La Presse Anarchiste

Causeries

[[Voir les nnos1, 2 et 3 du Liber­taire]]

Pre­nons l’enfant au berceau :

Trois enfants naissent le même jour : l’un dans l’hôtel d’un finan­cier, le second dans une
man­sarde d’ouvrier, le troi­sième dans une chau­mière de paysan.

La socié­té ignore quelles seront les facul­tés de cha­cun d’eux ; elle ignore s’il y à par­mi eux
un homme de génie et quel est celui-là.

Il semble que pour elle ces trois enfants doivent être l’objet d’une même sol­li­ci­tude, qu’elle
doit leur recon­naître les mêmes droits, leur four­nir les mêmes moyens de déve­lop­per leurs énergies
et leurs apti­tudes, ou leur génie. Il semble même que si l’un d’eux doit être favo­ri­sé, c’est celui
qui, né dans le ber­ceau le plus pauvre, doit trou­ver le moins de satis­fac­tion dans sa famille
malheureuse.

Voyons s’il en est ain­si et quelle sera l’existence de ces trois noou­veaux citoyens.

— O —

Le pre­mier rece­vra dans l’enfance des soins assi­dus, quoique sala­riés, ser­vis dès le jeune âge
par des domes­tiques, il pren­dra l’habitude de l’être. Fût-il inin­tel­li­gent, inca­pable, il sera
envoyé dans les lycées éta­blis par l’État, c’est-à-dire par les contri­buables, et il fini­ra par
obte­nir, après huit ou dix ans d’école un diplôme de bache­lier. Avec ce diplôme, il entre­ra dans
quelque facul­té de l’État, sub­ven­tion­né par le bud­get et après un temps plus ou moins long et un
nombre plus ou moins consi­dé­rable d’examens, il devien­dra licen­cié en droit, ce qui lui per­met­tra de
pré­tendre aux postes et fonc­tions de l’État.

Il n’aura pas à s’occuper de gagner sa vie par un labeur quel­conque : d’autres la gagnent pour
lui. Il a de par sa nais­sance, acquis le droit à la paresse. Son père en majo­rant des titres, en
spé­cu­lant sur la huasse et la baisse, en prê­tant à la petite semaine a réa­li­sé de gros bénéfices ;
le gosse en profite.

Et ce gosse, après avoir fait bom­bance avec les filles de théâtre, épou­se­ra une femme qui lui
appor­te­ra une grosse dot. Il habi­te­ra un appar­te­ment situé sur le bou­le­vard entre­te­nu au frais es
contri­buables, il se pro­mè­ne­ra en équi­page au bois , sablé, arro­sé, plan­té, ratis­sé encore aux frais
des contribuables.

La socié­té qui a des sol­dats pour défendre ses biens, des consuls et des ambas­sa­deurs pour
sau­ve­gar­der ses inté­rêts à l’étranger, des che­mins-de-fer garan­tis par l’État pour lui faci­li­ter les
moyens de trans­ports et les spé­cu­la­tions veille même à ses plaisirs.

Quand ses parents mour­ront, il héri­te­ra des pro­prié­tés et des capi­taux accu­mu­lés acquits par
les défunts sans avoir rien fait même pour les accu­mu­ler ou les acqué­rir. Et à son tour il recevra
la rente des uns et des autres.

Il sub­ven­tion­ne­ra alors, s’il lui plait, quelque jour­nal qui loue­ra sa ver­tu, son patriotisme,
ses pré­ten­dues idées, et des cour­tiers élec­to­raux qui le pré­sen­te­ront comme can­di­dat aux
populations.

Alors il sera de ceux qui donnent des lois au pays qui décident de ses des­ti­nées ; il sera
gras­se­ment payé pour exer­cer le pouvoir.

(à suivre)

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