La Presse Anarchiste

Périodiques

La « Nou­velle NRF » d’avril a repro­duit le pre­mier des quatre poèmes de Le Maguet publiés dans notre der­nier numé­ro – « poèmes, écrit Jean Gué­rin, qui par­fois évoquent Vil­drac ou Chen­ne­vière ; pour­tant si purs de sou­cis d’école, de bario­lage, qu’ils serrent le cœur. »

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Quelques-uns de nos amis s’étaient éton­nés de notre « Recon­nais­sance à Fran­çois Mau­riac » parue dans le pre­mier numé­ro de « Témoins ». Sou­hai­tons qu’entre-temps cer­tain fort bel article du « Canard enchaî­né » (17 mars 1954) n’ait pas échap­pé à leur atten­tion, article inti­tu­lé « Fran­çois-le-Lépreux », par lequel l’hebdomadaire de la rue des Petits-Pères, qui n’est assu­ré­ment point sus­pect de s’incliner devant les valeurs consa­crées, ni encore moins sacrées, mon­trait assez qu’il par­ta­geait notre sen­ti­ment. On y lisait en effet, à pro­pos de l’étonnant grand écri­vain : « Tirons-lui notre cha­peau. Pour venir au non-confor­misme, il avait à par­cou­rir un plus long che­min que nous ».

Ce qui n’empêche pas que lorsque le même Fran­çois Mau­riac lan­ça dans le « Figa­ro », il y a de cela bien des semaines, l’idée d’un « nou­veau concor­dat » des­ti­né à assu­rer la pro­tec­tion (n. b. : contre la poli­tique romaine) des catho­liques fran­çais, nous nous soyons dit en toute ingé­nui­té que ce serait vrai­ment un comble si les core­li­gion­naires de notre auteur s’avisaient, pour rem­por­ter pareille revanche tem­po­relle, d’alléguer pour pré­texte l’un des actes les plus scan­da­leux de leur cen­trale ès Latium. – Au reste, il paraît que ce ne serait pas du tout une revanche tel­le­ment fruc­tueuse : loin de faire écho à la sug­ges­tion de ce phé­no­mène d’académicien cher au fau­bourg et sin­cère chré­tien qu’est l’auteur d’«Atys », le Vati­can, par un élo­quent silence, a don­né à entendre que la sépa­ra­tion du dia­bo­lique petit père Combes est, tout bien pesé, pour l’Église le nec plus ultra du confort moderne.

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Suite à la rubrique de la cen­sure en progrès :

Comme nous l’avons rela­té, le jour­na­liste zuri­chois Carl See­lig, condam­né en pre­mière ins­tance à s’incliner devant la déci­sion du pro­prié­taire d’une salle de ciné­ma, qui, mécon­tent de ses cri­tiques dans la presse, lui refu­sait tout droit d’entrée, même contre-paie­ment d’un billet, avait inter­je­té appel devant la cour suprême suisse, le Tri­bu­nal fédé­ral de Lau­sanne. Entre-temps, juge­ment a été ren­du – contre le jour­na­liste. Les juges ont beau s’en être eux-mêmes décla­ré déso­lés, cela n’en fait pas une plus belle jambe à la liber­té de la presse.

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Après ce cas de cen­sure indi­recte, voire invo­lon­taire, mais non moins effec­tive, de la presse, voi­ci ce que l’on devrait presque appe­ler un cas de cen­sure pos­tale après la lettre (c’est le cas de le dire). Nous son­geons au pro­cès inten­té, éga­le­ment à Lau­sanne, au pro­fes­seur Bon­nard, émi­nent huma­niste et, en poli­tique, désar­mant hur­lu­ber­lu, puisque non content d’appartenir, le pauvre homme, au mou­ve­ment des par­ti­sans de la paix (sic), il s’employa à ren­sei­gner par lettres le pré­sident d’icelui, Joliot-Curie, sur la men­ta­li­té poli­tique des membres du Comi­té inter­na­tio­nal de la Croix-Rouge. Pré­ci­sons-le tout de suite : ces « ren­sei­gne­ments », échos de vagues potins bat­tus et rebat­tus exac­te­ment conçus dans l’«esprit » (?) cher aux cocos, étaient mar­qués au nom de la plus évi­dente sot­tise. Mais le beau, c’est que si notre pro­fes­seur avait publié tout cela dans les jour­naux du pays, on n’aurait pas pu lui tou­cher un che­veu, alors qu’ayant confié par lettres ses maigres ragots à une « asso­cia­tion étran­gère », il tom­bait, selon la légis­la­tion du cru, sous le coup de la loi. Même le « Jour­nal de Genève » et « la Gazette de Lau­sanne », organes assu­ré­ment à mille lieues d’être com­mu­ni­sants, ne purent, en ren­dant compte des débats, cacher leur malaise. Pour­quoi diable, avaient l’air de se deman­der ces res­pec­tables feuilles, avoir enga­gé ce pro­cès ridi­cule, qui d’ailleurs devait se ter­mi­ner par une peine de rien infli­gée au pro­fes­seur, avec sur­sis ? Résul­tat : toute une jeu­nesse estu­dian­tine admire plus que jamais ce héros de la « iber­té de l’esprit ». Déci­dé­ment, il n’y a rien qui ne concours à ce que nous vivions sous le signe de la maldonne.

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Quelle mouche a bien pu piquer Claude Mau­riac, esprit si fin quand il parle, par exemple, de Proust ou se penche sur les révé­la­tions du film, à écrire dans le cour­rier des lettres du « Figa­ro » du 31 mars cer­taine « Esquisse d’Albert Camus » non seule­ment incom­pré­hen­sive au pos­sible, mais pro­pre­ment veni­meuse ? Déjà le père, dont nous admi­rons, on le sait, cer­tain cou­rage de l’esprit, nous avait par­fois éton­né, lorsqu’il lui arri­vait de par­ler sur un cer­tain ton de Camus, comme si la pas­sion de la liber­té de notre cama­rade était trop authen­tique pour ne pas gêner un écri­vain clé­ri­cal, même s’il arrive à ce clé­ri­cal écri­vain de ruer dans les bran­cards. – Libre à Claude Mau­riac de ne pas aimer l’admirable « Été » de Camus et, se lais­sant arrê­ter par de faciles (mais peut-être gra­tuites) asso­cia­tions lit­té­raires, d’en refu­ser la sagesse grave, la non moins grave fidé­li­té au bon­heur. Oui, libre à lui, si même notre mou­ve­ment est alors de l’en plaindre. Mais parce que Camus, à l’écoute du plus pro­fond de sa sen­si­bi­li­té, a écrit cette phrase, magni­fique certes, mais non moins évi­dem­ment sou­cieuse de cap­ter une part essen­tielle de son être : « J’ai tou­jours eu l’impression de vivre en haute mer, mena­cé, au cœur d’un bon­heur royal », – oui, parce que Camus a écrit ces mots-là, en prendre pré­texte pour énon­cer : « Nous atten­dions un grand écri­vain. Nous n’avons qu’un homme de lettres », voi­là bien, sur­tout de la part d’un Claude Mau­riac, qui nous dépasse et nous indigne. Par­ti­cu­liè­re­ment si l’on songe que le même Claude Mau­riac, qui reproche à Camus, de n’être, « qu’un homme de lettres », s’est avi­sé dans « Preuves » (no 38) de rompre une lance en faveur de Charles Maur­ras lit­té­ra­teur. En véri­té, il n’y a pas comme les gens intel­li­gents (d’une cer­taine forme d’in­tel­li­gence) pour perdre com­plè­te­ment la boussole.

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Pen­dant autri­chien de « Preuves », « Forum », dans son no 4 (avril), en grand pro­grès sur les pré­cé­dents, évoque, pour le 8e anni­ver­saire de sa nais­sance, la grande figure de l’incomparable cri­tique et poète-polé­miste vien­nois Karl Kraus (mort en 1936), qu’il vau­drait la peine de faire mieux connaître en France. Peut-être, si la force nous en est don­née, nous y emploie­rons-nous quelque jour. (Muta­tis mutan­dis et toutes pro­por­tions gar­dées, on a pu com­pa­rer le rôle de Kraus à celui de Péguy, – d’un Péguy agnos­tique, s’entend, et moins fami­lier de Jeanne d’Arc que de Heine).

Une note de ce même numé­ro nous apprend un détail bien inté­res­sant (p. 22, colonne 2) : Tho­mas Mann, le 22 mars 1954, a éprou­vé le besoin de saluer par un télé­gramme l’ouverture du congrès anti-CED orga­ni­sé à Paris par les com­mu­nistes et affiliés.

Non que nous-mêmes soyons prêts à mili­ter pour la CED. Mais Tho­mas Mann, qu’on avait pu croire enfin gué­ri (ses décla­ra­tions à Rome, lors de sa récep­tion par Silone), est peut-être un très grand écri­vain (nous disons, nous, peut-être), il est aus­si le type de l’intellectuel alle­mand abso­lu­ment aveugle en poli­tique (les intel­lec­tuels, en poli­tique, nulle part ne se dis­tinguent par leur clair­voyance, mais Gœthe y com­pris, à leurs col­lègues d’Allemagne le pom­pon). Sur­tout, il a tou­jours eu la marotte de sym­pa­thi­ser : sous la guerre de 1914 avec l’Empire ; depuis, après une période « démo­cra­tique », avec… l’empire d’en face. Requies­cat in bello…

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Per­sonne n’en parle, parce que per­sonne n’ose y croire : est-ce que la libé­ra­tion des Russes par eux-mêmes, et donc peut-être la seule et der­nière chance de la paix, de la liber­té, de l’homme, serait pos­sible, – pos­sible pour la pre­mière fois le miracle du ren­ver­se­ment d’un régime tota­li­taire par la révolte de ses propres esclaves ? Il y a du moins ceci de nou­veau que, dès main­te­nant, il arrive qu’on se le demande. Non seule­ment en sou­ve­nir de ce qui s’est pas­sé à Ber­lin l’an der­nier, mais en outre on a pu lire :

  1. Dans le numé­ro du 15 mars de « Contacts », ce que Boris Lit­vi­noff rap­porte des 18 fusillés russes de Mag­de­bourg, exé­cu­tés le 28 juin 1953 pour avoir refu­sé de par­ti­ci­per à la répres­sion du sou­lè­ve­ment des ouvriers alle­mands. – Certes, comme nous l’écrit Monatte les pro­pa­gandes, actuel­le­ment, ne brouillent pas seule­ment les ondes. Mais si le fait est vrai­ment exact, l’on ne sau­rait en exa­gé­rer l’importance.
  2. Dans l’«Observer » et dans la « Neue Zür­cher Zei­tung », le récit de la jour­na­liste alle­mande Bri­gitte Ger­land, elle-même reve­nue (par amnis­tie) de dépor­ta­tion, sur ce qu’elle avait appris non seule­ment de l’opposition dans les camps de tra­vail for­cé, mais en outre, fait inouï, des grèves d’esclaves qui s’étaient pro­duites dans le grand Nord. En fran­çais, dans le no 35 de « Preuves » (mars), Fran­çois Bon­dy a fait allu­sion à ces nou­velles en rap­por­tant sa ren­contre, à Ber­lin, avec Bri­gitte Gerland.
  3. Enfin et sur­tout, « Der Monat » (Ber­lin mars 1954) a publié un récit direct des grèves en ques­tion, décrites par l’ex-déporté Joseph Schol­mer, qui y a lui-même assis­té dans le grand centre char­bon­nier de Wor­tou­ka (au-des­sus du cercle polaire). La place nous manque pour nous étendre sur les détails, cepen­dant pas­sion­nants de ces évé­ne­ments consi­dé­rables. Nous cite­rons seule­ment les réflexions ter­mi­nales de J. Schol­mer : « Cette grève est la pre­mière démons­tra­tion à ciel ouvert et cohé­rente entre­prise contre le régime depuis la révolte des mate­lots de Crons­tadt en 1921. Elle a détruit la légende de l’immunité du sys­tème, qu’il est en effet pos­sible de battre en brèche dès qu’une masse ouvrière se sert, contre la classe régnante des mêmes méthodes de la lutte de classe pra­ti­quées en dehors de l’Union sovié­tique et de ses pays satel­lites. Bien plus, la pro­duc­tion indus­trielle de l’URSS est, en rai­son de sa pla­ni­fi­ca­tion, infi­ni­ment plus sen­sible que toute autre aux moindres des per­tur­ba­tions. Les mil­lions de tra­vailleurs for­cés, tiennent, en fait, entre leurs mains une part énorme de la pro­duc­tion des matières pre­mières (rien qu’environ 50 % des char­bon­nages et près de 80 % de la pro­duc­tion du bois). Une grève s’étendant non seule­ment à Wor­tou­ka, mais dans tous les rayons des camps du Minis­tère de la Sûre­té de l’État (MGB), ébran­le­rait jusque dans ses fon­de­ments toute l’économie de l’Union soviétique. »

Certes, nulle ques­tion n’exige plus de pru­dence, plus de méfiance, éga­le­ment, envers notre propre pro­pen­sion à nous mon­ter le cou. Lisons ces textes. Tai­sons-nous, et, sachant que l’été est la seule sai­son qui per­mette dans l’arctique une acti­vi­té quel­conque, conten­tons-nous de nous deman­der tout bas : que se pas­se­ra-t-il pen­dant l’été 1954 ?

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D’autre part, ne nous le dis­si­mu­lons pas, bien des meilleurs d’entre les esprits libres d’Occident se condamnent d’avance à lou­per l’avenir de par la fidé­li­té fatale qu’il leur arrive de gar­der à toute une série de légendes et de mythes caducs (et c’est bien pour contri­buer à réagir là-contre que nous avions publié cet hiver un ensemble d’études sur la « mys­ti­fi­ca­tion dia­lec­tique », de même que nous don­nons dans le pré­sent cahier l’article de Jean Cel­lo écrit pour dis­si­per cer­taine légende de la droite et de la gauche). – Mais si le dégon­flage des mythes et des légendes qui ont fait leur temps est chose essen­tielle et même urgente, la pour­suite de ce louable but ne va pas sans expo­ser cer­tains au dan­ger de ne plus nous pro­po­ser rien de grand. C’est à quoi nous pen­sions en par­cou­rant le manus­crit de la tra­duc­tion, éta­blie par notre ami Fon­tol, du der­nier cha­pitre du récent livre d’Herbert Lüthy sur la France (« Frankreich’s Uhren gehen anders », Euro­pa Ver­lag, Zurich), tra­duc­tion qui, nous dit-on, paraî­tra en mai dans « Preuves ». Esprit aigu s’il en est, Lüthy dénonce per­ti­nem­ment nombre des confu­sions dont nous ris­quons de cre­ver, mais, pour le dire en adop­tant à peu de chose près la ter­mi­no­lo­gie d’un Péguy, il nous a paru qu’à force de faire confiance à la seule rai­son rai­son­nante, Lüthy en vient à négli­ger cette véri­té majeure qu’il ne sau­rait y avoir d’action tem­po­relle res­pec­tueuse des plus hautes valeurs de l’homme, autre­ment dit de poli­tique plei­ne­ment valable, sans « mys­tique ». – Et c’est un peu ce dan­ger-là que ne nous a pas non plus sem­blé évi­ter tout à fait, dans la même revue (no 38, avril 1954), Jean Rou­nault, au cours d’une étude, au reste très humaine et très belle, inti­tu­lée « Les prêtres-ouvriers et la reli­gion tem­po­relle ». Évi­dem­ment, Rou­nault cherche avant tout à com­prendre par quel méca­nisme cer­tains catho­liques sin­cères se trouvent pré­dis­po­sés à pas­ser au com­mu­nisme et, en outre, en quel sens le com­mu­nisme lui-même est, pour les masses, reli­gion. Si, comme il semble per­mis de l’admettre, Rou­nault envi­sage aujourd’hui les choses selon une vision chré­tienne de l’univers, il est clair, certes, que pour lui la ques­tion de la « mys­tique » est réso­lue d’emblée ; il peut même en un sens, l’esquiver sur le plan social en la posant ailleurs. Pour le monde moderne, qui n’a point cette grâce, elle se pose, au contraire, ici-bas, dans toute son ampleur. D’autres, plus qua­li­fiés que nous-mêmes, y revien­dront peut-être ici quelque jour. Pour le moment, nous avons seule­ment vou­lu mettre en garde les hommes de bonne volon­té ral­liés au seul « bon sens », et de ce fait bien près de tom­ber mal­gré eux dans l’illusion tech­no­cra­tique, contre la grave omis­sion qu’ils sont en passe de com­mettre : car, dans l’histoire, l’oubli des dieux a tou­jours pré­pa­ré la résur­rec­tion des idoles.

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