La Presse Anarchiste

Les hommes, les idées, les faits

Crétinisme « néo ».

Les gre­nouilles de la fable deman­daient un roi… Si l’on en croit la Presse et 1a T.S.F., le Fran­çais moyen d’au­jourd’­hui récla­me­rait… « un gou­ver­ne­ment qui gou­verne » ! Nous connais­sons ça. Comme on dit dans la mode, la for­mule « date ». Elle date pour qui connaît l’his­toire et qui a lu Gus­tave Lebon. Tel n’est pas le cas du citoyen B. Mon­ta­gnon, « dépu­té de Paris ». Ce citoyen-dépu­té doit sans doute à sa qua­li­té de « néo » des émer­veille­ments enfan­tins qui sont refu­sés, hélas ! au com­mun des mor­tels ayant un peu rou­lé sa bosse. Nous soup­çon­nons B. Mon­ta­gnon de reven­di­quer la pater­ni­té de la for­mule : un gou­ver­ne­ment qui gou­verne ! Et nous serions prêts à le féli­ci­ter de sa can­deur si cette can­deur, outre l’in­con­ce­vable igno­rance qu’elle révèle, chez un socialiste (

Que nous dit en effet Mon­ta­gnon ? Que propose-t-il ?

Qu’é­tant don­né la « carence » du gou­ver­ne­ment Dou­mergue en ce qui touche au « redres­se­ment », son impuis­sance à résoudre les prin­ci­paux et graves pro­blèmes que pose 1’heure pré­sente, étant don­né aus­si l’im­pos­si­bi­li­té de consti­tuer un minis­tère sans Dou­mergue – au cas où le « sage de Tour­ne­feuille » rejoin­drait, pour ne plus le quit­ter, son fief tou­lou­sain – et les dan­gers de guerre civile que pré­sen­te­rait une dis­so­lu­tion de la Chambre sui­vie d’un appel aux urnes, – il n’y a qu’un moyen pour sau­ver et le Par­le­ment et le pays : ce serait la consti­tu­tion d’une équipe de quinze hommes, propres, inat­ta­quables, éner­giques, choi­sis en rai­son de leur com­pé­tence et de leur « dyna­misme », ani­més de la volon­té farouche de sau­ver le pays de la misère et du chaos et qui pren­draient en mains les leviers de com­mande non pour s’en ser­vir, mais pour les faire ser­vir au bien public…

Et voi­là, ce n’est plus sor­cier que cela. Que Dou­mergue fiche le camp et que Mon­ta­gnon, flan­qué d’une équipe dyna­mique, s’ins­talle au Pou­voir et la situa­tion est sau­vée et tout marche à sou­hait et le Fran­çais moyen enfin doté du gou­ver­ne­ment qui gou­verne, auquel il aspire, n’a plus qu’à atteindre, sous l’orme de la confiance, la pros­pé­ri­té qui revient.

Un tel cré­ti­nisme désarme. Une telle hyper­tro­phie du « moi » poli­tique sur­tout écœure. Com­ment ! À l’heure où il appa­raît, clair comme le jour, qu’au-des­sus du per­son­nel poli­tique de l’É­tat règne une Bureau­cra­tie inamo­vible, immuable, incon­trô­lable, irres­pon­sable, qui mène tout à sa guise, qui domine les posi­tions les plus hautes, qui ne cède et n’o­béit jamais que dans la mesure où elle le veut bien et dont la seule force d’i­ner­tie est capable de réduire à néant les vou­loirs les plus affir­més et a « for­tio­ri » les vel­léi­tés pas­sa­gères, on vient nous chan­ter qu’il suf­fi­rait d’un chan­ge­ment de déco­rum poli­tique pour que le mal pro­fond se tra­duise en bien sur toute l’é­ten­due du domaine de l’É­tat ! Allons donc !

Le malaise social qui prend aujourd’­hui l’am­pleur et le carac­tère d’une mala­die incu­rable a ses causes les plus actives dans l’État bureau­cra­tique. Là est le carac­tère qu’il fau­drait extir­per de la socié­té en pre­mier lieu pour qu’elle reprenne san­té et vigueur. Cela ne suf­fi­rait pas encore, car il faut une refonte conco­mi­tante des mœurs, une renais­sance, une reva­lo­ri­sa­tion de l’in­di­vi­du, abî­mé par tout un réseau d’ins­ti­tu­tions nocives.

En tout cas, là et là seule­ment, résident les chances du salut.

Toute réforme de l’État par en haut, eût-elle le carac­tère d’une réforme « orga­nique », ne peut qu’en­dor­mir momen­ta­né­ment la souf­france, voi­ler tem­po­rai­re­ment la lèpre qui ronge la socié­té, mais, soyez-en sûrs la souf­france se réveille­ra plus vive que jamais, et les ravages de la lèpre conti­nue­ront comme de plus belle.

C’est d’en bas que doit venir le salut.

À propos de cumul

Un jour­nal du bâti­ment posait l’autre jour la question :

« Les fonc­tion­naires des tra­vaux publics conti­nue­ront-ils à faire concur­rence aux archi­tectes et ingénieurs ? »

Et il citait que, sur la pro­tes­ta­tion des asso­cia­tions pro­fes­sion­nelles, le bras droit du ministre de l’In­té­rieur avait atti­ré à nou­veau dans les termes qui suivent l’at­ten­tion de ses subordonnés :

« Je vous serais obli­gé de faire appel à la conscience pro­fes­sion­nelle des fonc­tion­naires pla­cés sous vos ordres et à leur sen­ti­ment de soli­da­ri­té natio­nale pour qu’ils s’abs­tiennent de telles pra­tiques et « consacrent exclu­si­ve­ment leur acti­vi­té » à la charge qui leur a été confiée par l’État et qui leur assure un trai­te­ment fixe. »

Le jour­nal ajoutait :

« Il est inad­mis­sible, dans la période que nous tra­ver­sons, que des gens assu­rés de leur gagne-pain viennent déli­bé­ré­ment empê­cher les autres de gagner leur vie. »

Et, scep­tique quant à l’ap­pel à la conscience pro­fes­sion­nelle des fonc­tion­naires cumu­lards, il vou­lait qu’un ordre impé­ra­tif leur fût don­né, appuyés de sanctions.

Les fonc­tion­naires aux­quels il est repro­ché ici de « man­ger le pain » des archi­tectes et ingé­nieurs sont évi­dem­ment d’as­sez hauts fonc­tion­naires, pro­ba­ble­ment des chefs de ser­vices dont les émo­lu­ments ne sont pas infé­rieurs à cin­quante mille francs l’an, et peuvent dépas­ser cent mille francs comme cela se voit. Ce n’est donc pas, à pro­pre­ment par­ler, le « besoin » qui les pousse à mon­nayer leurs loi­sirs, et leur temps d’ac­ti­vi­té bureau­cra­tique, auprès d’en­tre­pre­neurs « à la page » ou d’ad­mi­nis­tra­tions subal­ternes, dont ils se font les « conseils ». Qu’est-ce alors sinon la soif de lucre, l’ap­pé­tit de jouis­sance ou l’a­va­rice sor­dide ? Nobles qua­li­tés qui hantent de nobles consciences, n’est-ce pas ! On conçoit que le défen­seur des droits de l’ar­chi­tecte et de l’in­gé­nieur demeure scep­tique quant aux appels à la « conscience pro­fes­sion­nelle » lan­cés par le bras droit minis­té­riel à ses subor­donnes. Et d’autre part, attendre de menaces et de sanc­tions une ren­trée dans l’ordre de hauts fonc­tion­naires imbus des pré­ro­ga­tives de la fonc­tion et puis­sants, même par leur force d’i­ner­tie. Il n’est pas né, en répu­blique des cama­rades, celui qui enta­me­ra cette guerre.

D’ailleurs l’es­prit de cumul, l’es­prit qui consiste à tirer à soi toute la cou­ver­ture, à s’ad­ju­ger tous les pro­fits à la ronde, et les hochets par sur­croît, ne consti­tue-t-il pas le fonds même des mœurs du régime ?

Ce n’est pas parce que des avan­tages de posi­tion rendent plus fruc­tueuses aux uns des « com­bines » que cha­cun vou­drait employer pour son propre compte, qu’il faut s’in­di­gner, qu’il faut pro­tes­ter. Non. C’est parce que les ins­ti­tu­tions et l’é­tat géné­ral des choses ne per­mettent guère que la pro­bi­té et la pro­pre­té se répandent.

Indus­triels qui sont des fli­bus­tiers. Fonc­tion­naires qui se vendent et qui s’achètent au plus offrant. Beso­gneux en mal de com­bines ou de sys­tème D, tout est à mettre dans le même sac. Mais ne confon­dons pas les effets avec les causes. Les effets seront irré­duc­tibles aus­si long­temps que les causes seront res­pec­tées. Et c’est ce que le jour­nal du bâti­ment n’a pas l’air de comprendre.

Inhumainement et sans mesure

Donc Vio­lette Nozière a été condam­née à la peine de mort, pour le prin­cipe. Cette jeune per­sonne, elle avait dix-huit ans, ado­les­cente tarée au phy­sique et au moral, mais dont le cœur, comme dit le poète, « aurait pu réflé­chir encore sous un peu de jus­tice et d’a­mour », cette Manon de quar­tier latin, cette Made­leine, cour­ti­sane du diable, vouée aux tour­ments de l’Erèbe sans rémis­sion, n’a pas trou­vé grâce dans le cœur her­mé­tique de douze jurés farou­che­ment but­tés et intran­si­geants, sur le cha­pitre de la famille et de l’honneur.

Mais peut-être cette fille per­due qui, par­mi les quelque vingt mille « filles en carte » que compte la capi­tale et les cen­taines de mille « femmes hon­nêtes » qui pra­tiquent dili­gem­ment la pros­ti­tu­tion clan­des­tine, est deve­nue un « monstre », peut-être ne savait-elle vas jouer la comédie ?

Ah ! si elle avait eu les poses si avan­ta­geu­se­ment rési­gnées d’une Huot d’Anglemont, ou de tonte autre, par­mi les « femelles à la vulve infé­conde » qui, d’un geste tou­jours élé­gant ont envoyé dans l’autre monde leur amant ou leur mari et que le jury plein d’ atten­dris­se­ment a acquit­tées, peut-être eût-elle trou­vé le joint par lequel s’é­coule la pitié bourgeoise ?

Mais non, ce monstre de 18 ans, trop jeune sans doute, n’a­vait pas l’ex­pé­rience de la femme faite. Elle « n’a pas su y faire », comme on dit au quar­tier latin, cette pépi­nière des élites… 

Jamais sans doute, cas patho­lo­gique, n’a révé­lé plus clai­re­ment l’effroyable déter­mi­nisme social s’a­bat­tant sur une créa­ture humaine à peine née à l’exis­tence adulte. Jamais la science et la socio­lo­gie n’ont été mieux armées pour déce­ler les causes qui ont pro­duit un tel effet monstrueux.

Et l’on a condam­né l’ef­fet, en écar­tant les causes. La science et la socio­lo­gie se sont enfuies comme petites filles apeu­rées devant les furies déchaî­nées de Mon­sieur le pro­cu­reur Gaudel.

Oubliant son rôle pré­cé­dent d’Hérault de Séchelles – mar­quis d’an­cien régime ral­lié à la bour­geoi­sie vol­tai­rienne, à la bour­geoi­sie des droits de l’homme et cœur magna­nime, sans qu’il soit pour cela une des figures les plus pures de la Révo­lu­tion, – le pro­cu­reur Gau­del a déployé tous les moyens d’un Lau­ber­de­mont pour obte­nir la tête de la par­ri­cide… Ce n’est pas pour s’en faire un tro­phée sans doute !

Qu’il nous soit per­mis de le dire, comme nous le pen­sons, comme le pensent tous les hommes qui ont le sen­ti­ment de la mesure, – la Jus­tice a exa­gé­ré, la Jus­tice a dépas­sé même les bornes de l’a­veugle vindicte.

Vio­lette Nozière ne valait pas une condam­na­tion capi­tale. Hérault de Séchelles n’eût pas lais­sé com­mettre un tel impair…

Chose vue

Rue de Bre­tagne… les petites voi­tures pleines de vic­tuailles… Les femmes du peuple s’affairent autour de Crain­que­bille. Sur le trot­toir, en face, l’une d’elles, empor­tant ses pro­vi­sions, glisse sur le pavé gras et tombe.

À ce moment passe un blanc-bec en uni­forme bleu ; képi d’a­zur avec lisère d’or, insignes et des bottes de cuir fauve.

Il passe raide ten­dant le jar­ret, agi­tant sa cra­vache, sans dai­gner regar­der cette femme qui a pu se bles­ser grièvement.

Un homme se pré­ci­pite, relève la femme d’un mou­ve­ment doux, lui demande si elle a mal, se pro­pose pour l’ac­com­pa­gner… C’est un ouvrier en cote de travail.

Une très vieille femme est aus­si accou­rue de toute la vitesse que lui per­mettent ses pauvres jambes. Elle s’in­forme, elle s’in­quiète : pre­nez garde ! une chute est tou­jours mau­vaise, n’ou­bliez pas de vous frot­ter avec de l’ar­ni­ca… C’est une femme du peuple.

Auxiliaires bénévoles

Un homme était tra­qué dans la forêt de Fontainebleau…

Des spé­cia­listes en uni­formes équi­pés en guerre, appoin­tés et paten­tés, qui fai­saient leur métier, étaient à ses trousses.

De cou­ra­geux citoyens qui ne sont ni des spé­cia­listes en uni­forme, ni des appoin­tés, ni des paten­tés, ont prê­té main­forte aux pro­fes­sion­nels et, la cir­cons­tance aidant, ont livré l’homme traqué.

Comme quoi nous disait l’homme de la rue, dans l’âme de cer­tains êtres, trop nom­breux, hélas ! il n’y a pas qu’un cochon qui som­meille, il y a aus­si une bourrique…

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