Les P.T.T. ont récemment lancé une innovation sur le marché : celle de la transformation des noms des départements par des chiffres. Les Côtes-du-Nord devenaient 22, les Bouches-du-Rhône devenaient 13, etc. Quant aux départements de l’ancienne Seine-et-Oise pour lesquels (en dehors de l’horrible Seine-Saint-Denis) on avait trouvé des noms agréables et champêtres, ils devenaient vulgairement pour les P.T.T. 92, 93, 94, 95, etc.
Une émission de télévision explique aux populations ébaubies que, sous peine de voir leurs chères missives retardées dans leur acheminement, elles étaient tenues d’écrire désormais le numéro du département avant la ville. On ne nous menaçait pas encore de sanctions et dans ces conditions, on pouvait accepter cette immatriculation qui avait d’ailleurs parfois de l’humour puisqu’elle nous forçait à écrire : M. Machin, 22 – Lamballe.
Mais alors que ; finalement, seules les Postes nous demandaient cette modification, on vit le bon peuple en remettre, il suffit pour s’en assurer, de lire le carnet du jour du Figaro où l’on ne demande rien à personne et où l’on voit de braves gens s’empresser de nous faire savoir que leur gentilhommière de Bosguérard de Marcouville est dans le 27 et que leur vieille grand-mère vient de s’éteindre, munie des sacrements de l’Église et entourée de l’affection de ses 108 petits-enfants, à 86 Saint-Géorges-les-Baillargeaux.
Cela est assez grave. Aucun impératif de « machinerie » n’oblige en effet à cela, mais le monde a tellement pris l’habitude de se classer sous un numéro d’ordre (sécurité sociale, compte en banque, etc.) d’être codifié, enrégimenté, qu’un numéro de plus, un numéro de moins ne les gêne plus et qu’ils s’y précipitent tête baissée, presque heureux d’être à l’extrême pointe de ce qu’ils prennent sans doute pour le progrès.
Loin de moi l’idée de nier le progrès. Il nous a donné beaucoup de satisfactions, ne serait-ce que l’ascenseur, la cigarette toute faite et le stylo à bille, mais enfin, garder un peu de poésie dans tout cela ne messiérait point et les Landes seront toujours plus évocatrices de soleil chaud, d’odeur de résine et de bruit des vagues que le département 40.
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