Le préfet Renard est parti pour les colonies, flanqué de la veuve Cadum, son épouse. Les journaux unanimes l’ont accompagné de leurs vœux. Photographies, louanges, dithyrambes, rien n’a manqué à celui qui va désormais régner sur les nègres de l’Afrique équatoriale, aux lieux et place de l’illustre Antonetti.
Nous disons la presse anonyme. À notre connaissance, en effet, les organes de « gôche », s’ils n’ont pas embouché les trompettes, n’ont rien dit. C’est une façon d’applaudir. Ils ont applaudi Renard pour son avancement. Or, le 6 février n’est pas tellement loin qu’ils aient pu oublier que ledit Renard, alors préfet de la Seine, s’est solidarisé de belle manière avec le préfet de police, factieux, à qui l’autorité gouvernementale venait de fendre l’oreille.
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Comment qualifiez-vous un fonctionnaire en exercice qui se solidarise avec un fonctionnaire de même tonneau « démissionné » pour cause d’irrespect envers le pouvoir exécutif du régime auquel il a prêté serment d’obéissance ? Vous l’appelez lui-même un factieux dont le cas spécifique s’aggrave du fait qu’il a pris sa détermination sur le coup d’une indignation de conscience motivée par un acte gouvernemental qui, en soi, est juste du moment que le fonctionnaire jure fidélité et obéissance passive à l’autorité gouvernementale.
Oui, mais l’autorité gouvernementale existe-t-elle ? C’est une autorité à double face, si l’on peut dire. Capable de sévir arbitrairement contre les petits, elle cède et s’efface devant ceux qui sont forts, et c’est le cas de tous les hauts fonctionnaires inamovibles qui, au sommet des institutions, constituent la force réelle du régime.
Chiappe eût tenu, s’il l’avait voulu. Ne lui a‑t-on pas offert une vice- royauté au Maroc ? Son refus d’accepter un tel avancement a envenimé son cas. Il est apparu réellement indésirable, non pas pour ce qu’il a fait ou laissé faire, non pas pour son attitude, mais pour le non-conformisme qu’il a montré postérieurement. S’il n’est pas dit encore qu’il ait coupé les ponts et qu’une porte de sortie ne lui soit ménagée, il est à peu près certain que, pour le moment, et aussi longtemps que les circonstances politiques ne seront pas modifiées, nous ne le verrons pas sortir de la position où il s’est enfermé de plein gré.
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Son camarade Renard n’a pas eu les mêmes raisons de persévérer dans le non-être administratif – dans l’état de disponibilité, le voilà roi, et la république des camarades est à ses pieds. La moralité à tirer de ceci, n’est pas d’ordre individuel, mais d’ordre général.
Il apparaît bien qu’à partir d’un certain étiage dans la pyramide bureaucratique, on peut se permettre de « poindre » la république et elle vous « oint ».
Par contre, aux degrés inférieurs, là où une masse de petits fonctionnaires « oignent » la république électoralement, la république « poing » sévèrement. C’est l’inverse qui devrait avoir lieu. Mais les temps sont bien changés depuis Robespierre … Ce qui s’appelle la république est à f.… en bas. La république, la vraie, est entièrement à construire.