À propos d’honneur
Je lis dans le premier numéro de Contre-courant que M. Raymond de la Pradelle a réclamé, au cours d’une intervention oratoire, le droit à l’objection de conscience au nom de l’honneur militaire. Cela me paraît un peu paradoxal tout de même. Et, puisqu’il est question d’honneur, que l’auteur de cette déclaration veuille bien prendre connaissance du petit articulet suivant paru il y a quelques jours dans un organe vespéral de droite : « Nous apprenons qu’au cours des récentes grandes manœuvres de concentration militaire en Hautes-Alpes, un obus explosant est tombé sur une ferme près de Briançon, occasionnant un commencement d’incendie, heureusement vite circonscrit par les secours immédiats du personnel, mais qui eût pu avoir les plus graves conséquences. »
Ce fait divers se passe de commentaires. Cependant moi qui, en ma pauvre naïveté, croyais que ces stupides exercices se passaient à blanc, je m’aperçois de la caducité de ma croyance. Aux prochaines manœuvres, — cela se passe à proximité d’une cité industrielle, — quels seront les résultats ? D’après enquête, ces messieurs ont droit à 7 % d’obus réels.
Là, alors, je pense que l’honneur militaire sera un tantinet en jeu. Qu’en dites-vous, amis lecteurs ? Qu’on se le dise quand même, ne serait-ce qu’au simple point de vue sécurité.
[/Eugène
Lettre du Paraguay
Me voici rendu à Asuncion après une traversée de vingt-quatre jours par mer heureusement calme. J’ai passé quelques heures à Rio-de-Janeiro, rade superbe, unique au monde par sa féerie de lumière. La ville est bien, mais sale comme toutes les villes sud-américaines où les contrastes frappent, où voisinent gratte-ciel splendides et taudis infects à Buenos-Aires par exemple.
À Asuncion le moderne côtoie le primitif. Vous y voyez des vaches, des ânes circuler librement dans les rues, brouter l’herbe entre les pavés — car les rues sont pavées avec de gros grisons ce qui rend la circulation à bicyclette très pénible — sans que personne s’en offusque.
Les moyens de transport datent de Jésus-Christ et pourtant les voitures sont toujours combles car les Sud-Américains, tout comme les Parisiens, n’aiment pas marcher à pied. Cette capitale possède la lumière électrique mais pas d’égouts et les gens y font leur popote sur les trottoirs.
Je pourrai d’ici peu donner sur les mœurs des indigènes un long propos car je pars incessamment dans la brousse. Amicalement aux amis.
[/Marius