Le titre, que j’emprunte à M. Pierre Daninos [[Figaro du 10 juillet 1951.]], fait image. Il est assez plaisant de constater présentement que dans de sévères revues, dans les quotidiens les plus sérieux, sous la plume d’écrivains non suspects d’idées subversives, mais doués d’esprit positif, le grave problème démographique est enfin examiné avec une certaine angoisse devant l’afflux populatif de ces dernières années. On prévoit qu’au rythme actuel des naissances, 500 000 enfants par semaine naîtront dans le monde, ce qui mettrait la population du globe avant la fin du siècle à plus de trois milliards.
Autrefois, on citait des pays comme la Chine, le Japon, l’Inde, l’Italie, l’Allemagne comme étant d’inquiétantes pépinières humaines, étouffant dans leurs limites, manquant de l’essentiel et susceptibles de susciter de redoutables troubles à l’extérieur de leurs frontières. Aujourd’hui on peut dire que tous les pays se sont accordés pour entretenir dans leur propre sein une psychose surnataliste et favoriser de leur mieux, par des secours financiers onéreux, la multiplication sans mesure de leurs nationaux. Un tel processus devait aboutir à un débordement prolifique menaçant, dans le présent et dans le futur.
Déjà l’asphyxie se manifeste dans toutes les branches de l’économie sociale ; les routes se barrent de plus en plus, les carrières sont envahies, les débouchés se resserrent étroitement. On procède partout à une minutieuse élimination, on hausse les difficultés d’accès, ce qui laisse sur le carreau plus de candidats qu’il n’y a d’élus. Les pays, jadis accueillants, deviennent vigilants et établissent de solides barrières à l’immigration pour ne pas aggraver les malaises dus au chômage et à la crise de l’habitation qui sévissent partout. Les jeunes commencent à sentir les pénibles effets de cet encombrement humain. Dans un proche avenir la situation sera purement catastrophique.
Et l’État insatiable, l’État-Providence, l’État-Banquier à qui chacun mendie allocation, pension, retraite, aide, place, fonction, secours de toute nature ne peut plus faire face aux dépenses et aux exigences des trop nombreux quémandeurs que sa néfaste politique a créés. L’argent qu’il draine sans relâche n’y suffit pas. Les budgets enflent sans arrêt. Celui de la guerre, ruineux entre tous, atteint, dans tous les pays, des chiffres fabuleux car tout s’enchaîne : il faut bien prévoir les futurs massacres. La guerre, de tout temps, n’a-t-elle pas été l’ultima ratio, -« l’exutoire par quoi se rétablit l’équilibre de la population chez les races saines et bien portantes », selon l’opinion du général Cherfils, bien placé pour s’y connaître.
Et M. Pierre Daninos de s’alarmer : « Le chiffre d’accroissement de 825 000 000 [[Le chiffre officiel est de 825 700 000.]] d’âmes en 50 ans qui vient de nous être révélé prouve péremptoirement que la terre n’est plus à la mesure des gens qui l’habitent. Il serait pour le moins nécessaire de l’élargir un peu des « épôles » et de donner de l’ampleur à la ceinture équatoriale ».
L’humour, c’est très joli, mais ça n’a jamais suffi à résoudre les problèmes ardus. En attendant, les meneurs du grand jeu international dont nous sommes les infimes pions, continuent leur politique de l’autruche en matière démographique et nous précipitent tout droit vers l’inéluctable chaos.
Il n’est pas jusqu’à M. Thierry Maulnier [[Figaro du 16 avril 1951.]] qui reprend une étude de M. André Siegfried concernant la marée montante de l’espèce qui fait que la population vient de doubler en cent ans et va doubler encore dans les cent ans à venir. Avec de grandes restrictions sur le peuplement occidental par rapport au surpeuplement asiatique, M. Thierry Maulnier convient, malgré tout, que « le nombre des hommes sur la terre se réglera toujours d’une manière ou de l’autre sur la quantité de produits disponibles pour leur subsistance. D’une manière ou de l’autre. Il est évident qu’une manière peut valoir mieux que l’autre. Il est évident que le jour où la terre sera menacée de surpeuplement, une limitation raisonnable des naissances sera préférable aux épidémies et aux famines régulatrices. »
Quel ménagement dans l’expression ! Et qu’en termes pesés ces choses-là sont mises ! Mais M. Thierry Maulnier oublie le régulateur guerre, à moins qu’il ne l’ait volontairement omis.
Après avoir envisagé la production et la consommation des aliments et des matières nécessaires à la vie des hommes, l’érosion et l’appauvrissement des terres surcultivées, les limites des réserves en charbon et en pétrole dans le monde, le rédacteur du Figaro précise : « Depuis l’aube de son histoire, l’humanité avait vécu, si l’on ose dire, du revenu de la nature : faune et flore. On peut avancer que le prodigieux changement du
Oui, il faudra y penser. Y penser tout de suite car d’ores et déjà la terre est menacée de surpeuplement. Il ne s’agit plus de temporiser, il faut agir et non pas à la manière de ce médecin anglais vivant en Chine, à qui un savant américain proposait un moyen très économique de détruire les rats et de mettre fin ainsi aux épidémies de peste qui faisaient des hécatombes parmi la dense foule chinoise ; il lui demandait, pour combattre le fléau, une somme relativement faible. L’ayant écouté, l’Anglais répondit : « Il y a en Chine tant de dizaines de millions de Chinois de trop ! Laissez faire la peste. Vous n’aurez pas un sou ! »
Le professeur Huxley qui a étudié en compagnie de beaucoup d’autres savants le problème démographique, conclut que « la question, de population est la véritable énigme du sphinx. Auprès des ravages du terrible monstre surpopulation les autres questions s’effacent insignifiantes ». De tous côtés l’on perçoit le cri d’alarme poussé par Thomas-Robert Malthus, dans son Essai sur le principe de population. Ses prévisions sur la loi tendancielle de population pourtant si décriées, combattues et niées par des augures qui, bien entendu, n’avaient jamais lu la première ligne de ses écrits, étaient donc justes ?
Dans un livre sans parti pris, extrêmement clair et largement documenté : La Faim du Monde [[La Faim du Monde, par William Vogt. Traduction d’Isabelle Rollet. Hachette, Paris.]], M. William Vogt étudie attentivement les problèmes se rattachant à l’existence humaine. Dans son avant-propos l’auteur prévient qu’il a fait de nombreuses recherches « dans l’espoir de mettre en lumière certaines relations de l’homme avec son milieu, qui ont puissamment influé sur bien des dilemmes et des incertitudes dans lesquels nous nous trouvons aujourd’hui. Ces relations exerceront forcément un effet gigantesque sur l’humanité de demain. Si nous les négligeons, il est à peu près certain qu’elles anéantiront notre civilisation. »
On ne peut analyser en quelques lignes un pareil livre. Il faut le lire pour en assimiler l’abondante argumentation. William Vogt a lu des centaines d’ouvrages dont il cite quelques extraits, notamment ces lignes de Cressey : « Aucune nation n’a le droit moral de laisser sa population dépasser la capacité nourricière de son territoire, à moins d’accepter un abaissement de son standard de vie. La pression de sa population seule n’autorise pas un pays à s’emparer de la terre de son voisin, surtout si ce voisin est également surpeuplé. Le monde est bondé maintenant, et la réglementation de son peuplement est devenue l’un des problèmes internationaux les plus essentiels. » L’auteur de La Faim du Monde a visité de nombreux pays. Il a examiné sur place, au Japon, en Chine — où l’on estime à cent millions le nombre de personnes mortes de faim au cours du siècle dernier, — en Grèce, en Amérique latine, aux Indes où, selon M. Munshi, ministre du Ravitaillement, « la situation actuelle est probablement une des plus critiques de l’histoire indienne moderne ». Et de toutes les études qu’il a faites au long de ses voyages et à travers ses lectures, William Vogt tire la conclusion suivante : « Toutes les mesures possibles de préservation resteront sans effet si les populations humaines s’accroissent indéfiniment. Il est évident que d’ici cinquante ans le monde ne sera pas en état de nourrir trois milliards d’individus de plus si ce n’est au régime des coolies ; un sixième d’hectare ne peut décemment nourrir un homme, le vêtir et régulariser le cycle hydrologique. À mesure que le chiffre des populations augmente, les abus que l’on fait du sol, comme je l’ai montré, augmenteront aussi. »
Dans son dernier livre paru : Trop d’enfants ? [[Trop d’enfants ?, par Paul Reboux. Éditions Denoël, Paris.]] Paul Reboux pose un grand nombre de questions auxquelles il répond d’ailleurs avec preuves solides à l’appui. Il s’élève contre cette frénésie populatrice qui règne dans tous les pays. Il fait ressortir combien le fameux « droit à la vie », qui fait le succès des démagogues de tous bords dans le but intéressé et peu louable de subjuguer l’esprit peu averti des foules, n’existe pas en fait.
Après le très important ouvrage de William Vogt, Trop d’enfants ? pose le problème d’une façon lucide. C’est un livre instructif, opportun et courageux d’un observateur attentif qui se place au-dessus des dogmes mystiques, psychiques ou moraux, et en dehors de toutes les chapelles idéologiques et politiques pour se situer dans un climat réel, positif et scientifique. Il demande que soient supprimés les encouragements aux pullulations excessives qui font de tout nouveau-né un enfant de rapport. Il démontre l’injustice des lois d’exception qui ont été votées pour interdire la propagation des théories néo-malthusiennes et de leur complément : la divulgation des moyens préventifs.
Peut-on espérer que tous ces appels à la sagesse soient entendus, compris et sérieusement pris en considération ?
[/Jeanne