La Presse Anarchiste

Le Congrès jurassien du 19 mai, au Locle

La situa­tion cri­tique que tra­verse l’In­ter­na­tio­nale don­nait au Congrès annuel de la Fédé­ra­tion juras­sienne un carac­tère tout spé­cia­le­ment sérieux, cette Fédé­ra­tion ayant, à son der­nier Congrès de Son­vil­lier, pris l’i­ni­tia­tive d’une démarche qui sou­lève en ce moment bien des tem­pêtes dans le sein de l’Association.

Les sec­tions repré­sen­tées au Congrès étaient celles du Locle, de la Chaux-de-Fonds, de Por­ren­truy, de St-Imier, de Son­vil­lier, de Neu­châ­tel, de Fleu­rier, de Lau­sanne et de Genève, et les socié­tés de métier des gra­veurs et guillo­cheurs du Locle et du Val-de-St-Imier, qui font par­tie à la fois de la fédé­ra­tion des gra­veurs et de la fédé­ra­tion juras­sienne. La sec­tion de Mou­tier ayant déci­dé d’af­fec­ter la somme qu’elle aurait alloué pour frais de délé­ga­tion, à sou­te­nir la grève des gra­veurs de la Chaux-de-Fonds, avait adres­sé au Congrès une lettre dans laquelle elle décla­rait se ral­lier d’a­vance aux réso­lu­tions qui seraient votées. Dif­fé­rentes sec­tions consti­tuées dans des villes de France dont nous ne pou­vons publier les noms parce que ce serait dénon­cer nos amis aux per­sé­cu­tions de la police, avaient envoyé éga­le­ment des lettres d’adhé­sion à la Fédé­ra­tion jurassienne.

Voi­ci du reste la liste des délégués :

Fritz Heng et Albert Ber­nard, Sec­tion de la Chaux-de-Fonds ; — Ali Ebe­rhardt et Georges Ros­sel, Sec­tion de St-Imier ; — Alfred Andrié et Adhé­mar Schwitz­gué­bel, Sec­tion de Son­vil­lier ; — Jean-Louis Per­dri­sat et Jules Matile, gra­veurs et guillo­cheurs du Val-de-St-Itnier ; — Émile Pre­nez, Sec­tion de Por­ren­truy ; — J. D. Blin et Auguste Spi­chi­ger, Sec­tion du Locle ; Alexandre Cha­te­lain et Paul Hum­bert, gra­veurs et guillo­cheurs du Locle ; — Jean Steg­meyer, Sec­tion de Fleu­rier ; — B. Malon et J. Guillaume, Sec­tion de Neu­châ­tel ; — Pin­dy, Sec­tion de Lau­sanne ; — Dumay (du Creu­zot), Sec­tion de Genève.

Le bureau fut for­mé comme suit : Blin, du Locle, pré­sident ; Heng, de la Chaux-de-Fonds, vice-pré­sident ; les secré­taires furent choi­sis par­mi les inter­na­tio­naux non-délé­gués, afin que tous les délé­gués pussent par­ti­ci­per d’une manière active à la dis­cus­sion ; ce furent Goss et Chau­tems, du Locle, et Jean­ne­ret, de Neuchâtel.

Nous ne pou­vons pas, vu le cadre res­treint de notre Bul­le­tin, entrer dans les détails des déli­bé­ra­tions du Congrès du Locle ; nous nous bor­nons à en faire un résu­mé, sui­vi de la publi­ca­tion des réso­lu­tions adop­tées par le Congrès.

L’ordre du jour du Congrès a été fixé comme suit :

  1. Rap­port du Comi­té fédé­ral et affaires administratives.
  2. Ques­tion du Bulletin.
  3. Les sta­tuts géné­raux révi­sés par le Conseil général.
  4. La Fédé­ra­tion juras­sienne en pré­sence du pro­chain Congrès général
  5. Le mou­ve­ment ouvrier dans l’in­dus­trie horlogère.
  6. L’at­ti­tude des ouvriers socia­listes en Suisse, en pré­sence de l’a­gi­ta­tion révisionniste

Le Congrès, après avoir enten­du la lec­ture du rap­port du Comi­té fédé­ral, com­plé­té par des expli­ca­tions ver­bales, sur la situa­tion des Sec­tions de la fédé­ra­tion, se divi­sa en trois com­mis­sions char­gées de rap­por­ter et de pré­sen­ter des réso­lu­tions sur cha­cune des ques­tions à l’ordre du jour.

La 1re com­mis­sion, ayant à s’oc­cu­per des deux pre­mières ques­tions, pro­cé­da à la véri­fi­ca­tion des comptes du comi­té fédé­ral, à l’exa­men d’une pro­po­si­tion ten­dant à admettre dans la fédé­ra­tion des membres cen­traux, affi­liés direc­te­ment au comi­té fédé­ral, et de la ques­tion, tant finan­cière que morale, du Bul­le­tin. On lira plus loin les réso­lu­tions qu’a­dop­ta le Congrès sur ces dif­fé­rentes questions.

La 2me com­mis­sion devait s’oc­cu­per des 3me et 4me ques­tions. Ces ques­tions tou­chaient direc­te­ment à l’a­ve­nir de toute l’In­ter­na­tio­nale, aus­si la com­mis­sion, ain­si que le Congrès, les abor­dèrent-ils avec la plus scru­pu­leuse atten­tion. La com­mis­sion pré­sen­ta des réso­lu­tions bien moti­vées, aux­quelles le Congrès don­na son appro­ba­tion. L’une des causes des dis­sen­ti­ments exis­tants dans l’As­so­cia­tion, est l’une des réso­lu­tions de la Confé­rence de Londres, auto­ri­sant le Conseil géné­ral à rem­pla­cer les Congrès géné­raux par de simples confé­rences. La néces­si­té, pour l’In­ter­na­tio­nale, d’a­voir au plus vite un Congrès géné­ral, devient chaque jour plus évi­dente. Recher­cher les moyens d’as­su­rer la tenue du pro­chain Congrès géné­ral, fut donc une des pré­oc­cu­pa­tions prin­ci­pales du Congrès jurassien.

Les tra­vaux de la 3me com­mis­sion, abor­dant les 5me et 6me ques­tions, tou­chaient plus direc­te­ment les inté­rêts des popu­la­tions ouvrières hor­lo­gères. De la dis­cus­sion il res­sor­tit de pré­cieux ren­sei­gne­ments sur la situa­tion misé­rable de cer­taines caté­go­ries de pro­lé­taires ; cette situa­tion mise en paral­lèle avec celle qu’oc­cupent, par exemple, les ouvriers de l’in­dus­trie hor­lo­gère, démon­tra suf­fi­sam­ment que la posi­tion maté­rielle, de beau­coup plus pri­vi­lé­giée, des hor­lo­gers, leur impo­sait comme devoir de faire davan­tage pour l’af­fran­chis­se­ment des plus déshé­ri­tés. Mal­heu­reu­se­ment, on doit bien le consta­ter, il règne, chez une forte majo­ri­té des ouvriers hor­lo­gers, de funestes pré­ven­tions bour­geoises contre le reste du pro­lé­ta­riat, et trop sou­vent ce germe de bour­geoi­sie prend de telles pro­por­tions que les gens qui en sont atteints sont plus enne­mis de l’é­man­ci­pa­tion géné­rale des tra­vailleurs que les bour­geois eux-mêmes. — L’é­goïsme cor­po­ra­tif joue aus­si un rôle trop consi­dé­rable encore dans les reven­di­ca­tions ouvrières, et il faut, coûte que coûte, à moins que les socié­tés ouvrières ne veuillent tra­hir leur mis­sion, faire dis­pa­raître de leur sein les ten­dances étroi­te­ment cor­po­ra­tives ; l’es­prit d’une soli­da­ri­té géné­rale, lar­ge­ment pra­ti­quée, doit péné­trer toute l’ac­tion des ouvriers. — La ques­tion des grèves aus­si demande le plus sérieux exa­men ; il faut bien le dire : les grèves ne méritent pas d’une manière égale les sym­pa­thies des socia­listes, et avec la manière d’a­gir de cer­taines cor­po­ra­tions, nous ris­que­rions de voir créer une espèce d’a­ris­to­cra­tie ouvrière non moins dan­ge­reuse que la bour­geoi­sie elle-même. — Les réso­lu­tions adop­tées sont l’ex­pres­sion des idées émises dans cette discussion.

Sur la ques­tion poli­tique, le Congrès approu­va les conclu­sions du rap­port du comi­té fédéral.

La sec­tion de Genève pré­sen­ta une pro­po­si­tion concer­nant la pra­tique révo­lu­tion­naire de l’In­ter­na­tio­nale. Le Congrès, après une longue dis­cus­sion, nom­ma une com­mis­sion, char­gée de rédi­ger une réso­lu­tion expri­mant la pen­sée du Congrès sur la mis­sion qui incom­bait désor­mais à l’In­ter­na­tio­nale, dans les évé­ne­ments socia­listes-révo­lu­tion­naires. On trou­ve­ra plus loin cette réso­lu­tion, qui fut adop­tée à l’unanimité.

Le Congrès ter­mi­na ses tra­vaux par la dési­gna­tion du lieu du siège fédé­ral. — Son­vil­lier fut dési­gné comme siège du Comi­té fédéral.

Pour clore ce court expo­sé des déli­bé­ra­tions du Congrès du Locle, qu’il nous soit per­mis, au nom de toutes les sec­tions, de remer­cier les adhé­rents loclois qui ont cer­tai­ne­ment, par l’ac­cueil tout fra­ter­nel qu’ils ont fait aux délé­gués, contri­bué à la bonne réus­site du Congrès. 

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