La Presse Anarchiste

Le Pacifisme n’a pas besoin de « savants »

Aujourd’hui, tout le monde, ou presque, s’affirme paci­fiste. En paroles, bien enten­du. Quelques mots échan­gés, quelque part dans un bar, et tout paci­fiste, même le plus « total », se croit d’accord avec le pre­mier venu. Un accord si par­fait qu’il pour­rait appa­raître comme un pré­lude à de splen­dides et uni­ver­selles ententes.

Ah ! la guerre !

Tout le monde est d’accord pour la mau­dire. Il n’y a plus de Joseph de Maistre pour la justifier.

Pas même un trou­ba­dour pour la chan­ter. Pas même un académicien.

Mais si la conver­sa­tion se pro­longe, pour peu que quelques per­sonnes y prennent part, si le débat s’accentue, le paci­fiste « total » se voit bien­tôt sub­mer­gé par un flot d’objections contra­dic­toires. Il s’aperçoit bien vite de son iso­le­ment. En vain per­siste-t-il à affir­mer que la seule preuve des inten­tions paci­fiques d’une nation, c’est le désar­me­ment et l’abolition de la ser­vi­tude mili­taire ; en vain, fai­sant appel aux évi­dences, pro­clame-t-il que cette ser­vi­tude est entre­te­nue, culti­vée, glo­ri­fiée, par ceux-là mêmes qui la subissent.

Paroles per­dues dans le brou­ha­ha de l’assistance !

Une maman lui décoche en plein visage un argu­ment défi­ni­tif : « Il faut bien des sol­dats pour pro­té­ger nos enfants ! »

Et voi­là de nou­veau le sol­dat glo­ri­fié. Tout à l’heure, on n’évoquait que des vic­times ; main­te­nant, on cite des héros ; on ne par­lait que de char­niers… et nous voi­ci aux champs d’honneur

Le paci­fiste, sub­mer­gé, n’en peut plus ; il est prêt à quit­ter la partie.

C’est à ce moment que le « Tech­ni­cien-de-la-Paix » inter­vient : « Allons, dit-il, je vois que tu es un pauvre type qui ne ton­nait rien des don­nées du problème ! »

Le mot est lan­cé ! La Paix devient un pro­blème. Il faut le résoudre !

Le « Tech­ni­cien-du-bon­heur-des-hommes » est désor­mais à son affaire. Il dis­cute des droits de ceux-ci et de ceux-là. Et devant son audi­toire sub­ju­gué par sa faconde, il abou­tit à cette conclu­sion qu’il faut impo­ser la paix au monde, même par la guerre !

Nous en sommes là !

Mal­gré cette qua­li­té de « paci­fistes » dont s’affublent tant de gens, soyons per­sua­dés que le « paci­fiste bêlant » est un indi­vi­du de la plus rare espèce. Aus­si est-ce un titre que je porte fiè­re­ment depuis 1914 et, sur­tout, depuis que j’ai consta­té, en 1940, les per­for­mances des patriotes pro­fes­sion­nels entre Dun­kerque et les Pyrénées.

Mais pour­quoi nous van­ter d’avoir bêlé avant tant d’autres ?

Ce qui est grave, c’est de consta­ter que tant de san­glantes épreuves n’ont pu avoir rai­son des plus stu­pides slo­gans. Les foules res­pectent non seule­ment les cli­chés ora­toires comme les pages roses du Larousse, mais elles en arrivent à répri­mer leurs sen­ti­ments les plus natu­rels ; l’instinct mater­nel lui-même semble insuf­fi­sant pour les gar­der dans le che­min de la raison.

Or ce sont des sen­ti­ments très simples qui doivent nous réunir. Le véri­table paci­fisme n’a pas besoin de « savants ». Il ne suf­fit que d’un peu de bon sens pour y aboutir.

La Paix ne doit pas être consi­dé­rée comme un problème.

C’est une solution.

À cette heure, d’immenses trou­peaux d’hommes de toutes les cou­leurs, de toutes les races, au lieu de se ras­sem­bler, fra­ter­nel­le­ment, pour une libé­ra­tion unique dans leur His­toire et par leur seul refus d’obéir à des ordres de sui­cide, s’obstinent à en dis­cu­ter, à y trou­ver des sujets de dis­corde, à s’égarer en des dis­cus­sions tota­le­ment étran­gères à leurs inté­rêts immé­diats. Sottise !

Ils me font pen­ser à une basse-cour où chaque vola­tile argu­men­te­rait sur la fer­mière ou le fer­mier, sur les torts de celui-ci ou de celle-là, sur la tech­nique de la bécha­mel et sur ce qui jus­ti­fie ou non la pro­chaine héca­tombe dans le pou­lailler pour le réveillon de Noël !

[/​Aurèle Pator­ni./​]

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