La Presse Anarchiste

Anarchisme et féminisme

À Madrid, en 1934, paraît « Mujeres Libres », revue édi­tée par 4 femmes, écri­vains, qui dis­cu­tait des pro­blèmes d’é­man­ci­pa­tion et de la conquête d’a­van­tages en tant qu’ou­vrières ou mères.

En 1936 le groupe de Madrid et le « Groupe Cultu­rel Fémi­nin » de Bar­ce­lone décident de créer le groupe « Mujeres Libres » qui, deux ans plus tard, comp­tait 28 000 adhé­rentes. Pen­dant trois ans cette orga­ni­sa­tion lut­ta pour la for­ma­tion de la femme pour un tra­vail en com­mun, plus effi­cace aus­si bien dans la Révo­lu­tion que dans la guerre. For­ma­tion pro­fes­sion­nelle non seule­ment pour rem­pla­cer les hommes pen­dant la guerre, mais sur­tout le désir de sus­ci­ter un inté­rêt actif et conscient de la part des femmes dans la vie poli­tique et sociale de l’Espagne.

Dans ce but fut créé à Bar­ce­lone, en 1937, la « Casa de la Dona Tra­bal­la­do­ra » (Mai­son de la femme tra­vailleuse) où les jeunes pou­vaient trou­ver un ensei­gne­ment qui allait de l’ap­pren­tis­sage de la lec­ture et l’é­cri­ture jus­qu’à des cours de langues, science ou sociologie.

Mais encore plus urgent que l’é­du­ca­tion, l’ins­truc­tion ou la for­ma­tion tech­nique des femmes c’é­tait l’a­bo­li­tion de la pros­ti­tu­tion, « Mujeres Libres » exhor­ta, à tra­vers sa publi­ca­tion, les mili­ciens anar­chistes pour qu’ils cessent d’a­gir comme des « seño­ri­tos » en fré­quen­tant les bor­dels et pour qu’ils contri­buent à éveiller chez toutes les femmes le sens de leur « digni­té humaine ». La créa­tion de « Libé­ra­to­rios de pros­ti­tu­ción », asiles où les femmes qui vou­laient aban­don­ner la pros­ti­tu­tion pou­vaient rece­voir un sou­tien et une aide médi­cale et éco­no­mique, ain­si que la pos­si­bi­li­té d’ap­prendre un métier qui les rende auto­nomes éco­no­mi­que­ment, fut l’autre des grandes réa­li­sa­tions de ce groupe pen­dant sa courte existence.

Pen­dant l’exil, un groupe « Mujeres Libres » conti­nue à publier la revue.

Aujourd’­hui d’autres femmes, à Bar­ce­lone, reprennent le nom. Leur pre­mière mani­fes­ta­tion publique est la bro­chure « Hablan las mujeres de Roca » (Les femmes de Roca parlent), récit de ce que fut la grève pour les femmes des travailleurs.

Le texte qui suit est paru en espa­gnol dans quelques publi­ca­tions liber­taires. Nous avons choi­si de le tra­duire et de le pré­sen­ter car il exprime un point de vue sur les luttes des femmes qui diverge de celui que sou­tiennent la plu­part des mou­ve­ments fémi­nistes. Nous sommes d’ac­cord avec plu­sieurs de leurs affir­ma­tions mais ce texte sou­lève aus­si un cer­tain nombre de pro­blèmes que nous sou­hai­tons discuter.

Le compte ren­du de la dis­cus­sion entre les cama­rades de A. Rivis­ta Anar­chi­ca et celles de Mujeres Libres apporte un cer­tain nombre de pré­ci­sions sur les pro­jets du groupe.

Manifeste

Mujeres Libres, orga­ni­sa­tion liber­taire née peu avant juillet 1936 et qui déve­lop­pa ses acti­vi­tés jus­qu’en 1939, a repris son acti­vi­té avec l’ap­pa­ri­tion d’un groupe de femmes qui, éga­le­ment liber­taires, sou­haitent conti­nuer, actua­li­ser, et élar­gir le tra­vail de pro­mo­tion et d’é­man­ci­pa­tion de la femme, dans le but d’une restruc­tu­ra­tion de la socié­té qui per­mette de vivre aux hommes et aux femmes, en qua­li­té de per­sonnes et dans la totale éga­li­té de droits et d’obligations.

(40a) Pour Mujeres Libres la ques­tion fon­da­men­tale n’est pas la libé­ra­tion de la femme, en soi-même, mais que celle-ci (cette libé­ra­tion) se pose dans le cadre plus large de l’é­man­ci­pa­tion de la classe labo­rieuse dans la pers­pec­tive libertaire.

Ce groupe propose :

 — créer une force fémi­nine consciente et res­pon­sable, c’est-à-dire sen­si­bi­li­ser toutes les femmes actuel­le­ment alié­nées dans le rôle par­fai­te­ment assu­mé et accep­té de claire dépen­dance de l’homme et des habi­tudes sociales déter­mi­nées par une socié­té injuste et classiste ;

 — éta­blir à cet effet des écoles, cycles de confé­rences, cours spé­cia­li­sés, revues, etc, en vue de la libé­ra­tion de la femme et de l’é­man­ci­pa­tion du triple escla­vage auquel elle a été et conti­nue d’être sou­mise : escla­vage de l’i­gno­rance, escla­vage en tant que femme et escla­vage comme productrice ;

(40b) — lut­ter contre l’i­né­ga­li­té éco­no­mique et sociale de la femme, qui est la cause pri­mor­diale du pro­blème sexuel dont elle est victime ;

(40c) — lut­ter non pas contre les hommes, mais contre les struc­tures aus­si bien poli­tiques que men­tales, res­pon­sables des affron­te­ments homme-femme ;

 — modi­fier les normes socio-juri­diques, du tra­vail, édu­ca­tives et les rap­ports humains, ceci n’é­tant qu’un moyen pour atteindre notre véri­table objec­tif : chan­ger les normes, com­por­te­ments, us, cou­tumes, formes sociales, les modes et les croyances des gens à pro­pos de l’homme et de la femme ;

(40d) — éli­mi­ner toute sorte de diri­geants (poli­tiques, cultu­rels, éco­no­miques, etc.) même s’ils sont des femmes, car nous consi­dé­rons que la hié­rar­chie n’a jamais été une voie pour l’é­man­ci­pa­tion de l’in­di­vi­du, aus­si bien homme que femme ;

 — refu­ser toute sorte de culture spé­ci­fique, qu’elle soit fémi­niste, machiste, bour­geoise, etc.

En ce qui concerne les par­tis poli­tiques, nous pen­sons que toute « sec­tion fémi­nine » d’un par­ti, ou tout mou­ve­ment fémi­niste dont les diri­geants sont des figures d’un par­ti est condam­née à ser­vir les inté­rêts du dit par­ti, avant que ceux des femmes pour les­quelles elle pré­tend lut­ter. Nous n’ac­cep­tons donc aucune sorte de diri­gisme ou de mani­pu­la­tion de la part des par­tis, ni aucune sorte de com­pro­mis avec eux, sauf s’il est de type tac­tique devant une lutte pré­cise et si notre inter­ven­tion se pro­duit dans des condi­tions de com­plète liberté.

Ce mou­ve­ment (M.L.) existe à Madrid, Valen­cia, Anda­lou­sie et autres régions de la pénin­sule, en train de se struc­tu­rer peu à peu en Fédé­ra­tion de groupes locaux jus­qu’à arri­ver à une coor­di­na­tion totale à un niveau péninsulaire.

Groupe M.L. de Bar­ce­lone, nov. 1976.

Commentaire

À l’heure où les fémi­nistes fran­çaises s’in­gé­nient, à tra­vers la cam­pagne contre le viol, à jus­ti­fier le recours aux ins­tances éta­tiques répres­sives, et donc à légi­ti­mer l’É­tat dans son rôle de jus­ti­cier (quelles que soient les argu­men­ta­tions accom­pa­gnant la demande de pas­sa­tion en assises des vio­leurs : seul moyen de « réper­cus­sion » du pro­blème du viol au niveau de l’o­pi­nion publique, moyen de défense le plus « simple » pour les femmes iso­lées, jus­qu’aux avo­cates ayant le tou­pet de nous dire : mais, vous ne savez pas quel com­por­te­ment nous adop­te­rons quand nous serons aux Assises !…, l’ob­jet du débat n’est pas là dans ce texte) il nous paraît inté­res­sant de publier la plate-forme de Mujeres Libres, ain­si que la tra­duc­tion d’une table ronde parue dans « A » où elles expriment leur de point de vue de femmes liber­taires, et, entre autres, leur refus farouche de toute uti­li­sa­tion des ins­ti­tu­tions éta­tiques (44) (même dans un cadre réfor­miste en vue d’ob­te­nir la léga­li­sa­tion de droits mini­mum… ce qui est pour­tant autre chose que de deman­der l’ap­pli­ca­tion d’une loi stric­te­ment répres­sive entraî­nant pri­son et peine de mort !).

Cepen­dant leurs prises de posi­tion sou­lèvent à notre avis un cer­tain nombre de pro­blèmes, dont l’ex­po­si­tion et la dis­cus­sion font l’ob­jet du com­men­taire suivant.

Nous ne nous appe­san­ti­rons pas ici sur nos points d’ac­cord avec Mujeres Libres, concer­nant le fait de s’ins­crire d’emblée, et en tant que femmes, dans une lutte poli­tique glo­bale anti-auto­ri­taire et anti-hié­rar­chique ; (44) mais cette prise de posi­tion ne doit pas à notre avis — au contraire même — mas­quer l’op­pres­sion spé­ci­fique et les moda­li­tés de la domi­na­tion (famille, rap­port au corps, etc.) que subissent les femmes, ni conduire à réduire, en der­nière ins­tance, les pro­blèmes de domi­na­tion aux pro­blèmes d’ex­ploi­ta­tion éco­no­mique et sociale, comme elles auraient ten­dance à le faire ; ce qui sous-entend que, une fois abo­lie l’ex­ploi­ta­tion et donc les classes sociales, les pro­blèmes de domi­na­tion seront réso­lus et le pro­blème de l’op­pres­sion fémi­nine par là-même.

(40 a, 41) Bien qu’il me paraisse théo­ri­que­ment juste leur point de vue que « la ques­tion fon­da­men­tale n’est pas la libé­ra­tion de la femme en soi-même, mais que cette libé­ra­tion se pose dans le cadre plus large de l’é­man­ci­pa­tion de la classe labo­rieuse dans une pers­pec­tive liber­taire » m’ap­pa­raît comme trop suc­cinct ; même en éloi­gnant le risque d’at­ten­tisme auquel cette posi­tion pour­rait mener (ce qui n’est pas leur cas), leur point de vue a de fortes chances de débou­cher sur une subor­di­na­tion des luttes de femmes aux luttes ouvrières. Par ailleurs, je sens là la démarche qui consiste à tran­cher, par­mi les dif­fé­rentes luttes, entre lutte prin­ci­pale et luttes secon­daires ou péri­phé­riques ; les secondes étant subor­don­nées à la pre­mière. Le prin­ci­pal étant soit la lutte de la classe ouvrière pour les orga­ni­sa­tions poli­tiques, soit la lutte des femmes pour les orga­ni­sa­tions fémi­nistes ; au lieu d’a­dop­ter cette méthode de clas­se­ment hié­rar­chique (ou struc­tu­rel, puisque dans les deux cas la struc­tu­ra­tion des rap­ports sociaux est déter­mi­née par la guerre de classe dans un cas, et la guerre des sexes dans l’autre). Il me sem­ble­rait plus inté­res­sant de recher­cher quelles sont les arti­cu­la­tions exis­tant entre exploi­ta­tion et domi­na­tion, ce qui per­met­trait de dépas­ser ces oppo­si­tions réduc­trices, et de débou­cher sur une pers­pec­tive glo­bale vrai­ment anti-autoritaire.

(40 b, 41) Réduc­trice aus­si, à mon avis, l’af­fir­ma­tion que « l’i­né­ga­li­té éco­no­mique et sociale est la cause pri­mor­diale du pro­blème sexuel dont la femme est vic­time » ; cette idée me paraît sor­tie tout droit des expli­ca­tions de Engels sur la ques­tion, pour qui l’op­pres­sion fémi­nine a pour seule base l’es­cla­vage éco­no­mique dans le cadre de la famille : ana­lyse qui, qu’elle soit juste ou pas en ce qui concerne le pro­blème des ori­gines, laisse sup­po­ser que l’a­bo­li­tion des rap­ports de pro­duc­tion capi­ta­listes entraî­ne­ra auto­ma­ti­que­ment l’a­bo­li­tion de la famille — ce qui semble logique — mais point de vue qui occulte com­plè­te­ment la spé­ci­fi­ci­té et la maté­ria­li­té de la domi­na­tion, en tant que phé­no­mène aus­si fon­da­men­tal que l’ex­ploi­ta­tion, et qui a son exis­tence propre ; la culture bour­geoise ou patriar­cale a réduit très sou­vent la femme au rôle d’ob­jet sexuel, et cela me paraît dépas­ser les pro­blèmes d’i­né­ga­li­té économique.

(40 d, 41) Je suis entiè­re­ment d’ac­cord sur la lutte contre la hié­rar­chie « qui n’a jamais été une voie pour l’é­man­ci­pa­tion tant de l’homme que de la femme », mais je pense que la domi­na­tion des hommes sur les femmes ne se limite pas aux pro­blèmes de hié­rar­chie ; ce n’est pas uni­que­ment en terme de « supé­rio­ri­té » (cultu­relle) des hommes que l’on rend compte de la phal­lo­cra­tie ; ces com­por­te­ments sont inté­rio­ri­sés très tôt, pen­dant l’é­du­ca­tion ; et si l’é­man­ci­pa­tion de la femme n’a bien sûr rien à voir avec l’ac­cès à des postes hié­rar­chiques, au contraire, elle a par contre à voir avec la lutte contre les com­por­te­ments de domi­na­tion, fussent-ils exer­cés par des exploités.

(40 c, 41) Enfin, leur point de vue : « la lutte passe par les struc­tures alié­nantes res­pon­sables de l’an­ta­go­nisme homme-femme, et non par la lutte contre les hommes », me paraît occul­ter quelque chose d’im­por­tant : il n’y a pas néces­sai­re­ment et tou­jours éga­li­té entre hommes et femmes dans la lutte contre ces struc­tures ; leur point de vue sup­pose que hommes et femmes ont éga­le­ment inté­rêt à ce que ces struc­tures changent, et signi­fie donc que tous subissent une oppres­sion simi­laire dans leur rôle res­pec­tif ; cela ne me paraît pas être le cas. Il est rare que les domi­nants remettent spon­ta­né­ment en cause leurs sta­tuts et pri­vi­lèges même s’ils s’a­per­çoivent qu’à long terme, une socié­té libé­rée ne pour­ra exis­ter qu’à par­tir de la des­truc­tion des rôles hommes-femmes, donc de leur rôle à eux aus­si. La crise que tra­verse beau­coup de groupes poli­tiques actuel­le­ment, déclen­chée par des révoltes de femmes (Ita­lie, etc.) me paraît confir­mer le fait que la lutte contre les ins­ti­tu­tions alié­nantes et pour une socié­té liber­taire, se maté­ria­lise actuel­le­ment par une lutte contre les rôles mas­cu­lins, por­tés le plus sou­vent par les hommes.

Agathe.

Table ronde

Bar­ce­lone, 10 janvier.

Je vou­drais savoir avant tout s’il existe en Espagne un mou­ve­ment fémi­niste, quelles sont ses posi­tions et quels sont, s’ils existent, vos rap­ports avec les groupes féministes ?

Anto­nia : Le mou­ve­ment fémi­niste espa­gnol est extrê­me­ment jeune, pour des rai­sons évi­dentes. Ce mou­ve­ment est né il y a un an et demi. Il n’ex­prime pas de posi­tions uni­taires parce que de mul­tiples ten­dances y coexistent : il y a des groupes fémi­nistes plus radi­caux qui voient en l’homme l’en­ne­mi prin­ci­pal et selon les­quels les femmes consti­tuent une classe bien pré­cise qui doit défendre ses inté­rêts de classe en extir­pant le pro­blème spé­ci­fique des femmes d’une réa­li­té sociale plus géné­rale, d’autres groupes sont sur des posi­tions inter­mé­diaires, d’autres encore sont for­més par des femmes liber­taires. La majo­ri­té de ces groupes fémi­nistes, cepen­dant, uti­lisent la méthode d’a­na­lyse mar­xiste. Le mou­ve­ment fémi­niste a eu son pre­mier grand moment public avec les « Jour­nées cata­lanes de la femme » orga­ni­sées dans une série de ren­contres aux­quelles ont par­ti­ci­pé près de 4000 femmes et au terme des­quelles on a approu­vé à l’u­na­ni­mi­té un pro­gramme de reven­di­ca­tion. À par­tir de ces jour­nées, les dif­fé­rents groupes ont expri­mé l’exi­gence d’une liai­son et ont créé la « Cor­di­na­do­ra », c’est-à-dire une réunion de coor­di­na­tion heb­do­ma­daire, à laquelle nous, anar­chistes, nous ne par­ti­ci­pons qu’à titre d’observatrices.

Pour ce qui est de nos rap­ports, je dirai que, du moins pour le moment, ils sont inexis­tants parce que nous nous trou­vons en net désac­cord sur des points fon­da­men­taux : la lutte contre l’homme ne nous convient pas ; consi­dé­rer la femme comme une classe ne nous convient pas ; l’in­ter­clas­sisme qui carac­té­rise de nom­breux groupes ne nous convient pas ; l’a­na­lyse mar­xiste ne nous convient pas. Cela n’empêche pas que si dans le futur nous voyions qu’il était pos­sible de mener une action spé­ci­fique et momen­ta­née avec ces groupes nous ne tien­drons pas compte de cette possibilité.

(Le numé­ro 40 cor­res­pond au mani­feste de « Mujeres Libres », voir…)

41 Avant de pas­ser à « Mujeres Libres » je vou­drais savoir com­ment se pose votre orga­ni­sa­tion face au pro­blème de la femme ana­ly­sé du point de vue anar­chiste ? À qui vous adressez-vous ?

Cla­ra : Nous ne nous défi­nis­sons avant tout pas comme fémi­nistes, à cause des dif­fé­rences pro­fondes et impor­tantes qui nous séparent du mou­ve­ment fémi­niste. Évi­dem­ment nous sommes des femmes, et nous vou­lons donc lut­ter pour l’é­man­ci­pa­tion de la femme, mais nous sommes aus­si anar­chistes et nous nous ren­dons donc par­fai­te­ment compte que si nous vou­lons chan­ger réel­le­ment la tota­li­té de la vie, nous ne devons pas nous arrê­ter sur un seul aspect de l’i­né­ga­li­té, mais nous devons avoir tou­jours bien pré­sent qu’il y a toute une série de caté­go­ries sociales mises à l’é­cart, dis­cri­mi­nées. Il suf­fit de pen­ser aux enfants, aux vieux, aux homo­sexuels, aux les­biennes, aux inva­lides, et, ceux-ci ont des pro­blèmes qui ne semblent pas exis­ter pour les fémi­nistes. En outre nous croyons que les hommes sont exploi­tés, condi­tion­nés et alié­nés comme nous, et c’est la rai­son pour laquelle nous croyons, nous deman­dons, quel sens ça a de lut­ter contre eux et si au contraire il ne serait pas mieux de lut­ter ensemble avec eux. Tou­jours bien sûr si l’on veut chan­ger toute la socié­té dans ses struc­tures et dans sa men­ta­li­té. Il faut détruire cette socié­té hié­rar­chique qui se base sur l’an­ta­go­nisme, sur les divi­sions et sur la com­pé­ti­tion. Nous nous deman­dons aus­si s’il est juste de por­ter en avant comme objec­tif l’u­ni­fi­ca­tion de la femme à l’homme sur le lieu de tra­vail. Il nous semble en fait qu’ar­ri­ver à avoir autant de femmes diri­geantes ou ministres signi­fie ren­for­cer au lieu de les abo­lir les struc­tures hié­rar­chiques et la divi­sion du tra­vail, et donc signi­fie don­ner en défi­ni­tive une meilleure cré­di­bi­li­té à cette socié­té d’exploitation.

En ce qui concerne les per­sonnes à qui nous nous adres­sons, je dirais que nous choi­sis­sons, comme cama­rades de lutte, les femmes exploi­tées, celles qui sont le plus bas de la pyra­mide sociale et celles qui sont déjà exploi­tées éco­no­mi­que­ment aus­si bien qu’op­pri­mées sexuel­le­ment. Les femmes bour­geoises ne nous inté­ressent pas, qui sont seule­ment oppri­mées sexuel­le­ment, à moins qu’elles ne fassent un choix de classe et renoncent à leurs pri­vi­lèges. Nous com­pre­nons que cela est très difficile.

42 Quel type d’ac­ti­vi­té avez-vous déve­lop­pé jus­qu’à présent ?

Katie : Actuel­le­ment, nous sommes en train de faire un tra­vail d’ap­pui aux tra­vailleurs de La Roca, qui sont en grève depuis 2 mois. Nous fai­sons ce tra­vail en col­la­bo­ra­tion avec les liber­taires de dif­fé­rents quar­tiers, en recueillant évi­dem­ment de l’argent et du maté­riel pour aider les familles à vivre, des jouets pour les enfants, et nous cher­chons à don­ner à notre soli­da­ri­té toutes les formes pos­sibles. La pre­mière chose que nous avons faite est une bro­chure inti­tu­lée « Les femmes de La Roca parlent », dans laquelle nous avons recueilli des témoi­gnages directs de ces femmes sur la situa­tion à laquelle elles sont confron­tées, et sur les pro­blèmes qu’elles ont vécus tous ces jours. Nous dif­fu­sons cette bro­chure. À pro­pos, je vou­drais racon­ter une anec­dote signi­fi­ca­tive : quelques femmes de La Roca sont allées à un mee­ting fémi­niste où étaient pré­sentes plus de 400 femmes et ont cher­ché à faire une inter­ven­tion sur La Roca. Eh bien, on leur a refu­sé la parole et aucune des femmes pré­sentes n’est inter­ve­nue en leur faveur. Nous avons un pro­gramme et une série de docu­ments sur divers sujets, sur le mariage, le divorce, l’a­vor­te­ment, et nous pen­sons expli­quer ce qu’est Mujeres Libres dans les dif­fé­rents quar­tiers. En outre, nous sommes en train de pré­pa­rer un lieu de consultation.

43 Quels sont vos rap­ports avec les groupes anar­chistes spé­ci­fiques et avec la C.N.T. ?

Tere­sa : Comme groupe, Mujeres Libres est com­plè­te­ment auto­nome, mais puisque nous sommes anar­chistes ou liber­taires, quelques-unes d’entre nous sont aus­si à la C.N.T. Elles y font un tra­vail anar­cho-syn­di­ca­liste puisque la matrice idéo­lo­gique est la même.

44 Sur le pro­blème de l’a­vor­te­ment, com­ment vous situez-vous, avez-vous un pro­gramme et des initiatives ?

Cris­ti­na : Le pro­blème de l’a­vor­te­ment est cer­tai­ne­ment très impor­tant, mais à notre avis le pro­blème de la pré­ven­tion l’est plus encore, c’est-à-dire que nous pen­sons qu’il est très urgent de don­ner aux gens les connais­sances néces­saires pour uti­li­ser les moyens contra­cep­tifs de manière qu’ils n’aient pas besoin de recou­rir à l’a­vor­te­ment. Dans des jours comme aujourd’­hui, le pro­blème est très res­sen­ti ; nous croyons que notre tâche n’est pas de faire une cam­pagne pour la léga­li­sa­tion de l’a­vor­te­ment. Puis­qu’il ne nous inté­resse pas de pas­ser des pactes avec l’É­tat, mais nous croyons que nous devons créer des struc­tures illé­gales aux­quelles les femmes pro­lé­taires puissent s’a­dres­ser pour avor­ter sans ris­quer leur vie. Et c’est ce que nous sommes en train de pré­pa­rer en col­la­bo­ra­tion avec quelques méde­cins. Le pro­blème qui se pose pour l’a­vor­te­ment est un peu le même que pour le divorce. Nous ne croyons pas dans l’É­tat, nous com­bat­tons l’É­tat, et donc il serait sim­ple­ment absurde de deman­der la légis­la­tion de quoi que ce soit. Toutes nos ini­tia­tives devront être entre­prises en dehors de cette logique et avec nos seules forces auto­gé­rées par nous et par celles qui s’i­den­ti­fient à notre lutte. En ce qui concerne l’a­vor­te­ment, nous croyons concrè­te­ment qu’a­vec la méthode Kar­man, n’im­porte qui peut être en mesure de le pra­ti­quer. Donc le pro­blème est d’ar­ra­cher aux méde­cins les connais­sances dont ils se sont empa­rés pour pou­voir gérer notre propre corps.

Pen­sez-vous don­ner jour plus tard à un jour­nal, Mujeres Libres ?

45 Anto­nia : Oui, c’est un pro­jet que nous avions, mais il est évident que ce jour­nal sera très dif­fé­rent de celui de 1936.

« MUJERES LIBRES »

encore !

On nous signale la publi­ca­tion en fran­çais pour le mois pro­chain d’un choix de textes de l’or­ga­ni­sa­tion fémi­nine espa­gnole, sous la res­pon­sa­bi­li­té de Mary Nash.

Une sous­crip­tion est ouverte (25 F au lieu de 35 F l’exem­plaire) et les inté­res­sés peuvent adres­ser leurs com­mandes à :

Édi­tions La pen­sée sauvage

B.P. 11

38640 Claix

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