La Presse Anarchiste

La coopération

Les avantages des Unions de Coopératives

Les résul­tats obte­nus par la coopé­ra­tion sont sujets à opi­nions mul­tiples et en géné­ral exa­gé­rés en bien ou en mal. Les uns attri­buent à l’action coopé­ra­tive des avan­tages extra­or­di­naires, les autres ne lui en recon­naissent aucun.

Pour la presque tota­li­té de nos conci­toyens, la coopé­ra­tion est un orga­nisme, assez vague d’ailleurs, qui doit mettre à leur dis­po­si­tion les mar­chan­dises dont ils ont besoin à des prix tou­jours infé­rieurs à ceux du com­merce, mar­chan­dises qui, par contre, doivent tou­jours être de qua­li­té supérieure.

Quand cer­tains s’aperçoivent que leur coopé­ra­tive est loin de don­ner ces avan­tages avec une régu­la­ri­té rigide, la dés­illu­sion est amère, et ses diri­geants sont accu­sés d’incapacité quand ce n’est pas de tri­po­tage. Alors des batailles d’individus com­mencent et contre la coopé­ra­tive exis­tante on en monte une nou­velle qui ne fait d’ailleurs pas mieux.

D’autres, qui pen­saient trou­ver dans la coopé­ra­tion une sorte de pana­cée uni­ver­selle sup­pri­mant la vie chère, se per­suadent qu’ils sont vic­times d’un bour­rage de crâne et deviennent des adver­saires intran­si­geants de l’idéal coopératif.

Tout cela pro­vient, en fin de compte, de l’ignorance où l’on est de ce qu’il faut stric­te­ment attendre de la coopération.

En réa­li­té, elle n’est pas un remède sup­pri­mant com­plè­te­ment la vie chère, elle n’a pas toutes les ver­tus. Elle ne peut être dans la socié­té actuelle qu’un régu­la­teur des cours, et son action ne se mani­feste que dans un rayon assez res­treint autour de son maga­sin de vente.

Les Unions de Coopératives régulateur des cours

Il est facile de s’en rendre compte.

Une « Union de coopé­ra­tives », par exemple, se trouve à l’heure actuelle dans la même situa­tion qu’une grosse entre­prise d’épicerie, avec cette dif­fé­rence qu’elle n’en pos­sède pas la plu­part du temps les moyens financiers.

Elle peut pas­ser des mar­chés impor­tants, faire venir ses mar­chan­dises par wagons com­plets et de ce fait obte­nir les prix de gros qui échappent aux petites coopé­ra­tives. Mais elle est sou­mise aux exi­gences du pro­duc­teur et doit sou­vent pas­ser par l’intermédiaire de gros com­mis­sion­naires onéreux.

Elle se trouve donc pla­cée, en réa­li­té, dans la même situa­tion que n’emporte quel épi­cier un peu impor­tant. Elle peut fixer exac­te­ment la valeur des mar­chan­dises ache­tées dans ces condi­tions et sup­pri­mer la spé­cu­la­tion locale ; mais elle ne peut rien contre celle qui vient du pro­duc­teur ou du gros commissionnaire.

Elle ne sera capable d’atteindre cette spé­cu­la­tion que le jour où elle pro­dui­ra elle-même.

C’est là le rôle qui semble s’imposer de plus en plus au Maga­sin de gros des coopé­ra­tives. Quand il pro­dui­ra pour les coopé­ra­tives tout ce dont elles ont besoin, le consom­ma­teur sera son propre pro­duc­teur aus­si bien que son répar­ti­teur ; il pour­ra pro­fi­ter alors de mar­chan­dises ven­dues à leur valeur exacte.

Ce but est loin d’être atteint. Pour le moment, n’espérons de nos coopé­ra­tives que la régu­la­ri­sa­tion des cours locaux.

La lutte pour les prix les plus bas

Bien plus, il faut recon­naître que dans la lutte pour les prix les plus bas, nos Unions de Coopé­ra­tives se trouvent sou­vent pla­cées, vis-à-vis du com­mer­çant, vis-à-vis d’autres organes de répar­ti­tion, dans des condi­tions désa­van­ta­geuses. Vis-à-vis du com­mer­çant ? et cela pour des rai­sons faciles à préciser :

Trop sou­vent, la Socié­té coopé­ra­tive ne peut, faute de capi­taux, ache­ter au bon moment, comme son concur­rent, des stocks à prix avan­ta­geux dont l’occasion se pré­sente sou­vent dans le désordre capi­ta­liste actuel. De ce fait, elle est moins avan­ta­geu­se­ment ravitaillée.

D’autre part, ses charges sont en géné­ral plus lourdes, car elle fait effort pour don­ner à son per­son­nel les salaires les plus élevés.

Enfin, son rôle est de com­battre toute fal­si­fi­ca­tion. Et elle est désar­mée devant le com­mer­çant sans scru­pules qui pour bais­ser ses prix et conser­ver son béné­fice n’hésite pas à aug­men­ter la quan­ti­té de ses mar­chan­dises par des pro­cé­dés cri­mi­nels, néfastes à la san­té de ses clients, ou en fai­sant adroi­te­ment pen­cher ses balances dans le sens qui lui est favorable.

Enfin, la Coopé­ra­tive répugne à employer ces moyens com­mer­ciaux qui consistent à sacri­fier quelques articles pour atti­rer la clien­tèle, sachant qu’il sera facile de se rat­tra­per sur la vente d’autres marchandises.

On le voit, pour toutes ces rai­sons, une Union de Coopé­ra­tives n’est pas for­cé­ment l’organe répar­ti­teur dont les prix sont actuel­le­ment les plus bas.

Vis-à-vis de « grou­pe­ments de consom­ma­teurs », de « baraques muni­ci­pales », de coopé­ra­tives d’usines, l’Union de coopé­ra­tives se trouve éga­le­ment en état d’infériorité.

Un grou­pe­ment de consom­ma­teurs, par exemple, réunit un nombre res­treint de familles vivant dans la même agglo­mé­ra­tion ; aucuns frais géné­raux : ni maga­sin, ni employés, ni impôts. Il groupe les com­mandes de ses adhé­rents et recueille les sommes néces­saires. Cer­tains membres prennent sur leur temps pour faire les achats, d’autres pour les répar­tir. Les mar­chan­dises ne sont gre­vées d’aucune de leurs charges habituelles.

Des grou­pe­ments sem­blables ne reposent que sur le dévoue­ment et l’activité de quelques-uns. Eux dis­pa­rus, le groupe meurt. C’est un moyen fan­tai­siste de répar­tir les mar­chan­dises, ce n’est pas un moyen social.

Les baraques muni­ci­pales, comme les coopé­ra­tives d’usines, appa­raissent comme des moyens phi­lan­thro­piques pour les pre­mières, inté­res­sés pour les deuxièmes, de répar­tir les marchandises.

Les prix ne sont pas, en effet, fixés d’après la valeur réelle de l’objet ven­du. Le prix doit être tou­jours en des­sous de ceux pra­tiques dans la loca­li­té, afin de conten­ter le consom­ma­teur, d’obliger le com­merce local à faire ses prix les plus bas, ou bien pour mettre à la dis­po­si­tion du tra­vailleur de l’usine les mar­chan­dises néces­saires à sa vie à un prix tel qu’il n’ait aucune rai­son de récla­mer une aug­men­ta­tion de salaires.

Com­bien de coopé­ra­tives d’usines dont la caisse patro­nale paye men­suel­le­ment le déficit ?

Moyens arbi­traires de répar­tir la mar­chan­dise, ils ne peuvent deve­nir la règle. 

Signa­lons enfin que, fort sou­vent, les Unions de coopé­ra­tives ne peuvent même pas faire des prix aus­si bas que les petites coopé­ra­tives locales.

En effet, les frais géné­raux de ces der­nières ne dépassent guère 6 à 7 %, ceux des Unions atteignent 10 et 11 %.

Cette dif­fé­rence à l’avantage des petites coopé­ra­tives pro­vient de deux sources différentes :

Esca­mo­tage d’une par­tie des charges, d’une part ; sup­pres­sion de ser­vices indis­pen­sables aux organes de répar­ti­tion, d’autre part.

Dans les petites coopé­ra­tives, l’employé est sou­vent chi­che­ment payé ; s’il est débrouillard, il se rat­trape sur le client. De plus, la main‑d’œuvre néces­saire est réduite au der­nier degré, grâce aux admi­nis­tra­teurs qui font eux-mêmes, à temps per­du, une par­tie du tra­vail : achat des mar­chan­dises, récep­tion, prix, cave, etc.

Ces petites coopé­ra­tives n’ont, enfin, qu’un ser­vice de contrôle illu­soire, et leur comp­ta­bi­li­té est, la plu­part du temps, rudi­men­taire, ou même inexistante.

Il appa­raît donc que, si les frais géné­raux sont bas, ce n’est pas grâce à un sys­tème d’administration supé­rieur, mais en sup­pri­mant une par­tie de leurs charges, grâce au dévoue­ment de quelques-uns — tou­jours les mêmes, natu­rel­le­ment — ou en s’en remet­tant au hasard de la bonne marche des affaires.

Si ces coopé­ra­tives étaient obli­gées de rému­né­rer nor­ma­le­ment tous les tra­vaux, et de créer les ser­vices qui leur font défaut, leurs charges seraient écrasantes.

Elles repré­sentent un ser­vice de répar­ti­tion fausse, ne tenant pas compte de la tota­li­té des charges qui doivent fixer la valeur réelle des marchandises.

La supériorité réelle des Unions de Coopératives

Voi­là, briè­ve­ment résu­mées, les rai­sons pour les­quelles les Unions de coopé­ra­tives n’apparaissent pas, en fin de compte, comme des organes capables de don­ner les mar­chan­dises au prix le plus bas.

Cepen­dant, seules elles repré­sentent un pro­grès éco­no­mique incon­tes­table. Il faut les créer là où elles n’existent pas, et les déve­lop­per par­tout où elles ont com­men­cé à vivre. 

Leur supé­rio­ri­té, c’est d’être un organe nou­veau de répar­ti­tion, et un organe com­plet, tenant compte de toutes les charges qu’entraîne la répar­ti­tion des marchandises.

Elles ne sont pas un organe théo­rique, fabri­qué soi­gneu­se­ment dans le silence d’un cabi­net de tra­vail. Elles sont nées au milieu de la vie bruyante bru­tale et com­plexe ; la néces­si­té, la pra­tique les a for­mées. Elles sont encore rudi­men­taires et insuf­fi­santes, mais elles ne demandent qu’à s’adapter plus étroi­te­ment à nos besoins, à bri­ser les cadres désor­ga­ni­sés de la socié­té capi­ta­liste qui meurt, à créer les cadres d’une socié­té nou­velle répon­dant à leur nature et à nos besoins.

Seules, elles seraient actuel­le­ment déjà capables de rem­pla­cer du jour au len­de­main le sys­tème de répar­ti­tion capi­ta­liste. Il leur suf­fi­rait de mettre la main sur la bou­tique de l’épicier pour la faire fonc­tion­ner au pro­fit de la col­lec­ti­vi­té, comme l’une quel­conque de leurs succursales.

Elles appa­raissent enfin comme l’organe rudi­men­taire mais vivant, capable de réa­li­ser les condi­tions de vie de la socié­té nouvelle.

Dès main­te­nant, sans dis­tinc­tion de concep­tion phi­lo­so­phique ou poli­tique, sans dis­tinc­tion de métier, sans dis­tinc­tion de classe, elles seules sont capables de grou­per la tota­li­té des êtres humains, car tous sont éga­le­ment des consom­ma­teurs, et tous en tant que consom­ma­teurs, ont des inté­rêts identiques.

Elles appa­raissent même comme l’organe répar­ti­teur qui, en fin de compte, régle­ra peut-être aus­si la ques­tion de la production.

En effet, sur le ter­rain de la pro­duc­tion, les métiers s’opposent les uns aux autres. Que les classes dis­pa­raissent, il res­te­ra cepen­dant des grou­pe­ments de métiers. Et, dans cha­cune de ces col­lec­ti­vi­tés, inté­rêt pro­fes­sion­nel, l’esprit de corps res­sus­ci­te­ront des batailles qui, au lieu de heur­ter comme aujourd’hui les indi­vi­dus, heur­te­ront des grou­pe­ments humains.

Ce n’est que comme consom­ma­teur que tous les êtres humains auront des inté­rêts iden­tiques, exi­geant, pour être satis­faits, la sup­pres­sion de toute lutte, la soli­da­ri­té la plus complète.

La pro­duc­tion, d’ailleurs, n’a‑t-elle pas pour but de satis­faire les besoins de consom­ma­tion de cha­cun et n’est-il pas logique que ce soit là la base sur laquelle la socié­té future pour­ra se réaliser ?

Voi­là les rai­sons prin­ci­pales pour les­quelles mal­gré des défauts indis­cu­tables, les Unions de coopé­ra­tives m’apparaissent comme l’un des pre­miers organes vivants de la socié­té de demain, et c’est là ce qui fait leur supé­rio­ri­té incontestable.

L’heure des dis­cus­sions théo­riques est pas­sée, En quelques années, la guerre a défi­ni­ti­ve­ment usé l’outil capi­ta­liste, mais le cer­veau de ceux qui le maniaient ne s’est pas adap­té aus­si rapi­de­ment à un nou­vel outil.

Jusqu’ici, la situa­tion éco­no­mique est révo­lu­tion­naire ; l’état d’esprit de la foule ne l’est pas. Car, ce qui est révo­lu­tion­naire, ce n’est pas de détruire, ce n’est pas l’esprit de vio­lence et de des­truc­tion, auquel peuvent pous­ser misères et souf­frances. Ce qui est révo­lu­tion­naire, c’est de construire et de créer.

L’heure est aux réa­li­sa­tions pra­tiques. Dans la com­plexi­té infi­nie de la vie, les Unions de coopé­ra­tives sont une pre­mière réa­li­sa­tion pra­tique, encore informe, mais pleine de pro­messes pour demain.

[/​R. C./]

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