La Presse Anarchiste

La guerre qui vient … Civils et Militaires

« La mobi­li­sa­tion n’est pas la guerre ! » fit appo­ser sur les mur de Paris, Poincaré. 

Pour la pro­chaine der­nière point besoin ne sera de cette hypocrisie. 

Avec ou sans décla­ra­tion préa­lable, la guerre se fera. Mobi­li­sés de gré ou de force, civils et mili­taires, tous confon­dus, seront mêlés aux déchai­ne­ments du monstre. 

On ne peut feindre de l’i­gno­rer, la guerre du plan mili­taire qu’elle était, est deve­nue un plan civil. 

Le rôle « effa­cé » que les armes joue­ront est dif­fi­ci­le­ment contes­table, puisque le but de la nation enne­mie sera d’at­teindre, non l’ar­mée qui est devant ses fron­tières, mais le cœur même du pays, ses centres de pro­duc­tion. Là réside actuel­le­ment l’issue, la déci­sion prompte, qui don­ne­ra la « vic­toire » à l’un ou à l’autre des belligérants. 

C’est donc bien la fin de la lutte contre l’en­ne­mi en armes. Nous en arri­vons pré­sen­te­ment à accep­ter l’as­sas­si­nat des popu­la­tions civiles. 

Le bar­bare d’hier devien­dra un héros demain. Les Huns, les Magyars, les Mon­gols sont de bien piètres pré­cur­seurs des guer­riers de demain. 

On se sou­vient encore de l’indignation, savam­ment exploi­tée d’ailleurs, des crimes com­mis par les armées alle­mandes enva­his­sant la Bel­gique et le Nord de la France. On parle moins et pour cause de la péné­tra­tion paci­fique du Congo Belge, du Maroc ou des colo­nies fran­çaises et anglaises, de l’ac­tion des troupes anglaises contre les Boers, les Irlan­dais ou dans les Indes.

On feint d’i­gno­rer le rôle des armées dans les conflits sociaux. On pense au mépris qu’ins­pi­rait aux civi­li­sés que nous sommes, les peuples sau­vages qui au cours des hos­ti­li­tés met­taient à mort les popu­la­tions civiles qui ne par­ti­ci­paient pas à la guerre, cepen­dant que cer­tains se réjouis­saient de ce que l’ar­mée, gen­dar­me­rie et la police mataient les révoltés.

Quand « l’ordre » est en jeu, qu’im­portent les méthodes d’ac­tion. Il faut sau­ver la situation.

Les scènes de sau­va­ge­rie poli­cière sont accep­tées par ceux-là mêmes qui crient leur indi­gna­tion, leur hor­reur du sou­dard enne­mi. La morale a de ces accom­mo­de­ments quand il s’a­git de la patrie et du coffre-fort. 

Mais demain, ce qui n’é­tait qu’ac­ces­soire mal­gré tout, durant les hos­ti­li­tés, devien­dra règle commune. 

Sans doute le blo­cus allié fait contre des popu­la­tions civiles, y com­pris celles de Bel­gique et de France occu­pées, tem­pé­ré par le ser­vice dit de ravi­taille­ment, auto­ri­sé par l’en­ne­mi qui en tirait pro­fit, montre jus­qu’à quel point déjà durant la guerre de 1914 – 1918 l’élé­ment civil se mêlait à la guerre. 

Puis ce fut l’exil, le démé­na­ge­ment for­cé, l’é­va­cua­tion stra­té­gique néces­si­tés par les besoins de la défense nationale. 

De plus en plus, par l’in­ter­dé­pen­dance des indus­tries de paix et de guerre, toute l’économie d’un pays apporte sa « contri­bu­tion » au conflit. 

Ce n’est plus seule­ment le mili­taire qui par­ti­cipe à la guerre, mais la nation toute entière. 

Ce peut-il, mal­gré tout, que l’on trouve encore de chauds par­ti­sans de la guerre chimique ? 

Il y aura tou­jours des fous et des incons­cients et les cri­mi­nels ne sont pas tou­jours ceux que les « pou­voirs » et la vin­dicte sociale emprisonnent. 

Vain­cue, la puis­sance de l’ar­mée paraît dans les com­bats futurs chose secon­daire. Ce qu’il faut, c’est agir sur la « volon­té » du peuple enne­mi, sur sa capa­ci­té· de résistance. 

Cette volon­té, cette capa­ci­té, on la trouve au cœur même des cités ; c’est donc sa vie sociale, son acti­vi­té indus­trielle qu’il faut atteindre.

L’arme chi­mique et bac­té­rio­lo­gique offre les moyens et les pos­si­bi­li­tés d’y réussir.

« Il n’y a plus de dis­tinc­tion entre l’a­vant et l’ar­rière et la nation toute entière est dans la ligne de feu. »

Cette concep­tion de la guerre fut ébau­chée lors du conflit mon­dial 1914 – 18 lorsque pour atteindre les centres de ravi­taille­ment de l’ar­mée les avions venaient bom­bar­der l’arrière.

En Bel­gique occu­pée, mal­gré l’a cer­ti­tude qu’en bom­bar­dant, les alliés ris­quaient de tuer les popu­la­tions civiles amies, l’a­via­tion vint bom­bar­der et cer­tains centres repé­rés. C’é­tait, en petit, la guerre faite aux civils, pre­miers signes avant-cou­reurs de celle qui serait livrée demain. 

Deux fac­teurs, dont l’im­por­tance ne peut être contes­tée, joue­ront le rôle déci­sif des batailles futures. De là décou­le­ront les règles direc­trices qui mène­ront la guerre. 

On peut les syn­thé­ti­ser comme suit : 

1o. L’en­ne­mi cher­che­ra à atteindre les centres d’ac­ti­vi­té éco­no­mique de son adver­saire et diri­ge­ra contre eux des attaques aériennes. S’il triomphe, sa vic­toire aura une impor­tance déci­sive incontestable. 

2o. L’en­ne­mi ten­te­ra de créer la ter­reur chez les popu­la­tions enne­mies, en bom­bar­dant les villes. Cela déter­mi­ne­ra ces col­lec­ti­vi­tés à exi­ger de leur gou­ver­ne­ment une paix immédiate. 

Du simple énon­cé de ces deux règles on peut faci­le­ment com­prendre com­bien demain la guerre attein­dra bien plus les civils que les militaires. 

La des­truc­tion des centres éco­no­miques ne fait plus aucun doute. 

Il était beau cet ordre du jour du fameux géné­ral Poillouë de Saint-Mars, lorsque vers 1910, par­lant de son « écrin », il ordon­nait : « Le pied du sol­dat, ins­tru­ment de la vic­toire, est un bijou dont on ne sau­rait prendre trop de soin ; c’est pour­quoi un chef de corps ne sau­rait por­ter trop d’at­ten­tion à la chaus­sure qui en est pour ain­si dire l’écrin. »

Il s’a­git bien du pied du sol­dat, ins­tru­ment de la vic­toire, et même de ses godillots. Aujourd’­hui, c’est vers d’autres écrins que le pro­grès s’est tourné. 

Cet écrin, de plus en plus, c’est la capa­ci­té indus­trielle des nations, c’est sa force pro­duc­trice de maté­riel de guerre. Là réside sa force, l’ins­tru­ment de la victoire. 

Le pays qui sera arrê­té dans sa pro­duc­tion de maté­riel guer­rier, avions, tanks, canons et mitrailleuses, trac­teurs et autos de toutes sortes, celui qui ne pour­ra plus fabri­quer des muni­tions et des gaz sera bien prêt d’être vaincu. 

On voit par-là que dans l’a­ve­nir l’es­sen­tiel pour un pays qui veut vaincre sera, d’une part de pro­té­ger sa pro­duc­tion et, d’autre part, comme dans la lutte c’est à celui qui prend l’of­fen­sive que la chance de triom­pher sou­rit, ce sera le pays qui para­ly­se­ra et anéan­ti­ra le pre­mier la pro­duc­tion éco­no­mique de son enne­mi qui sera le vainqueur. 

Qu’im­portent alors les effec­tifs mili­taires sans maté­riel, sans armes et sans gaz, ils devront s’in­cli­ner sous la loi ennemie.

L’ac­cep­ta­tion de telles méthodes de lutte implique, cela va sans dire, la confu­sion dans la bataille des civils et militaires. 

En plus, l’o­pi­nion publique mal­gré sa ver­sa­ti­li­té, sachant même com­ment les gou­ver­ne­ments la plient à leurs ambi­tions, devra être récon­for­tée, sinon ce sera la panique. 

Or, les bobards de 1914/​ 18, les armées pri­son­nières et en déroute chez les enne­mis qui tirent les frais des com­mu­ni­qués gran­di­lo­quents, ne seront plus de mise. Impos­sible de cacher la réalité. 

Devant la pers­pec­tive de la mort, les popu­la­tions s’a­gi­te­ront sans doute et les pré­oc­cu­pa­tions qui consis­taient à démon­trer le bien-fon­dé de cette guerre uni­que­ment basée sur la défense du droit outra­gé (comme l’en­tre­tien par les bobards des com­mu­ni­qués quo­ti­diens de la cer­ti­tude de la vic­toire), seront d’un autre âge. 

Je m’i­ma­gine dif­fi­ci­le­ment ce qu’on trou­ve­ra de nou­veau. Il faut espé­rer que nos popu­la­tions se refu­se­ront d’ac­cep­ter le nou­veau bour­rage de crâne façon 19… Mais les méthodes de guerre dif­fé­rentes sont déjà accep­tées par les mili­taires et les experts, Alors, puisque la chose est acquise et que s’ac­croit le déve­lop­pe­ment tech­nique guer­rier, la popu­la­tion valide, hommes et femmes, par­ti­ci­pe­ra soit au front, soir à l’ar­rière, comme sol­dat, ou comme ouvrier, au conflit de demain. Les enfants, les vieillards, les inva­lides, tous indis­tinc­te­ment seront expo­sés aux attaques aériennes. 

On pré­pare le sui­cide col­lec­tif du monde. 

Il appar­tien­dra donc aux popu­la­tions de l’ar­rière de sup­por­ter des épreuves qui, certes, seront sen­si­ble­ment plus redou­tables que celles que sup­por­te­ront les sol­dats dont l’ha­bi­tude au com­bat est acquise. La guerre dans la troi­sième dimen­sion sera la nou­velle méthode de guerre. 

[/​Hem Day./]

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