États-Unis
Notre correspondant des États-Unis, notre fidèle camarade Scarcériaux, nous écrit au sujet de la réaction qui continue à sévir dans la libre Amérique. Nous avons déjà parlé des lois scélérates qui déshonorent l’administration du Gouvernement de Wilson. Des lois scélérates ont été votées et appliquées par maints gouvernements dits « démocrates », mais nous ne croyons pas qu’aucun soit allé aussi loin dans la voie de l’infâme que celui de Washington.
En effet, partout les victimes des lois d’exception ont pu trouver des avocats pour les défendre et il n’est jamais venu à notre connaissance que ceux-ci aient été intimidés ou menacés d’un châtiment quelconque pour avoir rempli, ce que l’on appelle couramment, un devoir sacré. En Amérique, au contraire, les hommes chargés de faire appliquer ou d’appliquer ces lois infâmes, ont surtout eu pour principale préoccupation, d’empêcher les accusés, dont le crime était, pour la plupart, celui d’être ouvriers, d’avoir des avocats compétents pour les défendre. Les hommes de lois qui osèrent en cette circonstance faire leur devoir — un devoir qui forme la base du code pénal anglo-saxon, qui considère avant tout le droit de la défense — furent frappés d’un ostracisme des plus farouches, certains furent menacés de lynchage et d’autres furent tout simplement jetés en prison comme les pires criminels de droit commun.
Ce grand pays est en pleine période électorale, ce sont les grandes élections présidentielles. Le parti démocrate, dans un manifeste national que nous avons sous les yeux, promet d’inonder, pendant trois mois, la nation entière d’un déluge de paroles et de mots, et de faire la campagne la plus tapageuse qu’aient jamais vue les États-Unis. D’idées, de principes, de questions de justice et d’équité, il n’en est nullement question. Un déluge de paroles, une campagne des plus tapageuses, cela est dit franchement et en toute sincérité ; c’est tout ce qu’il faut pour captiver la confiance du peuple, toujours très crédule et très jobard.
Italie
La plus haute personnalité révolutionnaire italienne en ce moment, semble être le vieux et infatigable agitateur Malestata, l’auteur d’« Entre Paysans ». La grande révolution politique de novembre 1919, dont le parti socialiste bolchevisant a tant parlé, n’a pas donné les résultats qu’en espéraient les travailleurs. Les camarades qui furent élus en masses, à cause de leurs discours ultra révolutionnaires sont devenus aujourd’hui des politiciens très sages, très pacifiques, et surtout très partisans de l’ordre, de l’ordre même sous une monarchie capitaliste et militaire. Malestata, lui, déclare dans l’Avanti, qu’il n’est pas contre le parti, cette sentinelle avancée du bolchevisme dans l’Europe Occidentale ; mais ses vues vont plus loin que la conquête des Pouvoirs Publics pour l’unique profit des intéressés. Il n’a pas peur de dire qu’au-dessus du bolchevisme et des soviets de toutes les Russies, il y a l’Anarchie.
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Un Congrès anarchiste a eu lieu récemment à Gênes. Dans ce Congrès s’est affirmée d’une façon nette et précise, la scission entre les libertaires et les politiciens socialistes — des politiciens plus abjects que tous les autres puisqu’ils profitent de la popularité que le socialisme s’est acquis pour l’exploiter à leur profit. Cette scission était d’autant plus nécessaire que les éléments italiens, dits d’avant-garde, étaient depuis les débuts de la grande guerre, entièrement gagnés à la cause des pangermanistes. En Italie, on a vu ce fait incroyable : socialistes, anarchistes et ultramontains, faire « l’Union Sacrée » en faveur de ceux qui avaient préparé et déclenché le terrible et redoutable fléau.
Aujourd’hui, tout cela est changé, les anarchistes entendent penser et agir par eux-mêmes.
Le Congrès de Gênes nous a montré des anarchistes sachant discuter, et leurs discussions ont été tout un exemple d’ordre et de raisonnement.
De ces discussions il se dégage ceci : Les anarchistes sont autant opposés aux politiciens du socialisme italiens qu’ils accusent d’avoir trahi le peuple, qu’aux bolchevistes de Russie.
Que faut-il faire comme propagande profitable ?
Naturellement, il faut instruire le peuple, et pour cela il faut aller au peuple avec des idées justes, généreuses et désintéressées. Pour une telle besogne, les Syndicats sont tout indiqués ; mais en Italie, la C.G.T. n’est qu’un instrument des politiciens, le travail n’y est pas indépendant, ce sont les politiciens, pour la plupart des bourgeois de la plus vile espèce, qui imposent leur volonté. Certes, ces politiciens ont fait des discours très violents, mais toutes ces effusions de paroles n’étaient que des palabres, que du vent. Ce n’était qu’une façon adroite d’exploiter le peuple au nom de la Révolution.
La plupart des délégués se déclarèrent en faveur de l’action syndicale. Certains s’affirmèrent pour que la propagande libertaire fut poursuivie dans le sein même de la C.G.T. ; d’autres favorisèrent le développement des syndicats indépendants. En somme, ce Congrès marque un grand pas dans la voix du progrès.
Signalons, pour terminer cette note, la bonne propagande poursuivie par Umanita Nuova et La Volunta.
Espagne
À Madrid, un grand parti vient de s’organiser sous le nom de « Parti Communiste » ; son but est d’introduire dans la péninsule Ibérique, le régime des soviets et de la dictature du prolétariat. L’expérience russe est concluante, très concluante même, pour les camarades espagnols. Aussi, les anarchistes sont-ils entrés en masse dans ce nouveau parti, qui est pour eux une nouvelle arche de Noé.
Mais il y a une note dissidente dans l’anarchie espagnole. Certes, ces dissidents paieront cher leur opposition à l’autorité de Lénine.
C’est de El Productor, de Séville, que nous voulons parler. Ce périodique de l’anarchie hétérodoxe est tout simplement un de ces journaux que nous avons connu jadis, au temps où nous étions tous ennemis de la « dictature » et que les anarchistes espagnols n’étaient pas encore des « évolués ». Ce confrère se dresse, plein de conviction contre une alliance des anarchistes avec les politiciens, puis il ose dire : « La dictature du prolétariat, une telle chose n’existe pas en Russie. En Russie, les travailleurs gémissent sous la dictature d’un parti, dictature impitoyable et inexorable envers les faibles et les exploités. »
Portugal
Malgré toutes les tentatives bolchevistes les plus résolues et des efforts désespères, la République portugaise tout entière est sous la botte d’un gouvernement à poigne. On peut, sans exagération, dire que ce pays est « très gouverné », à un tel point que toute opposition y est devenue impossible. L’administration républicaine n’a reculé devant aucune mesure si vexatoire et si despotique fut-elle. Récemment, une grande manifestation avait lieu à Lisbonne ; c’était, affirment les milieux officiels, le peuple qui voulait exprimer toute sa gratitude envers le gouvernement pour avoir su faire diminuer le coût de la vie. Une bombe éclata au milieu de la fête ; le peuple accuse les extrémistes d’être les auteurs d’un odieux attentat ; il fait entendre des cris de mort et demande des mesures de répression contre ces derniers. Le gouvernement ne se fit pas prier longtemps, en un tour de main, il prit des mesures très sévères ; et aujourd’hui, l’ordre règne à Lisbonne comme à Moscou.
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