La lecture de la grande presse suscite présentement quelques observations qui ne militent pas en sa faveur. Devant l’absence du respect de la volonté populaire, ne sommes-nous pas en droit de nous demander si nous sommes vraiment en démocratie ? Celle-ci exige, en effet, une information où la précision doit s’allier à la logique pour atteindre le but poursuivi : l’édification clairvoyante du public.
Or, que voyons-nous, au contraire ? L’alignement de la presse actuelle, qui se trouve plus préoccupée de questions partisanes que de saine objectivité, oblige le chercheur à compulser toute une série de revues ; le grand nombre de ces dernières laisse fatalement échapper au plus perspicace, les éléments qui lui permettraient d’établir une synthèse solide.
La peur de la vérité a conduit progressivement les quotidiens à contracter la funeste habitude de ne livrer à leur clientèle que la partie entrant dans la ligne de conduite que s’est attribuée chaque direction de journal ; les éléments indispensables à la formation d’une opinion réfléchie sont soigneusement laissés dans l’ombre.
Il n’est pas nécessaire d’entrer dans le détail des citations tronquées ; les mutilations et les déformations de textes sont d’une pratique courante ; les affirmations d’un jour démenties brutalement par les faits, concourent à un désintéressement complet de la masse des lecteurs déçus par le manque de probité intellectuelle de la plupart de nos journalistes d’occasion.
Le but poursuivi par nos augures n’est-il pas de compléter la léthargie réalisée sur le plan syndical, par celle de toute la population, en pratiquant une sophistication permanente des informations qu’ils laissent imprimer ?
La démission de l’intelligence que nous constatons est-elle définitive ? Ou, au contraire, en dépit de l’absence de civisme et de la paresse d’esprit coutumières à tant de nos contemporains, n’allons-nous pas assister au sursaut d’une opinion trop longtemps contenue ?
Rien que sur la question du réarmement allemand, si contraire à la volonté du peuple d’outre-Rhin, désiré par les financiers et sidérurgistes américains qui ont oublié les leçons de Pearl Harbour résultant de leur pusillanimité envers le Japon, les tergiversations sont nombreuses. Des déclarations de Louis Johnson, Secrétaire à la Défense des États-Unis, à Guderian, ce généralissime d’Hitler qui se trouve être le futur chef de la nouvelle Wehrmacht, en passant par Robert Schuman qui défend si ardemment la féodalité des maîtres de forges du bassin sarrois-lorrain, les plus grandes contradictions mettent à l’épreuve la mémoire des lecteurs.
Mais là n’est pas encore la partie la plus grave de la question. Les mensonges cyniques, colportés à la fois par la presse, le cinéma et la radio, que dément la pertinence des faits, ne sont pas de nature à rehausser la faible estime dans laquelle sont tenus les directeurs de conscience populaire.
La lenteur des pourparlers d’armistice en Corée est suffisamment édifiante ; de même, le soutien accordé à Chang Kaï Chek, à Syngman Rhee et à Bao-Daï provoque l’étonnement. L’élémentaire sagesse est soumise à une rude épreuve ; mais la confiance en la vérité et en la liberté demeure tenace.
Certes de quelque atteinte au prestige et à la fermeté pourrait résulter un radical changement de l’attitude de la presse ; mais l’usage périmé des grands mots d’un patriotisme de façade et par surcroît suranné, ne révèle que plus profondément la médiocrité dans laquelle nous nous débattons depuis quelque trente ans.
Et dire que Balzac a écrit : « Sida presse n’existait pas, il faudrait l’inventer. »
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