La Presse Anarchiste

Poèmes pour l’amie

N’es-tu pas lasse comme moi de végé­ter ici ?
Ici où domine l’hy­po­cri­sie, où le men­songe est maître et roi le machiavélisme ?
Ici où les hommes ne sont que de pitoyables pions que meuvent de pseu­do-démiurges irres­pon­sables et sans scrupules ?
Ici où l’a­mi n’ose se confier à l’a­mi, où la tra­hi­son se dis­si­mule sous un sourire ?
Ici, où le bon­heur se construit sur le sable, où toute joie se paie d’une douleur ?
N’as-tu pas soif d’un pays autre, d’un ciel autre, d’autres horizons,
D’autres choses et d’autres êtres ? 

Ne sou­haites-tu pas comme moi de t’é­va­der, de fuir vers Ailleurs ?
Ailleurs, où les étoiles scin­tillent dans un fir­ma­ment sans nuages,
Ailleurs, où les fleurs ne se fanent ni les cœurs ne se brisent,
Où l’a­mi­tié n’est pas que ver­bale, où c’est sans réti­cences qu’elle se donne,
Où elle est toute com­pré­hen­sive, où elle ignore les limites et les poteaux-frontières,
Ailleurs, où l’a­mi­tié est tou­jours de l’a­mour et l’a­mour ne se conçoit pas sans l’amitié ?

Ailleurs ? Mais pour­quoi ter­gi­ver­ser et lam­bi­ner sur la rive ?
Il en est temps encore : le stea­mer n’est que sur le point de lever l’ancre.
Écoute-moi : Ailleurs, on ne connaît la souf­france que par ouï-dire et il n’y coule plus de larmes ;
L’a­mour, le sais-tu, y regarde au cœur et non pas à l’apparence.
Ailleurs, il n’est pas de désir qui se heurte à un refus inexorable
Et le plus dis­cret appel y ren­contre un écho compatissant.
C’est même à pas feu­trés qu’on y che­mine, par crainte d’y trou­bler les songes merveilleux.

Ailleurs, mais n’est-ce pas la contrée dont nous avons tant rêvé,
Quand les doutes, les déses­poirs, les décep­tions assom­bris­saient nos jours ?
Et qu’ils nous fai­saient mau­dire l’heure où nos pau­pières s’é­taient ouvertes à la lumière ?
Ailleurs, où le plai­sir est sans tache et l’al­lé­gresse sans ombre !
Embar­quons-nous donc en disant à jamais adieu à l’haïs­sable Ici.
Ne crains pas la peine : Ici et Ailleurs ne gîtent pas par delà les océans,
C’est au fond, au tré­fonds, au plus secret de nos êtres qu’ils logent
Et il suf­fit d’un simple acte de volon­té pour échan­ger ici pour Ailleurs !

1er Nov. 1939.

[/​E. Armand/​]

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