La Presse Anarchiste

« Et voilà justement comme on écrit l’histoire »

[[Vol­taire : Char­lot ou la com­tesse de Givri.]]

Un livre sur Paris ne peut jamais être exhaus­tif. Et cela, par défi­ni­tion. On regret­te­ra tou­jours, dans quelque livre que ce soit, l’absence de tel ou tel détail, l’omission de tel ou tel fait. L’auteur le regrette peut-être aus­si, mais il a dû se rési­gner, sous peine de voir son volume prendre la forme d’un monstre aux pro­por­tions déme­su­rées, et il a dû se résoudre à « cou­per », à choi­sir. Dans le genre, on peut sans aucun doute dire qu’actuellement, le meilleur ouvrage sur Paris est le Dic­tion­naire his­to­rique des rues de Paris de M. Jacques Hil­lai­ret, aux édi­tions de Minuit.

C’est parce que nous l’avons beau­coup consul­té, beau­coup feuille­té soit avant, soit après nos pro­me­nades dans Paris, c’est parce qu’il nous a appris beau­coup de choses, don­né beau­coup de ren­sei­gne­ments que nous vou­drions ici lui signa­ler quelques erreurs qui lui ont échap­pé et qui feront peut-être l’objet – même sans notre tru­che­ment – de rec­ti­fi­ca­tions dans une édi­tion ultérieure.

Nous ne vou­lons pas par­ler des coquilles que le lec­teur rec­ti­fie­ra de lui-même et qui sont sou­vent – hélas ! – le lot des ouvrages le plus conscien­cieu­se­ment faits.

Nous ne par­le­rons pas des « trans­po­si­tions », encore qu’elles soient plus fâcheuses et qu’il soit gênant, par exemple, de faire mou­rir Méze­ray, l’historiographe de Louis xiv, en 1863 au lieu de 1683 (9, rue de la Cha­pelle).

Cer­taines erreurs de dates sont plus éton­nantes. Ain­si (24, rue d’Amsterdam) Alphonse Allais n’est pas mort le 6 novembre 1905, mais le 28 octobre. Ain­si (1, rue Saint-Claude), Caglios­tro ne fut pas, dans l’Affaire du Col­lier de la Reine, jugé le 30 juin 1786, mais le 31 mai, ce qui appert quelques lignes plus bas d’ailleurs, quand M. Hil­lai­ret nous apprend que Caglios­tro était à Londres le 16 juin. Ain­si, il est inexact de dire (96, rue Saint-Hono­ré) que Molière est né le 15 jan­vier 1622. Cette date est en effet celle de son bap­tême à Saint-Eus­tache. Sa date de nais­sance reste ignorée.

Dans le même ordre d’idées, il semble que M. Hil­lai­ret exa­gère un tant soit peu en don­nant (41, bou­le­vard du Temple) 83 ans à Mme Saqui quand celle-ci tra­ver­sait l’Hippodrome sur une corde raide. Sa date de nais­sance est mal connue, mais 75 ans nous paraî­trait plus vrai­sem­blable. C’est d’ailleurs l’âge qu’indique Robert Bal­dick dans sa Vie de Fré­dé­rick Lemaitre. De toute façon, 75 ou 83, la per­for­mance était jolie…

En revanche, Émile Hen­ry (108, rue Saint-Lazare) n’avait tout de même pas 19 ans, mais 22, lorsqu’il fut exé­cu­té, le 21 mai 1894 (et non le 22) après l’attentat de l’Hôtel Terminus.

Du lapsus à l’erreur de fait

Dans le domaine des faits, quelques erreurs plus graves de M. Hil­lai­ret. Pas­sons sur le lap­sus répé­té qui lui fait confondre, rue des Plantes, la rue du Che­min-Vert et la rue du Mou­lin-Vert et signa­lons-lui (24, rue Ber­ton) que Bal­zac n’écrivit jamais de roman inti­tu­lé Eve et David (sans doute veut-il par­ler d’Illu­sions per­dues) et que les Res­sources de Qui­no­tia, repré­sen­tées en 1842, n’ont pu être écrites en 1847.

De même (9, pas­sage de la Boule-Blanche), Lace­naire ne peut être accu­sé d’un crime com­mis en 1850, puisqu’il était mort depuis qua­torze ans déjà, après être deve­nu la coque­luche du Paris sno­bi­nard de l’époque qui oublia, au pro­fit de quelques poèmes à la Béran­ger, la féro­ci­té et la stu­pi­di­té de ses assassinats.

De même, il semble avé­ré aujourd’hui que Cof­fin­hal (5, rue Le Regrat­tier) ne pro­non­ça jamais le fameux « La Répu­blique n’a pas besoin de savants » qu’il faut attri­buer à l’abbé Gré­goire dans le cadre de la réac­tion ther­mi­do­rienne. (Il y a d’ailleurs contro­verse sur la tex­ture exacte du mot. Phi­lippe Le Bas qui était le fils du robes­pier­riste Le Bas, et qui avait donc grand sou­ci des choses de l’époque, émet cette hypo­thèse dans son Dic­tion­naire ency­clo­pé­dique (Paris, Fir­min-Didot, 1841, tome v, p. 264) que le mot pro­non­cé authen­ti­que­ment par Cof­fin­hal aurait été celui-ci : « La Répu­blique n’a plus besoin de chimistes » !)

De même (impasse Ron­sin), Mme Japy n’était pas la belle-sœur du peintre Stein­hel, mais sa belle-mère.

De même (28, ave­nue Tru­daine), on ne sait où M. Hil­lai­ret est allé cher­cher que c’est chez Marie Colom­bier qu’Alphonse Dau­det étren­na son pre­mier habit. Alphonse Dau­det l’a racon­té dans Trente ans de Paris : cela se pas­sa chez Augus­tine Bro­han, rue Lord-Byron.

On le voit, fina­le­ment, rien de bien grave. Rien que quelques petites taches à faire dis­pa­raître. De toute manière, l’Hillairet est appe­lé pour de longues années à être le Roche­gude de nos pères.

Après ? Paris se trans­forme. Bosc publiait récem­ment dans un heb­do­ma­daire un excellent des­sin qui repré­sen­tait la tour Eif­fel, encas­trée au milieu de dix buil­dings qui la dépas­saient et la fai­saient paraître minable, ridi­cu­le­ment petite. Le des­sin était daté 1980. C’est peut-être bien l’avenir.

[/​Henri Macé/]

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