G. Landauer. La Révolution./]
Les vieux démons sont de retour. Le mythe prolétaire, pur et dur, se fait chair à nouveau en terre espagnole. Dans la banlieue de Barcelone, dans les quartiers de Madrid, dans chaque village d’Espagne, l’anarchisme se retrouve dans la puissante dynamique « syndicaliste » de la reconstruction de la C.N.T. [[Pour l’instant, la reconstruction de la C.N.T. suit une marche progressive constante, pleine de discussions et de controverses, mais cela est signe de vitalité. Fin février de cette année a lieu à Madrid la première conférence de presse convoquée par le Comité National. La C.N.T. reconnaît avoir 20 000 militants qui cotisent, dont 80 % a moins de 30 ans. La presse espagnole commence à parler des activités de la C.N.T., des prisonniers, des grèves. En France, le silence continue à crever les tympans. Au moment d’écrire cet article, 14 camarades du syndicat de l’enseignement de Madrid sont en prison depuis la première semaine de mars, détention dont la presse française ne dit pas un mot, alors qu’elle est toujours prête et attentive pour analyser en trois dimensions l’écho du moindre borborigme intestinal de Carrillo.]]
Les anarchistes d’Italie, de France, de n’importe où regardent vers l’Espagne. Pourquoi ? Qu’est-ce qui est en jeu ? La réponse est claire : la possibilité d’existence d’un mouvement de masses à contenu révolutionnaire. Laissons de côté tout triomphalisme : la chose est fragile et difficile à réussir, même si la passion et l’espoir de milliers de gens l’impulsent quotidiennement.
De plus, pour celui qui jette un regard lucide, muni du bagage théorique et pratique qu’on peut avoir aujourd’hui, l’entreprise est un pari sur le futur, puisqu’elle doit emprunter le chemin de la révolution. Autrement, ce ne sera qu’un feu de paille, une illusion perdue. Si c’est pour devenir une centrale réformiste de plus, il vaudrait mieux laisser pourrir en silence les cadavres de 36.
L’explication du fait qu’il y ait peu ou pas de répercussion dans la presse bourgeoise ou autre, ainsi que de la rage que suscite l’anarchisme ne peut peut-être se faire qu’en termes de refoulement, dénégation ou autres empruntés à la psychologie clinique.
Mais faisons face à notre problème en ayant toujours présent à l’esprit que tout ce qui se discute au long de ces pages n’en est qu’un aspect, que nous croyons central : c’est-à-dire, la relation entre un large mouvement populaire, de masses, et le projet révolutionnaire.
Qu’est-ce que nous pouvons raisonnablement attendre de la nouvelle C.N.T. ?
La discussion que nous avons eue à Madrid avec Juan Gomez Casas, Secrétaire général du Comité National, est partie des préoccupations que nous avions déjà rencontrées à Paris lors des discussions que nous avions eues dans nos milieux plus ou moins antisyndicalistes.
Nos critiques étaient dirigées contre « le syndicat de masses », contre la fonction du syndicat dans la société industrielle. Construire la C.N.T. sur l’image hyper valorisée, même idéalisée, de la C.N.T. d’avant la guerre, n’est-ce pas se condamner à l’échec pour ne pas tenir compte de l’évolution de la société espagnole, et ne pas voir quelle a été l’évolution du syndicalisme dans les 50 dernières années ? Le vieux syndicalisme révolutionnaire ou anarcho-syndicalisme n’existe plus. Qu’est-ce qui reste de la C.G.T. d’avant 14 ? Et de l’U.S.I., ou de la F.O.R.A., ou de la I.W.W. ? Et de la A.I.T. des années 30 ? [[La A.I.T. (Association Internationale des Travailleurs) fut fondée, reprenant la trajectoire de la Première Internationale, au Congrès de Berlin qui eut lieu du 25 décembre 1922 au 2 janvier 1923. Participants : Argentine, Federación Obrera Regional Argentine, deux délégués, 200 000 membres. Allemagne, huit délégués, Frei Arbeiter Union, 120 000 membres. Chili, un délégué, 20 000 membres. Danemark, Association de Propagande Syndicaliste, 600 membres. Espagne, Confederación Nacional del Trabajo, deux délégués, 1 000 000 de membres. Hollande, National Arbeids Secretariaat, quatre délégués, 22 500 membres. Italie, Unione Sindicale Italiana, deux délégués, 500 000 membres. Mexique, Confederación General de Trabajadores, un délégué, 30 000 membres. Norvège, Norsk Syndikalistik Federation, un délégué, 3 000 membres. Portugal, Confederacao General do Travalho, 150 000 membres. Suède, Sveriges Arbetares Centralorganisation, deux délégués, 220 00 membres. Il y avait aussi d’autres délégués sans vote d’autres organisations d’Allemagne et des Comités Syndicalistes Révolutionnaires, tendance de la C.G.T.U. Française : aussi deux délégués en exil de la minorité syndicaliste des syndicats russes. (Données fournies par R. Rocker dans le Vol. III de son autobiographie : Révolution et Régression. 1918 – 1951. Ed. Tupac, Bs. As. 1952)]]
Le syndicat s’est intégré à la société capitaliste comme un rouage de l’appareil d’État, élément régulateur dans le marché de la force de travail, instance intermédiaire entre l’ouvrier et le pouvoir d’État, interlocuteur valable, élément de contrôle et de domestication dans la société libérale avancée aussi bien que dans les régimes appelés, par une ironie de l’histoire, soviétiques. Seulement la grève sauvage, incontrôlable, est le grand épouvantail de la patronale et de la bureaucratie syndicale [[Le 22 – 3‑77 au Palais des Congrès du Kremlin : Sixième congrès des syndicats soviétiques. Le camarade Brejnev fixe aux syndicats la tâche essentielle de « renforcer la discipline du travail ». « Je dois dire que les syndicats ne font pas assez d’efforts pour mettre au maximum à profit le temps de travail » (Le Monde, 23 – 3‑77). Le 24 – 4‑77 à Paris : « Un problème se pose pour Georges Séguy et Edmond Maire : comment accroître la pression syndicale sur le pouvoir tout en évitant la multiplication des grèves sauvages » ? (Le Matin de Paris).]].
Face à cette sombre vision de l’évolution de l’organisation syndicale la réponse fut immédiate : le problème actuel de l’actuelle C.N.T. n’est pas là. Au contraire, le danger que nous devons affronter est celui de la « groupuscularisation » de la C.N.T., nous répond Gomez Casas. Les gens qui composent l’organisation sont des jeunes formés dans la militance anarchiste des dernières années du franquisme, et leur mentalité n’est pas fondamentalement anarcho-syndicaliste, mais par contre ils sont imprégnés de la méfiance envers la structure bureaucratique et envers la pratique syndicale de lutte pour l’amélioration des conditions de travail, ce qui était caractéristique des premiers temps du collectivisme ou du communisme anarchiste. (Voir 2 l’entretien avec J. Gomez Casas).
Mais ces deux obstacles, ce Charybde et Scylla que nous connaissons tous et que nous craignons, ne constituent-ils pas le problème typique, la contradiction de base de l’organisation ouvrière ?
Aussi bien le socialisme marxiste que l’anarchiste tenta des solutions différentes, la pratique révolutionnaire montra les limites et les contradictions, différents moments historiques furent marqués par l’hégémonie quasi absolue du syndicalisme ou de l’activisme révolutionnaire [[Sauf l’aspect ponctuel qu’on pourrait appeler « moment révolutionnaire » ou « situation révolutionnaire » dans lequel la relation n’est pas d’opposition mais de fusion.]]. Voyons, de façon nécessairement schématique, quelques aspects — historiques — du problème.
De la première internationale à la critique du syndicalisme
[/« Préoccupé de rester révolutionnaire tout en étant pris par le travail syndical… »
P. Monatte./]
Dès le conflit entre Marx et Bakounine au sein de la Première Internationale — fondamentalement un conflit entre deux conceptions de la révolution — se profile la contradiction qui va parcourir l’histoire du mouvement ouvrier.
Les socialistes marxistes ont suivi, en ce qui concerne le rapport entre les masses et la révolution, une ligne que nous pourrions définir comme démocratico-jacobine ; et leur solution a toujours été claire, la dépendance de fait, proclamée ou cachée, de l’organisation ouvrière à la direction politique.
Marx voulait le renforcement des attributions du Conseil Général et la définition d’une ligne politique obligatoire pour la totalité des Sections. Sous une devise commune à tous : « L’émancipation des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes », Marx affirme la priorité de « la conquête du pouvoir politique », « premier devoir de la classe ouvrière », (Adresse Inaugurale) et, à la Conférence de Londres en 1871 (à laquelle assista Anselmo Lorenzo en tant que délégué de la Section Espagnole), il impose le principe de l’organisation en tant que parti politique. La résolution, rédigée par Marx lui-même, dit : « le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant en parti politique distinct… » [[Sur la Conférence de Londres et la manipulation contre Bakounine à laquelle elle donna lieu, voir le Vol. II Bakounine. Œuvres complètes. Ed. Champ Libre, Paris 1974.]].
Arthur Lehning dit, en commentant ce débat : « Les arguments opposés aux « abstentionnistes » reposaient sur un malentendu ou n’étaient pas fondés. Bakounine n’a jamais nié que l’Internationale eût un caractère politique (…) Le différend ne portait pas sur les buts de transformation radicale de la société, mais sur la forme à donner à la lutte politique et à l’organisation de la classe ouvrière. Quant aux « abstentionnistes » ils étaient opposés à l’action parlementaire, à l’organisation de la classe ouvrière en parti politique et à la conquête du pouvoir comme « condition préalable de l’émancipation des travailleurs » [[A. Lehning. Introduction Vol. II Bakounine. Œuvres complètes, p. XLVII.]].
Dans la pensée de Bakounine il y a une discrimination entre l’organisation ouvrière et l’organisation des révolutionnaires. Discrimination qui, à l’intérieur de la théorie générale bakouninienne — anarchiste — telle qu’elle se concrétise à l’époque de la scission de l’Internationale, aurait pu être taxée de contradiction logique. Nous ne le croyons pas, puisque pour Bakounine il existe, ou se manifeste comme étant nécessaire, un premier niveau d’organisation, général, massif, de tous les exploités, appelés par leur propre condition — la place qu’ils occupent dans le processus de production capitaliste — à se révolter et à changer les bases de la société. Les exploités sont socialistes (ou collectivistes) sans le savoir, par « instinct ». Ce présupposé est la base du « spontanéisme » révolutionnaire. Mais en même temps il existe un autre niveau d’une majeure cohérence : l’organisation de ceux parmi eux qui sont arrivés à une plus grande conscience et ont, par conséquent, défini un projet, un programme : les révolutionnaires. De notre côté, nous pourrions ajouter que les deux niveaux d’organisation ne s’opposent pas mais que, au contraire, ils s’interpénètrent, s’appuient l’un sur l’autre, se complémentent, pour développer les conditions de la révolution sociale. Il ne s’agit pas de deux entités différentes mais de deux modes d’organisation juxtaposés et ouverts l’un sur l’autre, tous les deux déterminés par les conditions générales de l’affrontement des classes et le mode d’intervention politique de l’État.
Bakounine dit : « Si les fondateurs de l’Internationale avaient donné à cette grande Association une doctrine politique (…) socialiste, philosophique, déterminée et positive, ils auraient commis une grande faute. (Lettre de Bakounine à T. G. Morago, 21 mai 1872.)
Par contre, dans sa lettre à Céretti en mars 1872 « il parle de la nécessité de fonder des nuclei [[Noyaux.]] composés des militants les plus sûrs, les plus dévoués, les plus intelligents et les plus énergiques » [[A. Lehning. Op. cit. Vol. 2 p. XXXVIII.]]. « Ils formeront le pont nécessaire entre la propagande des théories socialistes et la pratique révolutionnaire » [[Ibid. p. 252.]].
Depuis le moment où l’opposition entre Bakounine et Marx a lieu jusqu’à aujourd’hui, les deux façons de concevoir le rapport entre le projet de changement révolutionnaire et le mouvement ouvrier continueront à exister sous des formes ou des oppositions pas toujours claires mais toujours présentes.
La tendance socialiste, social-démocrate, marxiste, au lendemain du Congrès d’Amiens, de la C.G.T. française, se trouva mal placée pour contrôler de l’intérieur le mouvement ouvrier. La solution fut de séparer clairement les fonctions. La séparation de l’« organisation politique » et de l’organisation économique » de la classe ouvrière fut défendue par Lagardelle, Vaillant et Jaurès contre les « guesdistes » et votée au Congrès de Nancy du Parti Socialiste Français, en 1907 [[Xavier Cuadrat : Socialismo y Anarquismo en Cataluña, los origenes de la C.N.T. Ed. de la Rev. del Trabajo. Madrid, 1976.]].
Quelques jours plus tard a lieu à Stuttgart le Congrès Socialiste International (IIe Internationale) où fut adoptée une solution de compromis qui maintiendra la séparation entre l’organisation économique ― le syndicat — et l’organisation politique ― le parti ― : « Le Congrès déclare que l’intérêt de la classe ouvrière est que dans tous les pays s’établissent des rapports étroits entre les syndicats et le Parti et qu’ils deviennent permanents ». Grâce à cette résolution on évite les « liens organiques » entre syndicats et Parti proposés par les Belges et les Espagnols, ce à quoi s’opposait avec fermeté la Section Française puisque la C.G.T. avait décidé à Amiens de ne pas entrer en relation avec le Parti Socialiste. Dans le cas de l’Espagne, parmi les six délégués se trouvait Pablo Iglesias et on connaît bien le pouvoir qu’il exerçait aussi bien sur le P.S.O.E. que sur l’U.G.T.
Pablo Iglesias affirma que : « …les Sociétés de résistance, veillant aux intérêts de leurs individus, doivent travailler dans les luttes électorales pour le triomphe des candidats socialistes avec autant de détermination que notre propre Parti. Mieux encore : l’action politique de celui-ci, dans toutes les circonstances où il se manifeste, doit être soutenu par celles-là puisque tout ce que le Parti Socialiste réalise doit être nécessairement favorable à ceux qui travaillent » [[Ibid, p. 307.]].
La stratégie du parti politique — hier aussi bien qu’aujourd’hui — était — et continue d’être — électoraliste, c’est-à-dire que les votes se ramassent là où l’on peut, de là la nécessité de ne pas faire peur à la bourgeoisie.
Comme exemple de deux mentalités différentes nous transcrivons deux paragraphes, l’un anarchiste l’autre socialiste, écrits en Espagne à l’occasion du 1er Mai 1890 : « La liberté ne se demande pas, elle se prend… La journée de huit heures nous ne l’aurons pas avec des manifestations pacifiques et avec d’inutiles et serviles pétitions ; nous l’aurons en nous imposant et l’imposition est dans la grève. » Los Desheredados, 1890.
« En tenant fidèlement la parole engagée devant les très dignes autorités, devant le publique et notre humble classe, de ne pas nous mélanger à la grève générale ; le fait qu’aucun de nos camarades du métier n’ait souffert de la moindre répression de la part des responsables de l’ordre public donne une idée de notre sagesse… » El eco de los obreros toneleros, 1890 [[José Alvarez Junco : La ideologia politica del anarquismo español (1868 – 1910). Sigle XXI. Madrid, 1976, pag. 552.]].
Plus de quatre-vingts ans après, dans le numéro un du périodique C.N.T., quatrième période, janvier 1977, nous lisons : « On fait croire au peuple qu’en votant il exerce une supposée égalité de droits politiques. Le pire c’est que cette égalité de droits s’exerce dans une société classiste qui refuse l’égalité économique et sacralise dans les lois la propriété privée et l’exploitation de l’homme par l’homme ».
Malgré des positions si différentes sur le terrain politique, l’idée de l’unité de la classe demeure et résiste. Après la disparition aussi bien de la branche bakouniniste que de la branche marxiste de la Première Internationale, le retour des anarchistes aux syndicats est relié à une pratique révolutionnaire des Sociétés de Résistance et à une critique des divisions idéologiques. Ainsi, au Congrès de Barcelone de 1888, on arrive à un Pacte d’Union et Solidarité entre les Sociétés de Résistance au Capital. Dans ce pacte et « dans les articles et les gloses qui l’ont accompagné dans la presse anarchiste, on insistait sur la nécessité de l’union ouvrière par-dessus les idéologies ». Néanmoins, la même année se créa l’organisation rivale socialiste, l’U.G.T., ce qui transforma en rivalité l’union proclamée avec les socialistes [[J. Alvarez Junco. Ibid. p. 551.]].
Déjà, dans la constitution de « Solidaridad Obrera » (Local, 1907), participent ensemble socialistes et anarchistes, sans avoir réglé totalement le contentieux sur les méthodes d’action, sur le terrain même de la résistance ouvrière, par exemple, et, fondamentalement, sur la grève générale et sur son utilisation pacifique ou insurrectionnelle.
Dans le manifeste par lequel « S.O. » appelle au congrès de 1908 — d’où surgira la Confederación Regional de Sociedades de Resistencia — on peut lire : « …ne nous limitons plus à une simple action de défense ni à l’assaut des réformes insuffisantes dans l’avenir, mais préparons-nous à l’assaut définitif du système capitaliste, en nous appropriant des instruments de travail et des moyens de production » [[X. Cuadrat. Op. cit. page 222.]].
Immédiatement après ont lieu les faits de la Semaine Sanglante de Barcelone, 1909, lourde de conséquences, avec les accusations contre Ferrer de financer et contrôler « Solidaridad Obrera » et d’avoir promu l’insurrection, qui conduisent à son exécution. L’organisation continue à se développer et, dans le congrès de 1911, est décidée la fédération au niveau national avec le nom de Confederación Nacional del Trabajo.
Cette unité de la classe par dessus les différentes positions est la base du syndicalisme révolutionnaire français dont l’influence dans les formulations théoriques de l’anarcho-syndicalisme est indiscutable.
Mais Lorenzo écrit dans Tierra y Libertad, en 1907, que dans la constitution de la C.G.T., il y a eu influence espagnole et surtout catalane. Il est vrai que, aussi bien dans la C.G.T., Syndicaliste Révolutionnaire, que dans la C.N.T. historique se concrétise un des contenus théoriques de l’aile antiautoritaire de la Première Internationale : le « syndicaliste ». L’autre, spécifiquement révolutionnaire, réapparaîtra dans la C.N.T. d’une façon formelle et non seulement à travers une pratique, avec la création de la F.A.I. en 1927.
Le syndicalisme, qui prend corps avec la Charte d’Amiens — 1906 — deviendra lui aussi une solution de compromis, non seulement comme on dit généralement entre anarchistes et socialistes (ce à quoi s’opposèrent farouchement les guesdistes) mais aussi entre deux tendances de l’anarchisme. Compromis sur la base d’une pratique considérée comme nécessaire et spontanément révolutionnaire. Par opposition à l’action politique parlementariste et programmatique — on voit bien là comment on retourne à la discussion de la Ière Internationale — le syndicalisme réunissait tous les ouvriers, tous les exploités sur la base de leurs intérêts de classe, laissant de côté ce qui les séparait, l’« argumentation philosophique » par le truchement de l’expulsion de la « politique » de l’intérieur du syndicat. Pouget et Griffuelhes définissaient une position apparemment favorable à l’anarchisme. » La proposition Griffuelhes, à laquelle les libertaires ne pouvaient trouver aucun défaut et qui enveloppait dans des formules polies la fin de non-recevoir opposée aux socialistes, fut adoptée à la presque unanimité, par 830 voix contre 8. » Et Mermeix dit ensuite : « S’il est vrai que chaque syndiqué est libre de militer politiquement dans le sens qui lui convient, le syndicat n’est ouvert, lui, qu’à la propagande d’une seule doctrine, la doctrine antiparlementaire, « antimajoritaire », « antivotarde », c’est-à-dire que, ayant atteint un point élevé de croissance, le syndicalisme continue à saper la base populaire du parti socialiste » [[Mermeix, Le syndicalisme contre le socialisme. Voir X. Cuadrat, Op. cit. pages 294 et 297.]].
Pour le point de vue syndicaliste révolutionnaire les ouvriers, en tant que classe, sont liés par l’intérêt commun face au capitaliste et à l’État ; ce dernier, en intervenant dans les conflits de travail — qui sont vus à l’époque surtout sous la forme de grèves — ne peut le faire que du côté de l’ordre établi, c’est-à-dire de la classe patronale.
Ainsi « …l’action syndicale, l’expression la plus pure de la lutte des classes, poursuit purement et définitivement la lutte directe, à savoir, la lutte des opprimés contre les oppresseurs, des exploités contre les exploiteurs, des salariés contre les capitalistes » [[J. Alvarez Junco. Op. cit. page 558.]].
Conséquent avec sa position d’action directe entre salariés et capitalistes, le syndicalisme révolutionnaire refuse la pétition de solutions « légales » aux pouvoirs publics. Pour Griffuelhes, Merrheim, Pouget ou Delesalle, dans les années héroïques de la C.G.T. française, le grand danger pour le mouvement ouvrier était de se laisser domestiquer. Ils croyaient, avec une remarquable lucidité, si nous les jugeons en fonction de ce que sont devenus les syndicats, ils croyaient, nous disions que, depuis la loi du 21 mars 1884 (légalisation des organisations syndicales) et le ministère Waldeck-Rousseau de 1899, les socialistes réformistes avaient commencé à amadouer les syndicats ouvriers avec des concessions apparentes et des réformes sociales trompeuses.
Au fond les anarchistes et les syndicalistes révolutionnaires de l’époque donnaient à la lutte syndicale une valeur politique en elle-même, avec l’espoir que les travailleurs ne peuvent souhaiter autre chose que leur émancipation et que la grève, surtout la grève solidaire et la grève générale, sont une bataille de la guerre sociale qui se terminera avec l’abolition du salariat et la disparition des classes.
Et ce principe d’unité de la classe sans différences idéologiques était constitutif de Solidaridad Obrera, mère de la C.N.T. « Solidaridad Obrera ne suivra aucune tendance politique de parti, même si nous respectons celle de tous les associés. En tant que classe ouvrière nous ne pouvons avoir qu’un but commun : la défense de nos intérêts et seulement un idéal peut nous unir : notre émancipation économique ». « On a dit pour combattre cette Fédération qu’elle est composée seulement et exclusivement d’anarchistes ; ce n’est pas vrai, puisque dans les décisions des Sociétés on observe la plus stricte neutralité, les sociétés étant constituées par des ouvriers de toutes les nuances… » [[Ibid. page 560.]].
Mais l’un des éléments constituants de la doctrine syndicaliste va plus loin que l’organisation de classe contre le capital ; un des paragraphes de la Charte d’Amiens dit : « le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale ». Et ce point sera développé par certains anarcho-syndicalistes.
La réponse anarchiste à la conception syndicaliste révolutionnaire est clairement représentée par Malatesta dans la polémique qui l’opposa à Monatte au Congrès Anarchiste International d’Amsterdam en 1907. Toute la critique du syndicalisme, telle qu’elle se développera après est déjà présente. Monatte fait une véhémente défense du syndicalisme révolutionnaire. Malatesta fait la critique du réformisme : le syndicat « n’est et ne sera jamais qu’un mouvement légalitaire et conservateur, sans autre but accessible — et encore ! — que l’amélioration des conditions de travail ». La critique de la grève générale pacifique. Du syndicat en tant qu’organe de restructuration de l’économie et base de la société future : le syndicat est une organisation de résistance à l’exploitation capitaliste, un organisme de combat qui doit disparaître en même temps que la vieille société.
Malatesta, quinze ans plus tard dans un numéro de Umanità Nova (n° 82, 6 avril 1922 [[Errico Malatesta. Pagine di flotta quotidiana Scriti. 1er Volume 1920 – 1922. Carrara, 1975.]]) publie un article intitulé Syndicalisme et Anarchisme où sont résumées quelques-unes des critiques capitales contre le syndicalisme. Malatesta a été toute sa vie partisan du syndicat comme un moyen de lutte fondamental car il réunissait les exploités et les opprimés, mais à condition de ne pas le prendre comme une fin en soi-même et étant conscient de ses limitations et de ses dangers. D’abord, le fait positif : l’organisation ouvrière est l’élément indispensable au développement d’un mouvement de masses. « Et la révolution telle que nous la voulons, faite par la masse et se développant grâce à la masse, sans imposition ni dictature ouverte ou larvée, ne pourrait se produire et se consolider sans l’existence préalable d’un large mouvement de masses. » Mais en même temps attention ! il ne faut pas prendre pour « un moyen unique et sûr de révolution, une forme de lutte qui a en elle-même une grande puissance révolutionnaire, mais qui peut aussi, si elle est abandonnée à ses tendances naturelles, devenir un instrument de conservation du privilège et d’adaptation de la masse plus évoluée aux institutions sociales présentes ». (Le mouvement ouvrier) « peut, toute organisation nouvelle peut dans l’esprit de ses initiateurs et dans la lettre de ses statuts, avoir la plus haute aspiration et les propos les plus radicaux, mais s’il veut exercer la fonction propre au syndicat ouvrier, qui est la défense actuelle des intérêts de leurs membres, il doit reconnaître de fait l’institution qu’il a niée en théorie, et il doit s’adapter aux circonstances et essayer d’obtenir, à chaque fois, le plus possible, négociant et transigeant avec les patrons et avec le gouvernement. En un mot, le syndicat ouvrier est par nature réformiste et non pas révolutionnaire. »
Cette contradiction entre le projet révolutionnaire et les tendances naturelles du syndicat apparaissent au grand jour à plusieurs reprises dans l’histoire du mouvement ouvrier. Contradiction qui tend constamment à se résoudre du côté de l’intégration institutionnelle, appuyée par la bureaucratie et favorisée par l’adaptation du prolétariat aux conditions idéologiques et légales du réformisme à l’intérieur du système.
La C.N.T. n’est pas la seule organisation ouvrière révolutionnaire dans laquelle la présence des anarchistes contrecarra le caractère économiste et pragmatique du syndicalisme. Mais elle est la seule qui réussit à le faire en gardant sa composition de masse.
Xavier Cuadrat affirme, dans son histoire récemment publiée du socialisme et de l’anarchisme en Catalogne, que « les tensions entre les anarchistes purs ou orthodoxes et le courant strictement syndicaliste devaient se résoudre, à plusieurs reprises, en faveur des premiers, en particulier après l’assassinat de Salvador Segui en mars 1923 » [[Op. cit. page 177.]]. Ce type de résolution donna à la C.N.T. une physionomie particulière, ainsi qu’une capacité de mobilisation jusqu’en 36 et sur laquelle elle se reconstruit aujourd’hui.
Action directe et autonomie ouvrière
[/« Les syndicats seront très utiles dans la période révolutionnaire, à condition d’être… le moins syndicalistes possible. »
Malatesta. Umanita Nova, Roma, n° 83, avril 1922./]
La situation sociale a beaucoup changé en 50 ans. Aussi bien, la composition intrinsèque du prolétariat que sa position relative aux classes dominantes n’est plus la même qu’à l’époque du syndicalisme révolutionnaire ; les schémas organisationnels ne peuvent pas être les mêmes.
La pratique du syndicalisme d’action directe, avec son contenu immédiatement et spontanément révolutionnaire est possible tant que la classe ouvrière est exclue du système institutionnel en vigueur et en conséquence, confrontée à ceux qui exercent le pouvoir. À partir du moment où apparaissent les mécanismes de médiation qui vont permettre à des fractions de la classe ouvrière d’agir en tant que groupes de pression — et le syndicat est devenu l’un de ces mécanismes — la pratique de l’action directe ne peut être maintenu que par son rapport évident à la finalité révolutionnaire. Ou parce que des conjonctures précises démystifient certains aspects idéologiques qui permettent l’illusion d’une relative intégration au système.
Comme nous le disions au début de cet article, l’actuelle C.N.T. a la force de conviction que lui donne sa militance révolutionnaire mais elle doit se développer comme un syndicat de masses et non pas se réduire à un groupe idéologique anarchiste. Comment le faire dans des circonstances telles que la situation espagnole, qui tend vers une « stabilisation démocratique », insérée dans le Marché Commun Européen ? Dans une situation qui n’est pas révolutionnaire ?
La C.N.T. donc, pour continuer à être, doit faire face à différents problèmes actuels, parmi lesquels il y en a un de taille : celui de la légalisation.
Dans la première conférence de presse du Comité National il a été dit que « L’organisation étudiera la mise au point des statuts devant la possibilité d’une imminente légalisation des centrales syndicales. Bien sûr, la C.N.T. acceptera la légalisation à condition que lui soit reconnue toute sa personnalité et ses contenus. » [[Frente Libertario, mars 1977.]]
Le Monde Libertaire du mois de mars publie une interview d’un délégué du Comité Régional de Catalogne, dans lequel se précisent certains aspects du problème. Par exemple, les négociations en cours entre le pouvoir et l’opposition démocratique amènent le Parti Communiste et le P.S.O.E, à travers les centrales qu’ils contrôlent, à éviter toute possibilité d’action autonome des travailleurs. « S’ils réussissent — et ils ont pas mal d’atouts pour y arriver — à nous entraîner tous dans cette sorte d’issue qu’est la démocratie de style européen, alors on peut peut-être dire que l’avenir du mouvement ouvrier est foutu ». Et plus loin : « L’unique accord qui existe pour l’instant est de refuser absolument la légalisation sous conditions. Toute légalisation implique certaines conditions, une acceptation du système existant, mais on refuse totalement une légalisation avec des conditions politiques » (…) « il y a des partisans de la légalisation et des partisans de la non-légalisation, c’est inévitable ».
Et après viendront les contrats collectifs, la négociation, etc.
Mais pour l’instant il se développe une tendance qui s’appuie sur les assemblées d’usine et sur les délégués directs de l’assemblée dans chaque conflit. Nous lisons, par exemple, dans un tract de la C.N.T. appelant à la grève de Roca de Gavá : « À Roca s’est cristallisé un processus qui rompt avec tous les schémas de médiation politique des luttes ouvrières (…) On est en train de se jouer le droit d’élire nos propres délégués ».
Cette position s’articule avec un profond contenu « syndicaliste », de classe, jamais nié par la C.N.T. Ce contenu est surtout exprimé à travers la défense de l’unité des travailleurs et l’indépendance des organisations syndicales. Nous lisons dans un manifeste : « Nous proposons l’unité dans les assemblées et dans la pratique quotidienne du travail, refusant les alliances entre leaders qui conditionneraient nos actions. Nous rejetons donc la « Coordinadora de Organizaciones Sindicales » (C.O.S.) récemment créée, car elle n’est que le reflet de la Coordination Démocratique, dans laquelle les partis et les personnalités de la droite la plus pure ont pactisé avec des partis qui se disent ouvriers, au niveau des dirigeants et derrière le dos des travailleurs ». La C.N.T. souligne « la nécessité d’une véritable indépendance de la part des organisations syndicales (indépendance aussi bien de l’État que des partis politiques) comme condition indispensable pour que l’unité de la classe ouvrière fasse des progrès… » Rappelons-nous des origines : « nécessité de l’union des ouvriers par dessus les idéologies ».
Voyons deux exemples récents de magouilles politicardes auxquelles doit faire face la C.N.T. avec sa ligne d’action directe : devant la situation produite par la grève de Roca Radiadores les centrales syndicales C.C.O.O., U.S.O., U.G.T. et C.N.T. décident d’appeler à une manifestation tous ensemble à Corneliá comme démonstration active de soutien aux grévistes. Bien que le Gouvernement Civil refuse la permission, les quatre centrales décidèrent de maintenir la convocation. Après, à l’insu des travailleurs, C.C.O.O. et U.S.O. négocient un accord avec le délégué provincial des syndicats et avec le Gouvernement Civil : si la manifestation n’a pas lieu à la date prévue, une autre sera permise ainsi qu’une assemblée des travailleurs de la Roca au siège de la Délégation de la C.N.S. pour discuter du jugement de 38 ouvriers parmi les 43 licenciés. Ni l’U.G.T. ni la C.N.T. n’acceptent cet accord. À 19 heures, le jour de la manifestation, les C.C.O.O. et l’U.S.O. négocient encore avec la police. Devant la détermination des travailleurs survient l’agression policière et une heure et demie d’affrontements, de barricades, de charges, etc [[Solidaridad Obrera. Suplemento Especial n° 8, Barcelona, janvier 1977.]].
Les 23 et 24 janvier, au cours de deux manifestations, sont assassinés par les bandes fascistes et par la police Arturo Ruiz Garcia, coffreur et étudiant de 19 ans, et Luz Najera, étudiante. Le 24 également, pendant la nuit, cinq avocats sont assassinés par les fascistes. En Catalogne, les cinq organisations syndicales (C.C.O.O., U.S.O., U.G.T., S.O.C. et C.N.T.) se mettent d’accord pour réaliser une journée de grève le jeudi 27. Avec l’opposition de la C.N.T. les quatre autres centrales ont un entretien avec le Délégué provincial de la C.N.S. et règlent ensemble la façon dont cette protestation doit avoir lieu. Après. un communiqué commun des cinq organisations est publié. La C.N.T. ne souscrit qu’à la première partie du document qui appelle à la grève. Les quatre autres centrales donnent des instructions aux travailleurs sur la conduite à tenir pendant la journée de lutte : ne pas sortir dans la rue, négocier les journées d’arrêt avec la patronale, etc. Elles font finalement un appel à la force publique pour qu’elle ait « un comportement conséquent avec le caractère responsable de notre action ». Le comité régionale de Catalogne de la C.N.T. publie un communiqué dans lequel il appelle à « réaliser des actions de protestation telles que : arrêts de travail, manifestations et mobilisations, en particulier la grève générale du 27… » « La C.N.T. précise qu’elle ne souscrit pas aux cinq paragraphes dudit document, où l’on donne aux travailleurs des instructions sur cette journée. Nous croyons que la classe ouvrière est capable et mûre pour affronter avec sérénité ces événements, et personne ne peut prétendre donner des instructions sur les activités qui doivent se développer » [[Solidaridad Obrera, n° 9, Barcelona, février 1977.]].
En plus de son aspect syndicaliste, le contenu anarchiste de la C.N.T. est actuellement reconnu par tout le monde. Ce projet anarchiste qui transparaît dans la pratique de soutien à l’assemblée ouvrière et aux délégués directs des ouvriers en conflit, ainsi que dans de nombreux articles de la presse confédérale ou dans des articles critiques du « syndicalisme » dépasse à notre avis la classique position anarcho-syndicaliste de la C.N.T.
Et en même temps il existe un courant qui se fraye un chemin, celui des groupes libertaires de quartier. « Les Fédérations Libertaires des quartiers dans les grandes villes, communales dans les régions, constituent la continuité indispensable d’une C.N.T. anarcho-syndicaliste et libertaire » [[Du Comité de Catalogne. Publié dans Solidaridad Obrera n° 9.]]
Évidemment, encourager l’Assemblée Générale et appuyer les délégués d’assemblée, c’est-à-dire stimuler l’autonomie ouvrière en même temps que l’action directe à tous les niveaux, est une position profondément anarchiste.
Il est important qu’elle ne soit pas opportuniste. Nous voulons dire par là que, dans la situation actuelle, face aux difficultés d’implantation dans la masse des travailleurs, qui commence à se libérer du syndicat vertical C.N.S. et face aux combines de toutes sortes des C.C.O.O., U.S.O. et U.G.T., la défense de l’autonomie de l’assemblée d’usine est aussi une bonne politique. Si la C.N.T. devient une puissante centrale syndicale, cela sera-t-il pareil ?
Il ne s’agit pas de faire un procès [[Ce procès d’intention nous le trouvons dans le dernier numéro d’Echanges. Ces camarades ne peuvent pas critiquer la position de la C.N.T. parce que c’est la leur, aussi critiquent-ils le fait que ce soit la C.N.T. qui impulse la pratique de l’autonomie ouvrière. Pour eux la confédération est doublement redoutable : parce que syndicaliste et parce qu’anarchiste !
Qu’ils soulignent les dangers de l’existence même de la C.N.T., c’est leur droit, il n’y a rien a dire, mais qu’ils l’accusent de pactiser avec les autres centrales pour négocier avec les patrons et ne s’occuper des grèves que par intérêt démagogique, c’est faux.
Dans cette brève note, Echanges appelle « battage anarchiste » la campagne pour soutenir, sans contradictions, les ouvriers de la Roca dans leur conflit et ajoute, comme preuve de ses affirmations : « le silence sur Tarrabusi ». Nous voulons seulement, souligner, sur cette dernière affirmation que non seulement la C.N.T. appuie activement sur place les grévistes de Tarrabusi mais que, en plus, « Solidaridad Obrera » de Catalogne consacre toute la dernière page de son supplément spécial de janvier à la lutte des ouvriers de Tarrabusi en grève.]] d’intention mais de souligner une tendance qui est inhérente à la nécessaire défense des intérêts ouvriers à l’intérieur d’un système qu’il faut détruire mais que la vie quotidienne oblige d’accepter car il existe.
L’anarchisme est un projet, une théorie de la révolution ; il demeurera, il restera nécessairement minoritaire pendant les périodes d’une certaine stabilité sociale ; toute sa lutte c’est de développer les conditions d’un mouvement révolutionnaire qui s’exprimera et l’exprimera, lui-même, dans le moment révolutionnaire.
Le syndicalisme révolutionnaire a prétendu conjuguer dans la théorie et la pratique aussi bien le mouvement de masse que le projet révolutionnaire. Mais, dans la situation non révolutionnaire, il y a opposition, contradiction conflictuelle entre mouvement de masse et projet révolutionnaire. Seulement, dans une situation révolutionnaire il peut y avoir coïncidence ou, si l’on préfère, une situation est révolutionnaire quand une telle coïncidence existe.
La situation actuelle exige de la C.N.T. l’énorme tâche de mener à bien l’un et l’autre (être un mouvement de masse et avoir un projet anarchiste), en acceptant la tension de la contradiction, en imaginant de nouvelles formes d’action.
Récemment, un camarade critiquait une information qui venait d’Espagne disant : « ils confondent action syndicale avec action politique ». Il y a cent ans déjà Giuseppe Fanelli fut accusé de confondre l’Internationale avec l’Alliance. Confusion fructueuse que les camarades d’Espagne sont en mesure de développer.
Nicolas