La Presse Anarchiste

Curieux cas de profanation

J’ai publié, voi­ci quelques mois, dans une revue étran­gère de péda­go­gie, un texte dont je n’indiquais pas la pro­ve­nance et qui concer­nait un per­son­nage que je deman­dais au lec­teur d’identifier. Une récom­pense était attri­buée à la solu­tion de ce sin­gu­lier rébus qui tenait dans cette phrase.

« Cet homme, dont la vie se pas­sa dans les batailles, payait rare­ment de sa per­sonne ; c’est par la tête qu’il était géné­ral. Asia­tique dans tous ses ins­tincts, il ne pla­çait même la guerre qu’après la poli­tique, don­nant tou­jours le pas aux cal­culs de la ruse sur la vio­lence et les esti­mant davan­tage. Créer des pré­textes, enta­mer des négo­cia­tions à tout pro­pos, les enche­vê­trer les unes dans les autres comme les mailles d’un filet où l’adversaire finis­sait par se prendre, tenir per­pé­tuel­le­ment son enne­mi hale­tant sous la menace, et sur­tout savoir attendre c’était là sa suprême habi­le­té. Le pré­texte le plus futile lui sem­blait bien sou­vent le meilleur, pour­vu qu’on n’y pût pas satis­faire : il le quit­tait, le repre­nait, le lais­sait dor­mir pen­dant des années entières, mais ne l’abandonnait jamais… »

À mon grand amu­se­ment, l’unanimité dési­gna le maré­chal Sta­line. Un cer­tain nombre de lettres pla­çaient la ques­tion sur un ter­rain très par­ti­cu­lier. Elles pro­dui­saient à mon inten­tion quelques dou­zaines d’épithètes dont, par­mi les moins ima­gées, celles de ven­du, canaille, rési­du de la putré­fac­tion bour­geoise, etc.

Or, il ne s’agissait nul­le­ment du grand et génial Père des Peuples. Ce texte était de l’historien Goth Jor­da­nès, qui écri­vit en latin, au vie siècle, des com­pi­la­tions utiles à consul­ter sur les mœurs de son époque. Le géné­ral dont il parle, n’est autre que le fameux fléau de Dieu, le ter­rible Attila…

Que le visage de la tyran­nie altaï­co-oura­lienne des temps pas­sés puisse s’identifier avec celui de Sta­line à tel point que ses fidèles en recon­naissent l’image, je n’y peux rien et je n’en suis pas plus res­pon­sable que de l’entêtement des fana­tiques qui s’obstinent à refu­ser aux autres le droit à l’indifférence et à la moque­rie des Dieux.

[/​Serge./​]

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