D’autres aspects de cette lettre ont fait l’objet de textes personnels, signés nominalement.
Nous voudrions d’abord relever deux points, à propos desquels il nous semble que Bélial n’a pas bien compris ce que nous voulions dire (soit que le texte de Nicolas n’était pas clair sur ces points, soit pour toute autre raison).
L’UTOPIE. — Écrire comme l’a fait Nicolas que : « dans les périodes de reflux de l’action ; le contenu utopique du projet révolutionnaire détermine l’isolement, l’ésotérisme et le millénarisme des groupes » n’est en rien une critique de l’utopie, comme le pense Bélial.
Pour nous, ce qui est en cause, c’est la période. C’est elle qui détermine la place de tout le reste.
Dans une période plus ou moins révolutionnaire, l’utopie joue un rôle de rencontre entre ceux qui sont en train de se libérer partiellement des structures de domination. L’utopie est alors la projection du « devenu possible » sinon entièrement, ici et maintenant, du moins dans un avenir tangible, au niveau d’une vie. C’est, quand l’écart entre le projet-utopie et la réalité présente est devenu minimum, que la période peut être considérée comme révolutionnaire. (Cf. le passage sur : temps historique et temps révolutionnaire dans : L.N., nº 6 – 7, p. 51 ; Nico Berti, L’anarchisme dans l’histoire mais contre l’histoire, Dissidence, 1, rue des Veaux, Strasbourg).
À l’inverse, d’autres périodes peuvent se caractériser par un reflux complet, et il est certain qu’alors l’utopie ne joue plus le même rôle. Elle ne peut que devenir millénariste, plus ou moins ésotérique et isolée.
Cela ne signifie pas un rôle négatif, mais simplement un rôle adapté à la période : maintenir une lueur de ce qui, en d’autres temps, pourra être repris et poursuivi par d’autres ; il s’agit de maintenir un projet vivant.
C’est ce qu’ont été contraints de faire certains anarchistes, communistes de gauche, communistes de conseil à certaines époques (les guerres par exemple).
À notre avis nous ne sommes dans aucune des deux périodes extrêmes décrites plus haut, mais entre les deux, et le problème est alors de savoir où et comment peut agir l’utopie !
LES GROUPES AFFINITAIRES. — Encore une fois, nous ne sommes pas contre les groupes affinitaires. Nous avons seulement dit qu’ils ne sont en rien une solution aux problèmes de pouvoir et de bureaucratie. Ils ne sont en rien l’antithèse de l’organisation, qui résoudrait magiquement les problèmes qui se posent dans et par l’organisation.
Nous ne sommes pas contre les groupes affinitaires, comment pourrions-nous l’être, puisque nous pensons que tous les groupes, toutes les « organisations » sont « aussi » structurés par des relations affinitaires.
Nous ne pouvons que nous en féliciter quand le projet commun permet par surcroît la découverte et le développement d’autres rapports humains, non énoncés dans le projet initial. Si, au contraire, des maffias affinitaires structurent les rapports de pouvoir, de bureaucratie occulte, d’autoconservation de la « ligne juste », ça devient parfois d’autant plus inextricable.
Les organisations bénéficient des rapports affinitaires en même temps qu’elles les subissent. Tout n’est pas noir ou blanc, comme dans la tête de Bélial, et la radicalité ne consiste pas forcément à « choisir son camp ».
Quant aux groupes affinitaires qui prétendent se situer en dehors ou contre les organisations, échappent-ils aux tares de ces dernières ?
- Certainement pas aux rapports de domination, de pouvoir, de bureaucratie ! La Lanterne Noire en est un exemple, celui que nous connaissons le mieux, mais nous ne croyons pas être les seuls dans ce cas.
- Certainement pas aux rapports de concurrence avec l’organisation — le groupe — voisine ! il est de grandes villes françaises où certains groupes autonomes affinitaires ne cessent de se quereller, de se déterminer les uns par rapport aux autres, dans la plus pure tradition des gauchistes entre eux ou par rapport au P.C. (la justification classique ― « il faut attaquer les éléments les plus modernistes du capital, ses bastions les plus avancés » ― ne trompe plus grand monde : il s’agit d’un simple rapport de concurrence où l’on retrouve les fondements même du capitalisme : économie, sexualité).
- Certainement pas à la difficulté de « partir » comme le pense Bélial. Les groupes, comme les organisations, fonctionnent comme des familles qu’on ne quitte pas facilement. Les vieux couples se déchirent, mais ne se quittent pas ; nous aurions même l’idée qu’il est plus facile de quitter un grand groupe, ou ensemble de groupes, qu’un petit groupe sur le modèle de la famille mononucléaire.
Notre projet actuel serait plutôt de contribuer à organiser (coordonner) l’autonomie ; mais à ce sujet, se reporter aux textes à propos du M.L.F. et des groupes de femmes, dans ce numéro de la Lanterne.
La Lanterne Noire