot, qui, aux lieu et place de ses rapports administratifs, a été chargé par le calamiteux Sarraut, de pondre ce lamentable factum romanesque et officiel.
À côté du sien, le charabia de M. Maran, représente la langue merveilleuse de Renan ou de Flaubert. Quant à sa documentation, on peut dire qu’elle a été inspirée, à ce rond-de-cuir, atteint de cacographie par les rapports administratifs qu’il passe sa vie à copier.
Voyez plutôt : Koffi, son nègre, est pour lui, le nègre idéal, heureux, que dis-je ? fier d’être battu, volé, spolié par le blanc, parce qu’avec la cravache, le vol, la spoliation, il lui apporte la Ci-vi-li-sa-tion ! il aurait pu ajouter et la sy-phi-li-sa-tion.
Des erreurs. Des crimes de colonisation, développe le faux nègre Gaston Joseph, mais il n’y en a pas ou si peu, que ce n’est pas la peine d’en parler. N’est-ce pas un résultat enviable et décisif que d’obtenir un type comme Koffi, plus heureux matériellement d’être cuisinier d’un blanc que roi des noirs !
Or la plupart de nos sujets nègres sont ainsi…
Tel est ce livre, écrit, certainement, je le répète, sous l’inspiration et dans les bureaux mêmes de M. Albert Sarraut. Comme on le voit, il méritait bien que cet incomparable ministre prît quelques sous dans la poche des contribuables pour créer à son intention un prix de littérature coloniale.
Avant M. Sarraut, en effet, ces sortes de livres massifs, faits avec des documents officiels truqués, et des statistiques complaisantes, œuvre des bureaux de la première à la dernière ligne, étaient publiés sous l’anonymat du Ministre des Colonies, non livrés au commerce et distribués gratuitement aux membres du Parlement. J’en possède la collection complète parue pendant mes trois législatures (de 1893 à 1906). Aujourd’hui, M. Albert Sarraut a changé cela et il appose carrément son nom en tête de ces sortes d’œuvre, les met en vente, les transforme en belles espèces sonnantes, fait appel, pour mieux les pousser, à toute la grande presse servile, bref, pauvre geai orné des plumes du paon, tire tout le parti passible, argent et gloire, de ce battage autour d’une œuvre, que son incompétence et son dilettantisme le mettent dans l’impossibilité de faire.
Je défie M. Sarraut de prouver le contraire de ce que j’avance. Je le défie de montrer le manuscrit original. Je lui propose de constituer un jury d’honneur, composé d’hommes de lettres, de publicistes et d’hommes politiques, auquel sera posé la question suivante : Oui ou non, le ministre des Colonies est-il le père du livre de 650 pages (Prix : 14 frs), qui a pour titre : La mise en valeur de nos colonies ? Vous verrez que l’arriviste cynique et féroce de la Dépêche de Toulouse, n’acceptera pas le défi.
POUR MENTION :
Derrière l’battoir, par Albert Jean. — Georges Fox, par Henry Van-Etten. — Louvel le Régicide, par J. Lucas-Dubreton. — Délivrons-nous du Marxisme, par L. Deslinières. L’affaire Gaston Rolland, par Han Ryner : Reçu trop tard. J’y reviendrai.
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