La Gazette de Francfort a publié récemment une correspondance de Madrid relative aux différends de principes séparant social-démocrates et syndicalistes espagnols.
On sait qu’entre socialistes et syndicalistes espagnols une entente avait été conclue en vue d’une action commune. Mais bientôt les conflits sont survenus et, pendant les dernières grèves, la rupture est devenue décisive.
La Gazette de Francfort fait un exposé des conceptions que préconisent les camarades syndicalistes espagnols, et, comme, à plusieurs points de vue, ces conceptions sont partagées dans nos milieux français, il est intéressant de s’y arrêter.
« À la tête du mouvement syndicaliste, dit le journal allemand, se trouve un homme conscient, encore jeune et qui se montre intelligent et énergique, Salvator Segni, qui habite Barcelone lorsqu’il n’est pas en tournée de propagande. »
(Nous ajoutons qu’actuellement le camarade Segni est parmi les déportés.)
« Nos premiers et plus effectifs efforts, a écrit Segni quelques jours avant son arrestation, dans une déclaration, vise l’union des ouvriers de tous les pays. Mais nous désirons délivrer l’Union ouvrière internationale de la tutelle du Parti socialiste. L’Union, à laquelle adhèrent des éléments fort révolutionnaires, comme l’Union des Mineurs des Asturies, les ouvriers des aciéries et fonderies de Biscaye et les Syndicats madrilènes, ne devra pas rester plus longtemps sous des influences extérieures. J’entends, sous le nom d’influences extérieures, ajoute Segni, celles du Parti socialiste. Il est bien possible que ce Parti se compose également de travailleurs — travailleurs manuels et intellectuels, mais leurs tendances et leurs efforts sont, au fond, opposées aux nôtres. Nous admettons que la lutte de classes ne saurait être menée que par une action syndicale active, et que les autres actions et buts ne peuvent qu’y apporter la confusion. Nous ne devons rien avoir de commun avec les partis bourgeois, même en ce qui concerne leur méthode de lutte. »
« Le socialisme — Segni parle de la social-démocratie ¬— n’est, en somme, que l’extrême-gauche de la bourgeoisie. Le fossé qui le sépare du syndicalisme ne petit pas être comblé. Nous voulons nous abstenir complètement des luttes électorales. Il est avéré que nous sommes des anti-parlementaires… »
« On nous a dit, pour nous faire participer aux élections, que les communistes russes, qui dominent la République des Soviets, ont déjà pris part aux élections avant leur victoire.
« Mais nous ne sommes pas des communistes russes. Ceux-ci nous sont très sympathiques, et nous nous sentons liés à eux, mais la situation ici est tout autre que dans l’ancien empire des Tsars et nous ne considérons pas comme intelligent de suivre, de façon docile, le modèle russe. La révolution s’accomplira, en Espagne, de tout autre façon qu’en Russie. »
Voilà quelques-unes des thèses essentielles de la déclaration de Salvator Segni.
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La rupture du pacte
Les journaux de Madrid, du 18 décembre, ont publié un manifeste de la Confé-dération Nationale du Travail, déclarant que son pacte avec l’Union Générale des Travail¬leurs doit être considéré dorénavant comme rompu. Voici le texte de ce manifeste :
« La situation dans laquelle nous nous trouvons, nous oblige à faire connaître à toute la classe ouvrière d’Espagne la trahison manifeste de l’U.G.T. Dans un moment où une attitude décidée et énergique aurait pu faire échouer la répression gouverne¬mentale dont nous souffrons depuis deux ans, nous les militants qui sommes à l’avant-garde du mouvement ouvrier révolutionnaire, le parti socialiste, dont l’influence sur l’U.G.T. est bien connue, a donné la préférence aux intérêts politiques du parti, au lieu d’appuyer une action d’ensemble répondant aux nécessités du moment.
« Notre protestation n’a pas eu toute l’intensité voulue parce que les dirigeants de l’Organisation sus-indiquée ont préféré collaborer avec le régime bourgeois et s’opposer à notre action, en raison des promesses reçues du Gouvernement datiste. »