La Presse Anarchiste

Une organisation de travailleurs

1. Quelle est la situa­tion actuelle de la C.N.T, à Madrid en par­ti­cu­lier et en Espagne en général ?

On ne peut pas dire que la situa­tion à Madrid et dans la région Centre soit la même qu’à Valence, en Anda­lou­sie et en Cata­logne ; dans chaque endroit il y a une situa­tion dif­fé­rente qui vient de l’his­toire concrète de chaque région, des dif­fé­rents élé­ments exis­tants et des forces poli­tiques. Il en a été de même pour la nais­sance de la C.N.T., qui a été due prin­ci­pa­le­ment à l’im­pul­sion déci­sive de jeunes mili­tants liber­taires et sur­tout anar­chistes. Jus­qu’à il y a 2 mois, la C.N.T. n’exis­tait que par un comi­té natio­nal qui ne l’é­tait que de nom. Avec l’ap­pa­ri­tion du nou­vel anar­chisme et l’ob­jec­tif immé­diat de recons­ti­tu­tion de la C.N.T. com­mence à se déve­lop­per dans toute l’Es­pagne des groupes anar­cho-syn­di­ca­listes qui donnent une pre­mière vie aux orga­ni­sa­tions locales, puis régio­nales et fina­le­ment natio­nales. On peut dire que l’i­ni­tia­tive prise à Madrid en décembre 75 : la pre­mière assem­blée où par­ti­ci­paient 300 cama­rades fut le début du déve­lop­pe­ment de la C.N.T. à Madrid ; des syn­di­cats com­men­cèrent à se déve­lop­per. Le pre­mier fut celui de la construc­tion for­mé par des jeunes, très dyna­miques et com­ba­tifs ; le pro­ces­sus de recons­ti­tu­tion a été le même dans toutes les régions, en Anda­lou­sie, au Pays basque, en Can­ta­brie, en Astu­rie, en Extré­ma­doure. Il est en train de se faire en Gali­cie et en Ara­gon où n’ont pas encore été for­més de comi­tés régio­naux mais où existent une quan­ti­té de groupes. En effet, le sou­ve­nir de la col­lec­ti­vi­té datant de la guerre civile est tou­jours pré­sent ; les jeunes connaissent l’his­toire et les vieux la rap­pellent. Au cours de 1977 toutes les régions seront orga­ni­sées ; le point culmi­nant du pro­ces­sus de réor­ga­ni­sa­tion de la C.N.T. a été la nomi­na­tion du comi­té natio­nal sur­ve­nue en sep­tembre der­nier. Le plé­num natio­nal de la région a char­gé les fédé­ra­tions de la région centre d’é­lire un comi­té natio­nal com­po­sé par un délé­gué de chaque région et un comi­té per­ma­nent com­po­sé de 5 membres (secré­ta­riat permanent).

2. Quels sont les pro­blèmes que vous avez rencontrés ?

Je dirai que ce sont les pro­blèmes d’une orga­ni­sa­tion extrê­me­ment jeune ; en fait nous pou­vons dire que 90 % des membres de la C.N.T. sont jeunes et que ceci est une grande chance ; mais ces jeunes manquent d’ex­pé­rience, ils ne savent pas ce qu’est réel­le­ment l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme, puis­qu’ils ne l’ont pas vécu, et cela crée des pro­blèmes, qui par ailleurs sont faci­le­ment réso­lus ; un des pro­blèmes majeurs que nous avons dû affron­ter a été avec des jeunes qui venaient des groupes anar­chistes et qui entraient dans la C.N.T. avec une men­ta­li­té anar­chiste en pen­sant pou­voir appli­quer au syn­di­ca­lisme les pro­cé­dés et les fonc­tion­ne­ments de leurs petits groupes. Or dans la mesure où la C.N.T. est une orga­ni­sa­tion qui com­porte de nom­breux tra­vailleurs, elle ne peut fonc­tion­ner comme un groupe anar­chiste. Mais cette expé­rience devait être faite par des jeunes, et elle l’a été, puis dépas­sé posi­ti­ve­ment. Il existe en outre une sorte de répul­sion envers toute forme de repré­sen­ta­tion ; ain­si le comi­té régio­nal ou natio­nal était vécu comme une sorte de bureau­cra­tie ; mais ceux qui avaient ces doutes ont consta­té que le comi­té ne déci­dait pas, mais seule­ment repré­sen­tait, et fonc­tion­nait selon les déci­sions prises par les dif­fé­rents syn­di­cats. Il y a le pro­blème des géné­ra­tions entre les vieux et les jeunes ; mais aujourd’­hui se pro­duit un pro­ces­sus de cla­ri­fi­ca­tion, de dis­cus­sion, de confron­ta­tion. De cette manière les dif­fi­cul­tés se déplacent peu à peu. La C.N.T. actuelle est ain­si beau­coup plus radi­cale dans ses conte­nus qu’elle n’a jamais été grâce à l’é­norme quan­ti­té d’a­nar­chistes qui sont à l’in­té­rieur. Cela consti­tue la garan­tie que la C.N.T. d’au­jourd’­hui est en train de deve­nir ce qu’é­tait la C.N.T. clas­sique, mais adap­tée à la situa­tion actuelle de l’his­toire et donc très dif­fé­rente de celle de 36, mais avec ses conte­nus, sa phi­lo­so­phie anti­éta­tique, antiparlementaires. 

En défi­ni­tive, vous pou­vez dire que la C.N.T. est une C.N.T. nou­velle, jeune, de 1977, mais qui est en connexion directe avec toute l’his­toire pas­sée. Actuel­le­ment, dans ce pro­ces­sus de cla­ri­fi­ca­tion qui implique à la fois des confu­sions et des ten­sions nous avons une orga­ni­sa­tion dif­fi­cile et com­plexe où tout ne va pas faci­le­ment mais qui est très vive et très dynamique.

3. Quel est le pano­ra­ma des forces poli­tiques ? Quelle place occupe la C.N.T. au sein de ce pano­ra­ma ? Quels pro­blèmes existent dans les rap­ports avec les autres formes politiques ?

Nous avons été désor­ga­ni­sés et dis­per­sés à cause de la répres­sion de ces 40 der­nières années, et nous sommes par­tis en posi­tion de désa­van­tage, avec un retard notable. En outre nous n’a­vons jamais eu un appa­reil pro­fes­sion­nel, au contraire des autres forces poli­tiques. Actuel­le­ment, la C.N.T. n’a pas de per­ma­nents payés par l’or­ga­ni­sa­tion ; tous ceux qui occupent des fonc­tions repré­sen­ta­tives vivent de leur tra­vail ; nous n’a­vons donc pas l’ef­fi­ca­ci­té de l’ap­pa­reil pro­fes­sion­nel des Com­mis­sions Ouvrières, ou du P.C. dans lequel tra­vaillent 50 ou 100 per­sonnes à temps plein. Mais cela nous donne une posi­tion de supé­rio­ri­té morale parce que nous ne vivons pas de l’or­ga­ni­sa­tion. Il ne faut pas oublier que les autres forces ont pu comp­ter sur une conti­nui­té aus­si dans la clan­des­ti­ni­té ; conti­nui­té consti­tuée par leurs appa­reils pro­fes­sion­nels qui ont pu comp­ter sur une dis­po­ni­bi­li­té éco­no­mique déri­vant de l’aide des grandes puis­sances : U.R.S.S., Social-Démo­cra­tie Alle­mande, etc… il existe de là une expres­sion du désa­van­tage de la C.N.T. par rap­port aux autres forces, même s’il va en dimi­nuant ; par exemple les Com­mis­sions Ouvrières, avec ce qui a été dit avant, ont eu un avan­tage ini­tial sur nous, mais le fait que les C.O. soient repré­sen­tées à l’ex­té­rieur comme l’u­nique orga­ni­sa­tion des tra­vailleurs est un mythe, parce que l’U.G.T. existe, seconde orga­ni­sa­tion du pro­lé­ta­riat espa­gnol, et la C.N.T. existe aus­si ; le Par­ti Com­mu­niste a vou­lu aus­si, en Espagne, à tra­vers les Com­mis­sions Ouvrières, faire pas­ser le concept d’u­ni­té syn­di­cale qui vou­lait dire, comme au Por­tu­gal, l’exis­tence d’une unique cen­trale syn­di­cale. Mais son pro­jet n’est pas pas­sé grâce à l’op­po­si­tion de l’U.G.T. et de la C.N.T. Nous, par­ti­cu­liè­re­ment, nous nous sommes bat­tus pour la plu­ra­li­té des ten­dances et des orga­ni­sa­tions, basée sur les réelles dif­fé­rences exis­tantes ; cette bataille a été vic­to­rieuse et main­te­nant les Com­mis­sions Ouvrières ont dû renon­cer à leur pro­jet et se rendre compte qu’il exis­tait d’autres forces qu’elles ne pou­vaient pas sou­mettre : l’U.G.T. et la C.N.T. Pour le moment les C.O. occupent encore une posi­tion majo­ri­taire même si en Cata­logne, par exemple, la C.N.T. com­mence à avoir une influence ; mais nous croyons que dans quelques temps les rap­ports de force vont chan­ger. D’autre part, nous avons un gros avan­tage sur les autres forces : les autres affirment être auto­nomes, indé­pen­dants des par­tis poli­tiques, et ceci est faux ; l’U.G.T. dépend direc­te­ment du Par­ti Socia­liste, les C.O. du Par­ti Com­mu­niste, l’U.S.O. dépend de quelques groupes socia­listes dépen­dant du P.S.O.E. et l’u­nique orga­ni­sa­tion qui ne dépend d’au­cun est la C.N.T. ; ceci nous donne un grand avan­tage théo­rique, puisque nous vou­lons démon­trer que per­sonne ne nous donne de ligne, et ceci les tra­vailleurs le com­prennent faci­le­ment. Quand nous disons que nous n’a­vons pas de diri­geants mais que des mili­tants, que l’as­sem­blée est sou­ve­raine, que tous ont le pou­voir déci­sion­nel, ceux-ci le com­prennent faci­le­ment. Aujourd’­hui en Espagne, après 40 ans de dic­ta­ture, il y a une redé­cou­verte des concepts prou­dhon­niens de fédé­ra­lisme, de régio­na­lisme et d’au­to­no­mie. Il existe une véri­table fureur révo­lu­tion­naire, tous les groupes poli­tiques parlent d’au­to­ges­tion y com­pris le P.C.E.

Évi­dem­ment tout ceci nous pose dans une posi­tion d’a­van­tage, vu que nous sommes les uniques porte-voix cohé­rents d’un pro­jet auto­ges­tion­naire ; et nous pou­vons le démon­trer dans les faits ; tous les groupes ou par­tis qui parlent de l’au­to­ges­tion ont une struc­ture hié­rar­chique, tous veulent s’in­té­grer dans l’É­tat et dans le par­le­ment, ce qui n’a rien à voir avec l’au­to­ges­tion ; auto­ges­tion veut dire auto-gou­ver­ne­ment et veut dire anar­chie ; et ceci les gens le com­prennent très bien ; même les reven­di­ca­tions auto­no­mistes des régions de l’Es­pagne et pas seule­ment de la Cata­logne et du Pays basque mais des régions qui n’ont jamais avan­cé ce genre de concepts, comme les pays valen­ciens, l’An­da­lou­sie, la Gali­cie, sont pour nous favo­rables puisque cela veut dire qu’on va vers une décen­tra­li­sa­tion, vers le fédé­ra­lisme prou­dho­nien ; évidem­ment notre devoir est de pous­ser encore plus avant ces reven­di­ca­tions avec un conte­nu : le socia­lisme liber­taire. Il est évident que l’on ne peut être inté­res­sé à avoir 6 ou 7 gou­ver­ne­ments à la place d’un seul ; mais nous devons défendre le concept d’au­to­no­mie et de régio­na­li­sa­tion du point de vue du fédé­ra­lisme liber­taire ; tout ce qui a été dit avant signi­fie que mal­gré les mille dif­fi­cul­tés, nous nous trou­vons dans une condi­tion favo­rable, dans laquelle il est pos­sible de dévoi­ler tou­jours plus, devant les tra­vailleurs, les contra­dic­tions et les mys­ti­fi­ca­tions des autres par­tis, grâce à notre cohérence.

8. Existe-t-il des groupes anar­chistes spé­ci­fiques, et quels sont les rap­ports qui existent entre la C.N.T. et ces groupes ?

Je peux com­men­cer par dire que nous ne recon­nais­sons pas l’exis­tence offi­cielle de la F.A.I. en ce moment ; nous savons qu’il existe une mul­ti­tude de groupes spé­ci­fiques un peu par­tout, et qu’il existe quelques groupes spé­ci­fiques de la F.A.I., mais il n’existe pas la F.A.I. orga­ni­sée natio­na­le­ment et donc nous n’a­vons aucun contact avec la F.A.I. orga­ni­sée natio­na­le­ment. Dans le pays existent une quan­ti­té d’a­nar­chismes, mul­ti­formes, col­lec­tifs, groupes cultu­rels, d’é­tu­diants, groupes de jeunes ; tout cet anar­chisme ne peut être réin­té­gré dans aucun sigle ; même pas dans celui de la F.A.I. Je viens de ter­mi­ner un livre qui sera publié le mois pro­chain qui rap­porte l’his­toire de la F.A.I. et les conclu­sions finales sont que les anar­chistes, ce qui les inté­resse, ce n’est pas la F.A.I., mais c’est l’anarchisme.

Dans les quar­tiers, par exemple, il y a de nom­breux anar­chistes ; ici, ils sont une cen­taine ; cer­tains tra­vaillent avec nous, d’autres pas, car il existe une ten­dance anti­syn­di­cale, ceci pour dire que l’a­nar­chisme en Espagne a de mul­tiples faces. Il faut dire que le déve­lop­pe­ment de l’a­nar­chisme dans le pays est très lié au déve­lop­pe­ment de la C.N.T. La C.N.T. est une espèce de bar­rage et nous ne devons, ni ne vou­lons perdre de l’in­fluence sur le mou­ve­ment ouvrier ; si nous devions perdre notre bataille dans le mou­ve­ment ouvrier, pour de nom­breuses années, nous subi­rions l’hé­gé­mo­nie des mar­xistes et des com­mu­nistes. Le mou­ve­ment est extrê­me­ment impor­tant en ce moment parce qu’en font par­tie, non seule­ment des tra­vailleurs manuels, mais tous ceux qui occupent un poste dans les rela­tions géné­rales de pro­duc­tion : des pro­fes­seurs uni­ver­si­taires aux tech­ni­ciens plus ou moins qua­li­fiés, aux ouvriers ; tous ces gens qui ne sont pas para­sites et qui occupent une fonc­tion plus ou moins pro­duc­tive. Et si nous devions perdre l’in­fluence sur ce mou­ve­ment, dans le sens étroit, même l’a­nar­chisme, sous toutes ses faces, subi­rait une défaite ; parce que l’exis­tence d’une C.N.T. forte et numé­ri­que­ment nom­breuse est néces­saire au déve­lop­pe­ment du mou­ve­ment anar­chiste spé­ci­fique. Si nous per­dons notre bataille, en tant que C.N.T. dans le monde du tra­vail, nous pour­rons seule­ment nous retrou­ver entre anar­chistes dans des bars, à boire une bière et à par­ler anar­chisme ; quelle serait notre inci­dence sur la réalité ?

9. Je vou­drais savoir si dans le pro­ces­sus de recons­truc­tion de la C.N.T. il y a eu des ten­ta­tives d’in­fil­tra­tions de com­mu­nistes ou pire, de membres des syn­di­cats verticalistes ?

La C.N.T. a été créée par des anar­chistes et des anar­cho-syn­di­ca­listes ; main­te­nant viennent vers nous de nom­breuses per­sonnes issues des groupes mar­xistes, dégout­tées par les chefs poli­tiques des Com­mis­sions Ouvrières ; beau­coup de nos meilleurs mili­tants viennent du P.C.E., et main­te­nant ce sont des anar­chistes convain­cus. Donc, jus­qu’à pré­sent, il n’y a pas eu d’in­fil­tra­tions com­mu­nistes, aus­si parce que notre orga­ni­sa­tion actuelle ne le per­met­tait pas ; pour ce qui concerne l’in­fil­tra­tion d’élé­ments ver­ti­ca­listes, moins ; il y a eu en Cata­logne des élé­ments qui ont été dans le syn­di­cat ver­ti­cal, dans la mesure où ils étaient élus par les tra­vailleurs, comme leurs repré­sen­tants, mais sans jamais avoir la ligne poli­tique du syn­di­cat ver­ti­cal. Il existe beau­coup de com­mu­nistes qui étaient et sont encore au syn­di­cat ver­ti­cal parce qu’ils ont la pos­si­bi­li­té poli­tique de l’in­fil­trer ; mais il n’existe aucune influence ver­ti­ca­liste, à l’in­té­rieur de la C.N.T. Ce que nous défen­dons aujourd’­hui est la liber­té syn­di­cale, qui per­met­tra d’a­gir ouver­te­ment tan­dis qu’au­jourd’­hui nous sommes encore illé­gaux même si tolé­rés. La police et le gou­ver­ne­ment savent que nous exis­tons, tant il est vrai que le ministre des rela­tions sociales a invi­té la C.N.T. à un col­loque ; ce qui a évi­dem­ment été refusé.

10. Quels sont les sec­teurs syn­di­caux les plus forts dans la C.N.T. ?

En ce moment à Madrid, le syn­di­cat le plus fort est celui des ensei­gnants, qui compte 200 adhé­rents, et qui regroupe des ensei­gnants, des étu­diants, des tra­vailleurs de l’é­cole en géné­ral ; un autre sec­teur très fort est celui des arts gra­phiques, avec de nom­breux jour­na­listes et écri­vains ; le syn­di­cat de la métal­lur­gie et celui de la construc­tion ; le syn­di­cat des banques et du bois.

11. Quelle est la stra­té­gie d’in­ter­ven­tion de la C.N.T. ; quelles sont les pos­sibles initiatives ?

Je dirai d’a­bord que nous devons affir­mer l’au­to­no­mie et l’in­dé­pen­dance de notre mou­ve­ment, et nos carac­té­ris­tiques his­to­riques : anti-capi­ta­lisme, anti-éta­tisme et anti-par­le­men­ta­risme ; action directe, auto­ges­tion, lutte impla­cable contre le pou­voir en place, et puis, exploi­ter au maxi­mum un phé­no­mène irré­ver­sible qui est en train de se pro­duire : l’in­té­gra­tion dans le sys­tème démo­cra­tique et bour­geois de tous les groupes poli­tiques sans excep­tion et qui jus­qu’à pré­sent sont consi­dé­rés comme des oppo­si­tions poli­tiques. Tous attendent le signal des élec­tions géné­rales pour entrer dans la bagarre, soit au niveau natio­nal soit au niveau muni­ci­pal, et leur com­por­te­ment ne fera rien d’autre que de démon­trer que nous sommes l’u­nique force révo­lu­tion­naire et auto­nome du pays, et que nous sommes l’op­po­si­tion de l’op­po­si­tion. Pour ce qui est des ini­tia­tives, nous avons fait le n°0 du jour­nal C.N.T. ; un numé­ro d’es­sai. C.N.T. sera l’or­gane de lutte de la confé­dé­ra­tion. Ce fut la déci­sion du plé­num des régions de juin der­nier. Il sera bimen­suel et aura dans un pre­mier temps 12 pages, puis 16. Une autre ini­tia­tive que nous avons en chan­tier est un opus­cule de 20 pages « Qu’est-ce que la C.N.T. ? », et une bro­chure de 100 pages avec les mêmes titres qui sera publiée en jan­vier et mise en vente dans les librai­ries ; signée par un col­lec­tif de la confé­dé­ra­tion. Tou­jours cou­rant 77 nous comp­tons publier une revue, sem­blable à « A rivis­ta anar­chi­ca », qui affronte les pro­blèmes cultu­rels et théo­riques ; nous pen­sons réus­sir à édi­ter cette revue, en pre­nant des fonds par­mi des actions de 1000 pese­tas que chaque cama­rade devrait sous­crire ; je vou­drais sou­li­gner que notre mou­ve­ment publie plus de numé­ros de pério­diques que les autres forces, tout en étant loin de leurs moyens finan­ciers. En Cata­logne, sont déjà sor­tis 7 numé­ros de Soli­da­ri­dad obre­ra ; en Anda­lou­sie : Anda­lou­sie liber­taire ; à Valence : La lutte sociale ; à Madrid et région centre : La Cas­tille libre, et main­te­nant C.N.T. qui est l’or­gane natio­nal. On peut dire que presque toutes les régions ont un pério­dique. L’ob­jec­tif le plus impor­tant est le déve­lop­pe­ment qua­li­ta­tif et quan­ti­ta­tif de la C.N.T., puisque main­te­nant l’or­ga­ni­sa­tion est struc­tu­rée et prête à rece­voir une grande quan­ti­té de tra­vailleurs ; ce sera pos­sible quand entre­ra en vigueur la liber­té syn­di­cale. Aujourd’­hui, la C.N.T. compte de 15000 à 20000 adhé­rents, qui sont presque exclu­si­ve­ment militants.

12. Quand je t’ai deman­dé quelle sera la stra­té­gie de la C.N.T. dans les pro­chains mois, tu m’as répon­du par des prin­cipes très clairs ; mais je vou­lais savoir autre chose. L’Es­pagne de 1977 n’est pas celle de 1936, elle est deve­nue un pays indus­tria­li­sé, avan­cé, avec une struc­ture qui repré­sente un nou­vel aspect social, lié au déve­lop­pe­ment du capi­ta­lisme tech­no­cra­tique ; cette évo­lu­tion se reflète dans la confor­ma­tion du mou­ve­ment ouvrier. Face à tous ces pro­blèmes quelle est la stra­té­gie de la C.N.T. ?

Je dirai que la situa­tion éco­no­mique et sociale de l’Es­pagne est chan­gée ; il est vrai que la situa­tion des classes tra­vailleuses n’est pas la même qu’en 36 ; mais dans les pro­chains mois les condi­tions de la classe tra­vailleuse devien­dront très dif­fi­ciles en fonc­tion de la crise éco­no­mique ; les condi­tions de vie des tra­vailleurs sont très mau­vaises et elles ten­dront à empi­rer vers un conflit social ; je ne crois pas qu’il existe la pos­si­bi­li­té que la classe ouvrière s’en­dorme à cause d’un bien-être trop fort, vu que ce bien-être n’existe pas et n’exis­te­ra pas dans le futur ; les tra­vailleurs devront lut­ter dure­ment pour sur­vivre, et de là la pos­si­bi­li­té de contac­ter les tra­vailleurs et donc de leur pro­po­ser nos idées ; notre alter­na­tive existe réel­le­ment, par exemple quand le pro­ces­sus de démo­cra­ti­sa­tion sera accom­pli, les forces poli­tiques se bat­tront pour que les sec­teurs défi­ci­taires de l’é­co­no­mie espa­gnole, comme le char­bon, soient natio­na­li­sés, tan­dis que notre devoir à mon sens sera de se battre contre l’é­ta­ti­sa­tion et pour l’au­to­ges­tion de ce sec­teur, et com­men­cer à créer des struc­tures de base déjà main­te­nant, dans cette socié­té, car nous ne pou­vons attendre l’a­vè­ne­ment du com­mu­nisme liber­taire ; nous devons déjà dès main­te­nant en don­ner des indi­ca­tions bien pré­cises, par exemple : le métro de Madrid a un fort défi­cit et on parle de natio­na­li­sa­tion ; notre indi­ca­tion pra­tique au contraire devrait être que le métro doit être géré par les tra­vailleurs et les uti­li­sa­teurs, en créant un nou­veau type d’ad­mi­nis­tra­tion auto­gé­rée. Nous savons bien que la véri­table auto­ges­tion pour­ra exis­ter seule­ment dans une socié­té liber­taire, mais cette socié­té ne peut certes pas naître par une ver­tu thau­ma­tur­gique du jour au len­de­main ; jus­te­ment c’est avec ces impor­tantes indi­ca­tions que dès main­te­nant on peut avan­cer dans cette direc­tion. En défi­ni­tive je crois que notre stra­té­gie doit être d’af­fai­blir conti­nuel­le­ment l’É­tat, en lui arra­chant tout ce que nous pou­vons lui arra­cher, par des inter­ven­tions, jus­qu’à arri­ver à l’af­fron­te­ment ; ceci nous dif­fé­ren­cie de toutes les autres forces poli­tiques qui, au contraire, tendent à le ren­for­cer en lui don­nant de nou­velles attri­bu­tions, comme la natio­na­li­sa­tion des entre­prises privées.

Quels sont les rap­ports entre la C.N.T. de l’in­té­rieur et l’exil ?

Nous avons réso­lu ce pro­blème de manière prag­ma­tique, et assez intel­li­gem­ment je crois ; l’un a recon­nu l’exis­tence de l’autre, avec un res­pect réci­proque ; ils ont recon­nu que la C.N.T. exis­tait tou­jours en Espagne, qu’elle est par­fai­te­ment auto­nome et que les déci­sions doivent se prendre en Espagne ; de là une recon­nais­sance mutuelle face à une com­plète auto­no­mie. Nous avons recon­nu tous les groupes exis­tant en exil indé­pen­dam­ment du fait qu’ils soient ou non l’or­ga­ni­sa­tion appe­lée offi­cielle. Nous avons donc de bonnes rela­tions, mais nous ne vou­lons pas que les pro­blèmes de l’exil soient repor­tés ici en Espagne, ce serait une véri­table cala­mi­té pour notre mouvement.

Madrid, 5 Janvier.

La Presse Anarchiste