La Presse Anarchiste

Le colonialisme fléau mondial

Les colo­niaux fran­çais affir­maient volon­tiers que la poli­tique colo­niale fran­çaise dif­fère de celles anglaise ou hol­lan­daise, et que cette dif­fé­rence est à son avan­tage, étant don­né son libéralisme.

Cette affir­ma­tion ne consti­tue qu’une hypo­cri­sie de plus à l’ac­tif du colo­nia­lisme fran­çais et ne sert qu’à per­mettre à une presse sti­pen­diée de van­ter les bien­faits de la civi­li­sa­tion fran­çaise, géné­reu­se­ment appor­tée aux indi­gènes par une admi­nis­tra­tion tutélaire.

Au demeu­rant, le but stric­te­ment égoïste et mer­can­tile de la colo­ni­sa­tion fut publi­que­ment recon­nu par maints hommes poli­tiques inves­tis de fonc­tions colo­niales et Mau­rice Vio­lette – homme de « gauche » – et gou­ver­neur géné­ral de l’Al­gé­rie, recon­nait dans son fameux rap­port sur le bud­get des Colo­nies que « sou­te­nir que la colo­ni­sa­tion est domi­née par une idée dés­in­té­res­sée de por­ter la civi­li­sa­tion à des indi­gènes consti­tue une hypo­cri­sie ».

On retrou­ve­rait faci­le­ment de sem­blables aveux dans la bouche ou sous la plume des Sar­raut, Auga­gneur, Dou­mer et autres pro­con­suls exo­tiques de Marianne.

Cette véri­té géné­rale éta­blie, exa­mi­nons le bilan du colo­nia­lisme dans celle qui fut la plus pros­père des colo­nies fran­çaises : l’Indochine.

Ce vaste pays com­prend en fait une « colo­nie » au sens propre du mot : la Cochin­chine, l’empire d’Annam « pro­té­gé », le pro­tec­to­rat du Ton­kin et le royaume du Cam­bodge éga­le­ment « protégé ».

Ces vastes pays furent conquis de haute lutte par l’a­mi­ral Cour­bet et ses suc­ces­seurs et les atro­ci­tés de la conquête pour­raient faire l’ob­jet d’un long et dra­ma­tique récit. Il ne fau­drait pas croire que le sou­ve­nir de ces atro­ci­tés est abo­li dans l’es­prit des indigènes.

Certes, les com­mu­ni­qués offi­ciels vantent les bien­faits de la « paix fran­çaise », mais c’est là ver­biage pur, et les Anna­mites savent fort bien à quoi s’en tenir sur leurs « pro­tec­teurs » et maîtres.

Pour être objec­tif et impar­tial, il faut recon­naître que les Fran­çais ont appor­té en Indo­chine de réels pro­grès maté­riels : routes, che­mins de fer ins­truc­tion etc. Mais ces apports se fussent faits par la seule force des choses et sur­tout ils eussent pu se réa­li­ser dans la liber­té, ain­si que le prouve sur­abon­dam­ment l’é­vo­lu­tion du Siam, royaume voi­sin de l’Indochine, et où depuis 1926 il n’existe plus un seul fonc­tion­naire européen.

Et quand on parle de l’instruction appor­tée aux indi­gènes, il ne faut pas oublier qu’il y a quelques années encore les petits Anna­mites ânon­naient une « His­toire » com­men­çant par ces mots : « Nos ancêtres les Gau­lois aux yeux bleus !… ». Ici le gro­tesque se joint à l’odieux.

Il ne faut pas oublier non plus qu’un fonc­tion­naire anna­mite, ayant les mêmes diplômes qu’un fonc­tion­naire fran­çais, per­çoit des émo­lu­ments qui n’at­teignent pas le tiers de ceux du « conquérant ».

Quant aux pro­grès maté­riels – routes, che­mins de fer, indus­tries, etc. – si la classe riche anna­mite en pro­fite incon­tes­ta­ble­ment, la masse du peuple n’en connaît, elle, que les durs tra­vaux rétri­bués à des salaires de famine et la « cadouille » des surveillants.

Veut-on des exemples ?

La culture du caou­tchouc a néces­si­té le défri­che­ment de mil­liers d’hec­tares de forêt vierge, main­te­nant plan­tés d’hé­véas. La main‑d’œuvre néces­saire à ces tra­vaux est recru­tée dans les vil­lages ton­ki­nois par d’o­dieux indi­vi­dus dénom­més « recru­teurs de coolies ».

La méthode de ce recru­te­ment rap­pelle fâcheu­se­ment celles de la « presse » de jadis dans la marine royale et la plu­part du temps les mal­heu­reux coo­lies signent, sans savoir lire, un contrat qui les lie pour 3 ans, et fait d’eux les esclaves des planteurs.

Veut-on savoir, en outre, com­ment sont trai­tés ces mal­heu­reux ? Embar­qués, ou plu­tôt entas­sés, dans l’en­tre­pont d’un navire, ils ne débarquent que pour être entas­sés dans des camions grillés et conduits comme un trou­peau sur le lieu de leur esclavage.

Sait-on, en outre, les ravages que font les mala­dies, la sous-ali­men­ta­tion et les mau­vais trai­te­ments par­mi ces malheureux ?

Un exemple entre cent : 

Sur les plan­ta­tions Miche­lin à Soa­rieng, à la fron­tière de la Cochin­chine et du Cam­bodge, lors du défri­che­ment, il y eut sur l’ef­fec­tif des coo­lies une mor­ta­li­té s’é­le­vant au chiffre incroyable de 85 %. On a bien lu : sur cent mal­heu­reux recru­tés, 15 seule­ment sur­vé­curent !… (chiffres officiels).

Ces chiffres se passent de commentaires !

Et ce qui est vrai pour les plan­ta­tions l’est, hélas, pour les entre­prises ouvrières, pour les usines quelles qu’elles soient, en un mot pour toute la main‑d’œuvre indi­gène, à de rares excep­tions près.

Dor­ge­lès, dans la Route man­da­rine, a tra­cé une sombre pein­ture des char­bon­nages d’Hongaï, au Ton­kin. Cette pein­ture n’est que la faible expres­sion de la vérité.

L’in­dus­trie tex­tile ne le cède en rien aux autres. Les ouvriers y tra­vaillent plus de 12 heures par jour pour un salaire de quelques cents (envi­ron 1 fr. 50), et tout est à l’avenant.

Il est bien évident qu’un tel régime entraîne par­fois des révoltes. On retrouve assas­si­né un beau matin quelque sur­veillant par trop féroce. C’est alors la répres­sion impitoyable.

De plus, tout coo­lie de plan­ta­tion qui, las de souf­frir, s’é­vade et gagne la brousse, est consi­dé­ré comme déser­teur et tra­qué par la force publique comme un for­çat évadé.

Mais cette masse, mal­trai­tée, affa­mée, est bonne cepen­dant à payer l’im­pôt ! Et mal­heur à qui ne paie point : c’est la pour­suite impla­cable, la vente des hardes et l’a­troce misère qui dans le Del­ta ton­ki­nois affa­ma des vil­lages entiers.

On pour­rait écrire de longs cha­pitres sur les méfaits du colo­nia­lisme en Indo­chine. Résu­mons-nous : Chaque route, chaque plan­ta­tion, chaque mine ne s’é­di­fient qu’au prix de la mort et de la dou­leur de mil­liers d’êtres humains, et ce n’est pas une exa­gé­ra­tion que la méta­phore d’un écri­vain qui dénom­mait « caou­tchouc rouge » le pro­duit des plan­ta­tions d’hévéas.

Rouge ? oui ! du sang des mal­heu­reux coolies !

Un tel état de choses ne peut qu’en­gen­drer la haine et la révolte.

Ain­si s’ex­pliquent les tra­giques évé­ne­ments de 1930, et on sait com­ment fut répri­mé, à Yen-Baï et ailleurs, le mou­ve­ment de légi­time révolte du peuple d’Annam.

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