La Presse Anarchiste

La poésie

Dans « L’Ouvrier de la onzième heure », que nous signa­lons d’autre part, Pierre Emma­nuel rejoint – est-ce déjà tout à fait pour son propre usage ? – les réflexions qu’à pro­pos des poèmes de Le Maguet, Charles Vil­drac et Gil­bert Trol­liet avaient été ame­nés à faire ici, cha­cun selon sa nuance, sur cer­taine poé­sie actuel­le­ment en vogue :

« J’ai, écrit Emma­nuel (p. 240), fait au sur­na­tu­rel quelques allu­sions en creux, comme s’il n’existait que par le vide qu’il a lais­sé dans les âmes. Ce vide fut un temps le lieu de pré­di­lec­tion des poètes, qui s’y livraient à leurs exer­cices de yoga. Des exer­cices ? Plu­tôt des trucs d’illusionniste… Ce qui me frap­pait dans leurs œuvres, c’était, en somme, l’inutilité des mots : pas un d’entre eux n’avait son sens propre… À la longue… tout finit par m’exaspérer : les revues, les cri­tiques, le jar­gon, la spi­ri­tua­li­té pâle des snobs, l’inanité de l’imaginaire. » – Et comme il est nor­mal pour une âme essen­tiel­le­ment reli­gieuse, Emma­nuel ajoute ces lignes, dont nous retien­drons sur­tout, quant à nous, les tous der­niers mots, que nous nous per­met­tons de sou­li­gner : « Ce fut une grande décou­verte : le natu­rel et le sur­na­tu­rel nous avaient faus­sé com­pa­gnie de concert… Nous ne les retrou­ve­rions qu’ensemble, en cher­chant d’abord le natu­rel. »

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Nous vou­drions bien nous trom­per, mais il nous semble que Mar­cel Mar­ti­net avait eu rai­son de ne point publier de son vivant le recueil inti­tu­lé « Eux et moi », qui vient de paraître à titre post­hume (Regain, Monte-Car­lo) – Nous qui por­tons encore au cœur le choc de son grand livre du temps de la Pre­mière Guerre mon­diale, « Les temps mau­dits », comme résonne encore en nous le dis­cret, le poi­gnant écho des « Chants du pas­sa­ger » et d’«Une feuille de hêtre » ; nous qui fûmes du petit nombre de ceux qui purent s’honorer de l’amitié de l’homme, sans doute nous est-il pos­sible, dans ces pages impri­mées aujourd’hui, de retrou­ver au moins un peu la qua­li­té de sa médi­ta­tion, cette osmose, unique, entre l’amour du juste et l’intégration au cos­mos. Mais il est mal­heu­reu­se­ment per­mis de dou­ter que les textes d’«Eux et moi » puissent vrai­ment par­ler à qui­conque n’a point connu notre ami, Écrits en 1929, il se peut que ces textes répondent à une phase par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile de la vie inté­rieure du poète, au point que les mots en reflètent bien une authen­tique pen­sée, évi­dem­ment tou­jours haute et fra­ter­nelle, mais sans presque jamais atteindre au chant. – Puisse du moins cette édi­tion ame­ner cer­tains à relire, ou à lire les autres livres de Martinet.

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Peut-être convient-il – et ce serait presque la seule rai­son d’en par­ler – de ver­ser au dos­sier du malaise de la poé­sie actuelle les quelques textes d’André Ber­ry publié dans le numé­ro de mars de « Preuves ». M. Yves Gan­don n’a cer­tai­ne­ment pas tort d’intituler l’article dont il les accom­pagne « Le cas André Ber­ry ». Res­tau­rer, comme Ber­ry y aspire, le métier tra­di­tion­nel et même la poé­sie amu­sante ou dis­cur­sive, n’est pas en soi condam­nable. En dépit des dons extrê­me­ment brillants du ver­si­fi­ca­teur, l’entreprise garde quelque chose, tou­te­fois, de regret­ta­ble­ment méca­nique. On songe – mais il se peut qu’André Ber­ry s’en congra­tule – à Scar­ron, voire à Fagus. – Poé­sie, ou plu­tôt, pas-poé­sie d’interrègne.

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À la page 25 d’une pla­quette de M. Robert Bru­sin (édi­tions Regain, Monte-Car­lo), on lit : « La dou­leur s’est mise à cou­ler /​ Sans digue pour s’arrêter /​ Alors vain­cue tu as pâli /​ Et le fleuve jusqu’à la mort /​ Tout dou­ce­ment t’a empor­tée. – Or, savez-vous com­ment s’appelle le recueil d’où ce texte funèbre est tiré ? Il s’appelle – oui – il s’appelle… « Farces ». De l’humour noir invo­lon­taire, en somme. 

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