Souvenirs d’une Révolutionnaire traduit du russe par Marcel Livane et Joe Newman. Paris, F. Rieder et Cie, 1926 ; 224 pages, 10 fr. 50.
Voici un livre qui nous rappelle la période terroriste sous les tzars et, sans y vouloir, devant notre mémoire défilent Jélabioff, Sophie Perovskaya, Stepniak, Marie Spiridonova, Kaliayeff… les âmes délicates et élevées qui organisaient l’assassinat des assassins du peuple russe.
Mais avec Kakhowskaya c’est notre, propre période révolutionnaire que nous passons en revue. C’est la paix de Brest-Litowsk, l’Ukraine sous le talon de fer du militarisme allemand, la Russie aux mains des bolchevistes. Kakhowskaya, membre du parti socialiste-révolutionnaire de gauche qui partagea jusqu’à la paix de Brest-Litowsk le pouvoir avec les bolcheviks, part pour l’Ukraine venger la paix déshonorante sur la personne du maréchal von. Eichhorn, l’homme de confiance de l’empereur d’Allemagne. Elle organise l’attentat et le matelot Donskoï paie de sa tête celle du maréchal. Kakhowskaya revient à Moscou pour préparer la seconde partie de sa tâche : l’attentat contre Denikine, Mais Kakhowskaya est socialiste-révolutionnaire de gauche, donc membre du parti qui a tué Mirbach, l’ambassadeur d’Allemagne à Moscou, donc traquée par les bolcheviks. Elle est arrêtée par la Tchéka qui apprend bientôt les nouveaux plans de la courageuse révolutionnaire. On la laisse partir pour l’Ukraine et on obtient d’elle la promesse de réintégrer la prison aussitôt sa tache terminée ! Quelle lueur lugubre ce double geste jette sur l’état d’esprit bolcheviste qui préside aux destinées du peuple russe !
Kakhowskaya revient à Moscou. De nouveau arrêtée, elle est exilée par ordre administratif de la Tchéka pour une période de trois ans, puis ensuite re-exilée au Turkestan où, malade, tuberculeuse, elle y est encore. Malgré toute l’agitation en faveur de sa déportation à l’étranger où elle aurait pu se soigner, les nouveaux bourreaux des libertés russes continuent à faire la sourde oreille. Kakhowskaya, qui a payé de dix années de prison sous le régime tzariste son dévouement à la cause de la révolution, paye déjà sept ans de prison et d’exil sous le régime monstrueux dénommé « pouvoir ouvrier et paysan ».
Mais de tout ceci Kakhowskaya n’en parle pas dans son livre. Et, pourtant, c’en est la partie principale. Car dans cette tourmente horrible que les révolutionnaires de Russie et d’Ukraine ont dû traverser depuis la révolution russe, les heures les plus, terribles ont été celles où le bolchevisme marxiste, s’affublant de droits ouvriers et paysans que ceux-ci ne lui ont jamais permis de s’accaparer, s’est démontré être à un niveau tout aussi bas de duplicité malhonnête et d’oppression brutale que les armées d’occupation, en Ukraine, dirigées par Skoropadsky, par Petlioura, par Denikine, par Wrangel… Le peuple souffre toujours… la botte est toujours aussi sauvage, aussi implacable.
Dans ses « Souvenirs », Kakhowskaya nous parle du régime sous Skoropadsky, sous Denikine… Nous comprenons bien pourquoi ses alliés d’hier, les bolchevistes, ne lui permettent pas d’aller se guérir à l’étranger. Elle pourrait vouloir écrire une seconde page de ses souvenirs… sous le régime de la dictature du prolétariat !