La Presse Anarchiste

D’un ignorant à un mathématicien

… je serais extrê­me­ment curieux de savoir, à titre de curio­si­té scien­ti­fique, com­ment les Ser­vices Cultu­rels pensent que je puisse répondre avant le 15 et à une lettre qui me par­vient le 21… Ça me paraît enfon­cer net­te­ment la théo­rie d’Einstein…

A. W…

Nous pen­sons que la théo­rie d’Einstein est « enfon­cée » depuis long­temps, depuis tou­jours. Ceci, sans faire allu­sion aux réfu­ta­tions « irré­fu­tables » déjà publiées ou sous presse, sim­ple­ment parce qu’il suf­fit de se sou­ve­nir de l’adage « Véri­té d’au­jourd’­hui, Erreur de demain » pour l’admettre.

Toutes les théo­ries, scien­ti­fiques, théo­lo­giques ou phi­lo­so­phiques, pou­vant être consi­dé­rées comme faus­sées à leur base, par le dog­ma­tisme de leurs propres affir­ma­tions. Car, l’on ne sau­rait enser­rer la Vie – le Temps, l’Espace – en le cor­set de fer d’une théo­rie quel­conque, sans qu’elle ne le fasse voler en éclats quelque jour.

Quant à l’impossibilité, plus appa­rente que réelle, qui semble exis­ter pour répondre le 15 a une lettre reçue le 21, il suf­fi­sait à M. W… de prendre place en la « Machine à explo­rer le Temps », de W… – non, de Wells – pour se rendre compte de l’extrême faci­li­té qu’il y a, au contraire, pour un super­homme de l’an 37 760 (ère bénie et si hau­te­ment spi­ri­tuelle du ciment armé et de la graisse consis­tante) pour tis­ser une idylle avec la plus char­mante des anthro­po­pi­thèques, au sein des luxu­riantes forêts de l’époque tertiaire…

Fan­tai­sie pure ? Voire…

Ceci, sug­gé­rant, tout au moins, à qui, aux beaux jours de la vitesse bolide (en toutes choses), a encore la pos­si­bi­li­té de déro­ber quelques minutes à ses occu­pa­tions quo­ti­diennes pour pen­ser, qu’il est dif­fi­cile de ne pas ima­gi­ner que tout n’est qu’apparences, et que sont sans signi­fi­ca­tion – dans la dou­teuse suc­ces­sion des âges, inven­tée pour la com­mo­di­té de cer­veaux trop étroits pour y loger l’Éternité et l’Infini – les dates des 15 et 21 ou vice-versa…

Car, comme il ne sau­rait y avoir de limite à l’Infini, il ne sau­rait y avoir, davan­tage, de com­men­ce­ment, de conti­nua­tion, de fin…, d’avant, d’après…, de pas­sé, de pré­sent, de futur, à ce qui, en Soi, ne pour­rait en com­por­ter : l’Éternité.

Celle-ci ne pou­vant être divi­sible, ni par 15, ni par 21, ne pou­vant être frac­tion­née, sans ces­ser d’être l’Éternité.

D’où il découle que ce qui, aux faibles yeux et à l’entendement aus­si rudi­men­taire qu’orgueilleux des pous­sières cos­miques bap­ti­sées hommes, paraît être, à l’instant où elles res­pirent, fut tou­jours, sera à tout jamais.

Étant don­né qu’en Éter­ni­té, tout ce qui avait a être déjà fut… Étant incon­ce­vable une Éter­ni­té par der­rière et une Éter­ni­té par devant… Elle est une ou n’est pas…, ce qui serait tout aus­si inconcevable… !

Ce mode de rai­son­ne­ment, appli­qué aux concepts de Créa­tion et d’Origine,. décou­vrant, éga­le­ment, les bases incer­taines sur les­quelles se meut la frêle logique des ver­mis­seaux humains :

De même qu’il n’est point de place pour une Ori­gine de l’Univers en une Éter­ni­té à qui l’on ne peut pas plus assi­gner une durée glo­bale que des durées suc­ces­sives – Éter­ni­té est anto­nyme de durée – il en est encore moins pour une Créa­tion de ce même Uni­vers : non-sens confes­sant l’inutilité même du Créateur. 

Vu que l’on ne crée que ce qui n’exis­tait pas… Or, la notion d’Éternité sous-entend qu’en Elle, tout ce qui avait à être, déjà était

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Que ces concepts, non admis par les Savants. tout offi­ciels ou occultes, soient dif­fi­ci­le­ment acces­sibles aux bipèdes dont nous sommes – sans trop de fier­té – cela se conçoit sans trop de peine non plus. Mais, qu’y peut-on, s’ils se révèlent la preuve que la suc­ces­sion des Temps consti­tue la néga­tion de l’Éternité, et que l’Éternité consti­tue la néga­tion de la suc­ces­sion des Temps ?

Il faut choi­sir : ou tout sans date, ou le 15 et le 21…

Hélas, ces mes­sieurs – « Rois de la Créa­tion » comme ils s’intitulent si modes­te­ment – moque­rie, gifle reten­tis­sante à la Per­fec­tion, à l’Omniscience de l’hypothétique Créa­teur – ne peuvent, ne savent, ne veulent choisir.

Com­ment le pour­raient-ils, d’ailleurs, en cette facette du Trans­cen­dan­tal, qui en com­porte tant d’autres, qu’il ne nous est pas pos­sible d’examiner en ces courtes lignes, alors que tout, dans le fatras mil­lé­naire des biblio­thèques, abou­tit, en ce qui concerne le pour­quoi, l’essence des Choses, à cette consta­ta­tion déce­vante que :

la Science n’explique rien…
la Reli­gion encore moins…
la Phi­lo­so­phie pas davantage…

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Et, pen­dant ce temps – s’il existe – des êtres qui ont, sans doute, assez d’intelligence pour ne pas se croire avoir été mode­lés à l’image de Dieu, et assez d’esprit pour se rire des 15 et 21 – écoutent, en cet ins­tant même, avec une curio­si­té non scien­ti­fique, mais char­mée, sur un astre situé à une dis­tance de 1946 années de pro­pa­ga­tion des ondes hert­ziennes, Jésus pro­non­çant son dis­cours sur la Montagne…

Tan­dis que d’autres qui n’ont pas, for­cé­ment, le nez entre les deux yeux, à l’égal des risibles des­cen­dants d’Adam et Ève, pour être loca­li­sés en une pla­nète obs­cure sise à quelques mil­liers d’années lumière, se diver­tissent, du bout de leurs puis­sants téles­copes à pro­jec­tions de fais­ceaux lumi­neux, à suivre les évo­lu­tions de Tamer­lan, fau­chant les mois­sons humaines dans les vastes plaines de l’Asie…

Enfin, un tout der­nier, vieil ermite sub­sis­tant de sau­te­relles – tel Saint Jean-Bap­tiste – au milieu des marées de pier­railles de la Lune sans atmo­sphère, doué du sens de la clair­voyance qui, basé sur les lois de causes à effets du Déter­mi­nisme, n’ignore rien de ce qui fut ou sera – de ce qui est, en puis­sance, de tou­jours – vient de nous com­mu­ni­quer les pre­mières pages de son His­toire des Causes de l’Avant-dernière guerre mon­diale, en l’an 17 345, de l’ère infi­ni­ment chré­tienne sur Terre…

Pages en les­quelles nous notons, au hasard et sans éton­ne­ment, que les hommes – grâce aux mer­veilleux pro­grès de la Sainte Machine, ayant détruit toute végé­ta­tion et pos­si­bi­li­tés de s’abriter – les mon­tagnes, obs­tacles incon­ve­nants les jours du comique Grand-Prix Auto­so­bus du Cime­tière avaient été rasées – étaient retour­nés, par suite d’une lente réadap­ta­tion, à leur milieu pri­mi­tif, rede­ve­nus amphi­bies au sein des océans ; où, entre paren­thèses, à l’état de pro­to­plas­ma, qua­si amorphe anté­rieu­re­ment, ils auraient bien dû rester…

La sur­face du globe ter­ra­qué, ain­si deve­nue plate et uni­forme à l’instar de la men­ta­li­té humaine, avait connu la pro­li­fé­ra­tion imbé­cile des esclaves, affu­blés, alors, de noms bizarres et sans signi­fi­ca­tion pour les mol­lusques conscients et orga­ni­sés de notre époque : ouvriers, domes­tiques, employés, sol­dats, tra­vailleurs, en général…

Un vola­puk insi­pide s’était tour­né cha­ra­bia international…

Les riches, en leurs gratte-terre de géla­tine dur­cie, conti­nuaient, comme autre­fois, à se la cou­ler douce…

Les prêtres de toutes croyances, comme les sor­ciers de la tri­bu d’an­tan, conti­nuaient à se faire les com­plices et les pro­tec­teurs des pri­vi­lé­giés, pro­met­tant aux pauvres, tou­jours aus­si naïfs, des Para­dis pour après, très après la mort…

Et la Guerre, tou­jours, aus­si, la der­nière avant-der­nière des guerres, au nom des mêmes grands mots ron­flants, en eur, en trie ou en oir, conti­nuait, de temps à autre, à faire ses petites cueillettes…

[/​Georges de Cro-Magon/]

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