La Presse Anarchiste

Notes autour d’un film

Les textes qui suivent consti­tuent une nou­velle contri­bu­tion, à par­tir des expé­riences des cama­rades espa­gnols, au débat sur l’or­ga­ni­sa­tion. Ils se font plus par­ti­cu­liè­re­ment l’é­cho de dis­cus­sions et de ques­tion­ne­ments vis à vis de la CNT, qui ne cessent de prendre de l’am­pleur depuis le début de l’année.

Le texte « Notes autour… » a été rédi­gé à par­tir d’in­ter­views d’En­rique Mar­cos (secré­taire natio­nal de la CNT), de David Urba­no (de la librai­rie « Cosa Nos­tra » à Bar­ce­lone), d’An­drés Gri­ma délé­gué du syn­di­cat du spec­tacle de Bar­ce­lone, d’un groupe du syn­di­cat du métal de Madrid, d’un mili­tant de la FAI à Bar­ce­lone, de Toni Puig et Ros­send Arqués de la revue Ajo­blan­co, de membres du comi­té de quar­tier de Labap­tès-Emba­je­dores de Madrid et de celui de San­ta Colo­ma (Bar­ce­lone) ; ces inter­views ont été réa­li­sées dans le cadre d’un film qui sor­ti­ra vrai­sem­bla­ble­ment à l’automne.

Ce texte, ceux extraits de Bici­cle­ta et le texte des mili­tants du syn­di­cat CNT du métal de Madrid notam­ment, ont pour but de pro­po­ser des élé­ments de réflexions régu­liè­re­ment délais­sés ou pas­sés sous silence en France par la presse liber­taire ; seules les infor­ma­tions sur la répres­sion dont sont actuel­le­ment vic­times les copains espa­gnols emplissent les colonnes « Espagne » des publi­ca­tions anars. Plus que jamais l’un n’empêche pas l’autre, la cri­tique lucide et construc­tive ne sup­po­sant en aucun cas l’ab­sence de solidarité.

POURQUOI UN FILM ?

Hors d’un cercle réduit d’i­ni­tiés au contact depuis des années avec la réa­li­té de l’a­nar­chisme espa­gnol, l’exis­tence de l’ac­tuel mou­ve­ment liber­taire fait l’ob­jet en Europe de 2 types d’o­pi­nions. « La CNT n’existe plus en Espagne depuis 40 ans » n’hé­site pas à affir­mer un mili­tant trots­kyste « bien infor­mé » ; c’est l’o­pi­nion qua­si géné­rale dans les milieux de gauche et d’ex­trême gauche où l’a­nar­chisme espa­gnol, celui qui fait par­tie de l’his­toire du mou­ve­ment ouvrier, n’est plus qu’un fan­tôme exor­ci­sé. Pour d’autres, plus proches des milieux anar­chistes, le renou­veau de l’ac­ti­vi­té des liber­taires espa­gnols, la recons­truc­tion annon­cée comme excep­tion­nelle de la CNT, pré­fi­gure une nou­velle hégé­mo­nie de la confé­dé­ra­tion sur le mou­ve­ment, voire la proxi­mi­té d’une authen­tique révo­lu­tion liber­taire… le mythe de 36 (voir les articles consa­crés à l’Es­pagne notam­ment dans Espoir et Le Monde liber­taire, tout au long de l’an­née dernière).

Faire un film donc, en don­nant direc­te­ment la parole aux cama­rades espa­gnols, et au-delà de pré­oc­cu­pa­tions plus per­son­nelles, c’est avant tout vou­loir infor­mer de façon plus large, plus ouverte, en tout cas nou­velle et dif­fé­rente des moyens habi­tuels qui passent tra­di­tion­nel­le­ment par l’é­cri­ture. Faire un film main­te­nant, en ten­tant de lui ména­ger une dif­fu­sion aus­si large que pos­sible c’est aus­si pro­fi­ter de l’in­té­rêt sus­ci­té par les médias pour « la marche de l’Es­pagne vers la démo­cra­tie » et ouvrir un débat sur les réa­li­tés de cette « marche ». Enfin, plus loin, il y a l’es­sai de conquête d’un mode d’ex­pres­sion trop peu ou trop mal uti­li­sé pour la pro­pa­gande de nos idées ; de cela il convien­dra d’en par­ler plus lon­gue­ment ultérieurement.

Par­lons plus pré­ci­sé­ment du film. Celui-ci ne clôt pas le regard, ne pré­tend pas défendre une ana­lyse ache­vée ; il s’a­git plu­tôt de don­ner à voir et à entendre une série de faits d’af­fir­ma­tions, de contra­dic­tions, de mon­trer la richesse et la diver­si­té du mou­ve­ment liber­taire espa­gnol, de pro­po­ser une base de réflexion et de dis­cu­tions. Réa­li­sé en mars, pen­dant une période que tout le monde s’ac­corde à consi­dé­rer comme cru­ciale, les pro­blèmes abor­dés, les ques­tions posées sont au centre des débats actuels et c’est des solu­tions, des réponses qui leurs seront appor­tées que dépend l’a­ve­nir du mou­ve­ment anar­chiste en Espagne.

Il n’en reste pas moins que la struc­ture du film peut sem­bler à cer­tains repo­ser sur des choix arbi­traires ou res­tric­tifs, à savoir : 

  • divi­ser le mou­ve­ment liber­taire en trois sec­teurs principaux :
    • la contre-culture liber­taire et la revue Ajo­blan­co.
    • le mou­ve­ment liber­taire « his­to­rique » CNT, FAI.
    • les comi­tés de quar­tier et athé­nées libertaires.
  • Cir­cons­crire les lieux de tour­nage aux deux grandes villes espa­gnoles Bar­ce­lone et Madrid. Inutile de pré­ci­ser qu’à notre avis ces choix, en par­tie dus à des impé­ra­tifs maté­riels, n’en­lèvent rien à l’in­té­rêt de ce qui est dit.

LA CONTRE-CULTURE LIBERTAIRE – AJOBLANCO

« Notre but est de ras­sem­bler les mar­gi­naux du mou­ve­ment liber­taire, les gens qui n’ont aucune envie d’ap­par­te­nir à une orga­ni­sa­tion structurée. »

Ces pro­pos sont ceux de Toni Puig rédac­teur d’Ajo­blan­co, revue qui en 3 ans est deve­nue la plus impor­tante des publi­ca­tions liber­taires espa­gnoles avec 80 000 numé­ros tirés chaque mois. « On dis­tingue dans l’é­vo­lu­tion de la revue deux périodes très claires : une pre­mière plu­tôt contre-cultu­relle et une seconde fran­che­ment liber­taire. » On peut dire sans trop sché­ma­ti­ser que le pas­sage d’une période à l’autre cor­res­pond à la mort de Fran­co et coïn­cide avec l’ap­pa­ri­tion « en plein jour » des struc­tures liber­taires que sont les divers col­lec­tifs de quar­tier, d’é­co­lo­gie, de théâtre, de pri­son­niers, etc. 

Ce n’est bien sur pas un hasard si la revue fut fon­dée par des étu­diants de l’u­ni­ver­si­té de Bar­ce­lone et si, dans un pre­mier temps, elle ne traite que de sujets réser­vés à une frac­tion par­ti­cu­lière de la popu­la­tion à savoir les étu­diants et les intel­lec­tuels, plus sen­sibles aux vastes mou­ve­ment contes­ta­taires occi­den­taux des années 60. Comme par­tout ailleurs le « nou­veau mou­ve­ment liber­taire espa­gnol » est lar­ge­ment influen­cé par les évé­ne­ments des années 60. En Espagne ce mou­ve­ment, en rai­son de l’his­toire du mou­ve­ment ouvrier dans ce pays, a très vite acquis, et cela indé­nia­ble­ment grâce à la recons­truc­tion de la CNT, la com­po­sante ouvrière qui lui fait défaut un peu par­tout en Europe. Ajo­blan­co a donc sui­vi de façon tout à fait logique le che­mi­ne­ment d’une par­tie de la jeu­nesse espa­gnole vers une prise de conscience liber­taire et anar­chiste. Lors des deux années de l’a­près-Fran­co, Ajo­blan­co est le reflet des expé­riences de la manière de pen­ser, des liber­taires espa­gnols « reven­di­quant ouver­te­ment une façon nou­velle et dif­fé­rente de vivre ».

Une par­tie des col­la­bo­ra­teurs de la revue sont membres de la CNT et jus­qu’aux jour­nées inter­na­tio­nales liber­taires de Bar­ce­lone, la revue fut étroi­te­ment liée à la confé­dé­ra­tion dans un tra­vail de sen­si­bi­li­sa­tion et de regrou­pe­ment du mou­ve­ment liber­taire. Très vite cepen­dant, le « divorce » s’im­po­sa. Pour Ros­send Arquès d’Ajo : « …nous croyions que la CNT pou­vait ras­sem­bler l’en­semble du mou­ve­ment liber­taire de façon très ouverte. Hors ; il s’est avé­ré que la CNT comme syn­di­cat était une forme de lutte tra­di­tion­nelle, pos­sé­dant les défauts des orga­ni­sa­tions ouvrières qui reven­di­quant beau­coup plus au niveau éco­no­mique que sur le plan de l’a­mé­lio­ra­tion de la vie quo­ti­dienne ». Ajo a donc choi­sit d’être « liber­taire en liber­té », pas seule­ment par réflexe anti-orga­ni­sa­tion­nel, mais prin­ci­pa­le­ment parce que plus atta­ché aux luttes et aux reven­di­ca­tions inté­res­sant la vie quo­ti­dienne. Le fonc­tion­ne­ment de la revue reflète ces pré­oc­cu­pa­tions ; elle est pro­duite (du moins en prin­cipe) par un col­lec­tif fixe de 12 per­sonnes lié à des col­lec­tifs de tra­vail et d’in­for­ma­tion sur : l’en­sei­gne­ment, les alter­na­tives com­mu­nau­taires, les femmes, l’é­co­lo­gie, la sexo­lo­gie, les mar­gi­naux, la psy­chia­trie, etc. En bref, ce qui inté­resse le col­lec­tif de la revue est tout ce qui contri­bue à l’é­la­bo­ra­tion d’une culture non spé­ci­fique et libertaire. 

Les qua­rante années de fran­quisme ont ins­tal­lé en Espagne un désert cultu­rel sans pré­cé­dent, contrai­gnant toute acti­vi­té, tout indi­vi­du par­ti­ci­pant d’une autre culture que la culture offi­cielle à un illé­ga­lisme peu pro­pice, voire à l’exil. La prin­ci­pale consé­quence de la mise en place de la monar­chie, et bien que fondamen­talement rien n’ait chan­gé dans la vie de tous les jours, a été la flo­rai­son d’un mou­ve­ment « acrate », cultu­rel et social orga­ni­sé en un tis­su étroit de col­lec­tifs, d’as­so­cia­tions et dont la sen­si­bi­li­té liber­taire est évi­dente. C’est sur cette réa­li­té sociale que s’ap­puie Ajo­blan­co : « Le par­le­men­ta­risme, les mee­tings, ne servent qu’à envoyer des gens aux Cor­tés pour se par­ta­ger le pou­voir poli­tique et éco­no­mique. Seuls les les liber­taires s’in­té­ressent aux chan­ge­ments de la vie quo­ti­dienne et peuvent offrir une struc­ture de vie nou­velle et anti-auto­ri­taire dans ce pays où tout reste à faire. » De là à tom­ber dans un « syn­di­ca­lisme de la vie quo­ti­dienne », il n’y a qu’un pas qu’Ajo fran­chit de temps en temps. Vou­loir êtres les mar­gi­naux de la mar­gi­na­li­té n’a jamais ouvert beau­coup de pers­pec­tive même dans un pays où il y a effec­ti­ve­ment beau­coup à faire. Le piège dans lequel Ajo risque de tom­ber est celui de s’en­fer­mer dans le ghet­to contre-cultu­rel pour avoir vou­lu fuir trop pré­ci­pi­tam­ment celui de l’ou­vrié­risme anar­cho-syn­di­ca­liste. À terme, il s’a­git d’une pos­sible cou­pure avec des moyens et des luttes tout aus­si essen­tiels à la mise en place d’une socié­té contre la socié­té actuelle ; cou­pure que l’on peut pré­sen­tir dans une affir­ma­tion comme : « ce qui nous inté­resse, ça n’est pas d’ap­puyer une orga­ni­sa­tion ouvrière mais d’ap­por­ter des élé­ments à la cri­tique du sala­riat et du sys­tème capi­ta­liste ». Reste en effet à savoir où l’on prend ces élé­ments, en fonc­tion de quoi on les choi­sit, l’u­ti­li­sa­tion qu’on en fait ; com­ment par exemple appor­ter des élé­ments à la cri­tique du sala­riat sans s’in­té­res­ser aux luttes des tra­vailleurs salariés ? 

Ces quelques consi­dé­ra­tions mises à part, il n’en demeure pas moins que les rap­ports entre ce vaste mou­ve­ment dont Ajo reste un peu le reflet et les com­po­santes « his­to­riques » du mou­ve­ment liber­taire en sont au stade du malaise réci­proque. Il est évident que le divorce dont parle Toni Puig sanc­tionne avant tout l’in­ca­pa­ci­té actuelle de la CNT à sor­tir d’un sché­ma orga­ni­sa­tion­nel tra­di­tion­nel et ren­voie aux déca­lages cultu­rels entres étu­diants, intel­lec­tuels et ouvriers, entre jeunes et vieux. Mais, plus que cela, et là j’a­borde un aspect du débat encore mal for­mu­lé bien qu’ef­fleu­ré par des copains dans le film, il inter­roge d’ores et déjà sur le pro­ces­sus de recons­ti­tu­tion du mou­ve­ment liber­taire « orga­ni­sé » jus­qu’à remettre en cause la néces­si­té d’une orga­ni­sa­tion telle que la CNT actuelle.

LE MOUVEMENT LIBERTAIRE « HISTORIQUE » : CNT ‑FAI

La situa­tion actuelle de la CNT n’a pas encore fini de faire cou­ler en Espagne comme en Europe, beau­coup d’encre, à défaut d’en avoir fait cou­ler beau­coup lors des deux der­nières années. Jus­qu’il y a quelques mois en effet, mal­gré quelques rares voix dis­cor­dantes, tout parais­sait pour le mieux dans le meilleur des mondes ; la recons­truc­tion de la CNT occu­pait l’im­mense majo­ri­té des éner­gies et le résul­tat fut rapi­de­ment aus­si encou­ra­geant qu’i­nes­pé­ré. Cette recons­truc­tion de la confé­dé­ra­tion s’est faite gros­siè­re­ment en 2 étapes : 

  • celle qui va du congrès de Sants en février 76 aux jour­nées liber­taires de Bar­ce­lone en juillet 77. C’est l’é­tape de struc­tu­ra­tion organique. 
  • celle du déve­lop­pe­ment numé­rique sanc­tion­né par les adhé­sions mas­sives de la deuxième par­tie de 77 et du début 78. Ce sont les pre­mières luttes menées et déclen­chées par la CNT.

Au delà du manque abso­lue de réflexion sérieuse sur la via­bi­li­té de l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme dans la socié­té espa­gnole actuelle, sur l’op­por­tu­ni­té de conser­ver des sta­tuts datant de plus de 40 ans, la carac­té­ris­tique prin­ci­pale semble être la volon­té de « réap­pro­pria­tion à tout prix » d’un sigle et d’une his­toire ; à voir, comme signes, l’om­ni­pré­sence dans les locaux syn­di­caux de pos­ters à l’ef­fi­gie de Dur­ru­ti (lorsque ce ne sont pas des bustes en bronze !) et les réfé­rences constantes, qui ne sont pas l’a­pa­nage des seuls « vieux mili­tants nos­tal­giques », à la « CNT de tou­jours ». Bien sûr de tels faits peuvent sem­bler anec­do­tiques et ils le seraient s’ils n’é­taient révé­la­teurs d’un état d’es­prit par­ti­cu­liè­re­ment pré­ju­di­ciable à l’ac­ti­vi­té du mou­ve­ment liber­taire dans son entier. Faut-il encore une fois rap­pe­ler que l’on ne construit jamais rien de solide à par­tir d’un mythe, d’une nos­tal­gie ; et cela vaut à plus forte rai­son, mais nous y revien­drons, pour la FAI et JL. 

Par­tant de là, situer les pro­blèmes actuels au sein de la CNT au niveau idéo­lo­gique des luttes de ten­dances, c’est ne vou­loir prendre en consi­dé­ra­tion qu’une infime par­tie de leurs aspects. Et ce, quelle que soit la sub­ti­li­té de l’a­na­lyse ; dis­tin­guer comme le fait David Urbano :

  • les tren­tistes, syn­di­ca­listes purs,
  • les cin­quo­pun­tistes, infil­trés de droite,
  • les mar­xistes,
  • les anar­chistes toutes ten­dances confondues,

ou bien encore, comme Andrés Grima :

  • les ten­dances his­to­riques : syn­di­ca­listes, anar­cho-syn­di­ca­listes, anar­chistes et
  • les ten­dances modernes : conseillistes, mar­xistes « modernes », auto­nomes, trotskystes…,

cela ne sert à rien qu’à déli­mi­ter arbi­trai­re­ment les faux des vrais, les bons des mau­vais et bien sou­vent à par­tir de que­relles pure­ment personnelles. 

Le vrai pro­blème n’est pas celui des luttes de ten­dances, de pou­voir au sein des syn­di­cats et des comi­tés mais celui de l’ab­sence d’un véri­table débat au sein de l’or­ga­ni­sa­tion sur la stra­té­gie, l’a­na­lyse poli­tique et sociale et sur­tout sur la struc­ture de la confé­dé­ra­tion. Dis­ser­ter lon­gue­ment sur les influences res­pec­tives du réfor­misme, du conseillisme, évite de se poser trop crû­ment le pro­blème du fonc­tion­ne­ment actuel de la CNT, de sa struc­tu­ra­tion interne, de ses objec­tifs dans la socié­té espa­gnole d’au­jourd’­hui. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait aucun débat, que ceux qui contestent telle ou telle déci­sion, telle ou telle orien­ta­tion, ne voient jamais leurs cri­tiques reprises ; au contraire. Mais ces cri­tiques par­ti­cipent tou­jours ou sont tou­jours direc­te­ment récu­pé­rées par la lutte des « ten­dances » puis­qu’elles ne servent le plus sou­vent qu’à chas­ser un tel d’un comi­té pour y faire élire tel autre, parce que le pre­mier est « réfor­miste » et le second « faiste » ; les com­bi­nai­sons pou­vant varier à loi­sir. C’est ain­si que l’on en arrive très vite aux attaques per­son­nelles, aux insultes et même, car­ré­ment, aux menaces phy­siques. C’est ain­si éga­le­ment que l’on constate la pré­sence au sein de la CNT, non pas d’une mais de plu­sieurs bureau­cra­ties (cer­tains disent même maf­fias), qui se livrent par mili­tants inter­po­sés à une lutte sourde où mani­pu­la­tions, défor­ma­tions des faits et autres pra­tiques bien peu liber­taires sont mon­naie cou­rante. Ce constat qui appa­raî­tra à cer­tains éton­nant, voire cho­quant, est pour­tant celui qui s’im­pose à une étude un peu appro­fon­die de la situa­tion actuelle de « la CNT de toujours ».

Pour s’en convaincre il suf­fit de citer cer­tains faits. Tout d’a­bord, pour ce qui appa­raît dans le film : le témoi­gnage de David Urba­no sur les rai­sons de son départ de la CNT, les témoi­gnages de cama­rades du syn­di­cat du métal de Madrid (dont un des textes est repro­duit dans ce numé­ro), les allu­sions de Enrique Mar­cos sur « l’in­fil­tra­tion de groupes étranges » au sein de la CNT (voir le texte du secré­ta­riat pro­vi­sion­nel de Cata­logne ), enfin, une quan­ti­té de signe dans les atti­tudes, l’or­ga­ni­sa­tion des locaux, etc. A cela il convient d’a­jou­ter, l’ex­clu­sion du groupe « Aska­ta­su­na – Liber­tad », l’ex­clu­sion de cama­rades à Valence, la scis­sion du syn­di­cat de l’en­sei­gne­ment éga­le­ment à Valence, le refus du comi­té de la Fédé­ra­tion Locale de Madrid d’ins­crire à son ordre du jour l’as­sas­si­nat d’A­gus­tin Rue­da [[Augus­tin Rue­da, mili­tant anar­chiste assas­si­né par les gar­diens de la pri­son de Cara­ban­chel, l’hi­ver der­nier.]] au len­de­main de sa mort, les ten­ta­tives de magouille de la part de cer­tains membres de la Fédé­ra­tion Régio­nale de Cata­logne pour faire annu­ler une réso­lu­tion « d’ap­pui direct et incon­di­tion­nel » à la Lutte des pri­son­niers, votée la veille par le plé­num régio­nal. On pour­rait mul­ti­plier les faits, mais cela ne ser­vi­rait à rien ; il suf­fit de ren­voyer à la lec­ture de revues comme Bici­cle­taé, Palante, Aska­ta­su­na

Dans ce contexte, la FAI, dont l’in­fluence est loin d’a­voir le carac­tère déri­soire que cer­tains lui prêtent ou vou­draient bien lui attri­buer, joue selon les régions un rôle essen­tiel en tant que seule « ten­dance » véri­ta­ble­ment orga­ni­sée. Ses mili­tants appa­raissent comme les défen­seurs de « l’es­sence de la CNT », les déten­teurs de la pure­té anar­chiste et anar­cho-syn­di­ca­liste ; et ce, mal­gré les déné­ga­tions du mili­tant faiste inter­viewé dans le film. Pour lui la FAI n’est pas un groupe orga­ni­sé dans la CNT « …la CNT et la FAI n’ont aucun contact orga­nique et ce sont deux orga­ni­sa­tions qui n’ont rien à voir entre elles ; la CNT est un syn­di­cat, la FAI une fédé­ra­tion de groupes ayant en com­mun une idéo­lo­gie pré­cise. Nous sommes à la CNT en tant que tra­vailleurs, non comme groupe de pres­sion. » On ne deman­de­rait qu’à le croire si des faits pré­cis comme ceux évo­qués plus haut ne venaient contre­dire de telles affir­ma­tions (et pour plus de pré­ci­sions encore, voir les n° 2, 3, 4, et 5 de Bici­cle­ta). D’autre part, s’il est vrai que des contacts orga­niques n’existent pas encore entre les deux orga­ni­sa­tions, au moins offi­ciel­le­ment, cela ne sau­rait tar­der à voir le désir mani­fes­té par divers membres des comi­tés Régio­naux et Natio­nal pour leur rapide éta­blis­se­ment. Ceci dit, et indé­pen­dam­ment des cri­tiques fon­dées sur la concep­tion de l’or­ga­ni­sa­tion spé­ci­fique qui est celle de la FAI, les agis­se­ments de ses membres au sein des comi­tés, il reste dif­fi­cile de mener une ana­lyse appro­fon­die sur le rôle actuel de la FAI au sein du mou­ve­ment liber­taire espa­gnol ; la clan­des­ti­ni­té et la rela­tive pau­vre­té quan­ti­ta­tive des textes pro­duits en sont les prin­ci­pales causes. Il n’en reste pas moins que la posi­tion des mili­tants faistes tend elle aus­si à réduire les pro­blèmes actuels de la CNT au seul ter­rain des « luttes de ten­dances » ; entre les « réfor­mistes » les « conseillistes », etc. Ils font gaie­ment par­tie de ceux qui n’es­timent pas néces­saire la tenue à court terme d’un congrès qui vien­drait enfin mettre fin à la réfé­rence au congrès de Zaragosse.

Si la pré­pa­ra­tion de ce congrès avance mal­gré tout, cela tra­duit le ras le bol d’une majo­ri­té de mili­tant face à la confu­sion actuelle, à l’im­pos­si­bi­li­té de com­mu­ni­ca­tion et de débat réel dans les syn­di­cats. Beau­coup de mili­tants, notam­ment à Madrid, quittent la CNT, d’autre se battent pour impul­ser une dyna­mique qui débou­che­rait sur un éclair­cis­se­ment de la situa­tion et sur­tout qui per­met­trait de faire de la CNT « non seule­ment un syn­di­cat, mais une orga­ni­sa­tion qui couvre tous les pro­blèmes qui concernent les indi­vi­dus en tant que per­sonnes. » « Nous ne sommes pas seule­ment des tra­vailleurs mais aus­si des per­sonnes… la CNT actuelle est com­plè­te­ment inté­grée au capi­ta­lisme, seule une orga­ni­sa­tion pre­nant en compte toutes les luttes sociales actuelles serait dif­fi­ci­le­ment inté­grable par le capi­tal. », ce sen­ti­ment est lar­ge­ment répan­du même s’il est loin de faire l’u­na­ni­mi­té. Pour Enrique Mar­cos, nou­veau secré­taire natio­nal : « La CNT tente de cou­vrir tous les angles de la vie et peut assu­mer la défense de tout mou­ve­ment contes­ta­taire, ce qui ne veut pas dire qu’elle va se conver­tir en une orga­ni­sa­tion de frus­trés mais qu’elle offre une plate forme à par­tir de laquelle peut être atteinte une série de pro­blèmes que nous avons la charge de résoudre. » Pas­sons sur le qua­li­fi­ca­tif de « frus­trés » qui à lui seul est signi­fi­ca­tif pour consta­ter néan­moins qu’En­rique fut le pre­mier à enga­ger son man­dat pour défendre la réso­lu­tion d’ap­pui aux pri­son­niers et que son com­por­te­ment lors du der­nier plé­num Cata­lan à per­mis un pre­mier pas vers « l’ou­ver­ture » que sou­haite une majo­ri­té de mili­tants, puis­qu’il a été élu pour enta­mer la pré­pa­ra­tion du congrès confé­dé­ral. Rien cepen­dant n’est joué ; les résis­tances à cette évo­lu­tion sont encore très impor­tantes au sein des comi­tés et prin­ci­pa­le­ment, à Valence, à Madrid et aux Astu­ries, d’au­tant plus que la répres­sion actuelle peut inci­ter cer­taines « ten­dances » à rai­dir leurs positions. 

Ce qui est en cause donc, c’est la stra­té­gie, les objec­tifs et la struc­ture de la CNT de façon à ce que celle-ci res­semble de manière ouverte, tout le mou­ve­ment liber­taire, cesse de pri­vi­lé­gier la lutte éco­no­mique, syn­di­cale (ou anar­cho-syn­di­ca­liste, comme on vou­dra) pour assu­mer les autres luttes où sont impli­qués les mili­tants liber­taires. Mais, plus fon­da­men­ta­le­ment, il s’a­git de la mise en place d’une struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle qui prenne en charge la dyna­mique et les contra­dic­tions d’un mou­ve­ment liber­taire de masse ; dans ce sens les pro­blèmes des cama­rades espa­gnols rejoignent de façon concrète le débat de tou­jours sur l’or­ga­ni­sa­tion. Les prin­ci­pales ques­tions qui se posent alors sont les suivantes :

  • La recons­truc­tion de la CNT n’est-elle pas une erreur à court terme ?
  • Après avoir consti­tué un pôle de ras­sem­ble­ment la CNT n’est-elle pas en train de fon­der la dis­per­sion du mou­ve­ment libertaire ?
  • Faut-il se battre dans la CNT pour la chan­ger ou bien l’a­ban­don­ner et créer des struc­tures sépa­rées ; et lesquelles ?
  • Faut-il au contraire, comme le pro­pose Enrique, déve­lop­per les affi­lia­tions, conser­ver une struc­ture anar­cho-syn­di­ca­liste, afin que la CNT puisse ser­vir de « rem­part » au mou­ve­ment liber­taire dans son entier ?
  • Dans ce cas quel est le rôle des comi­tés de quar­tier, des athé­nées ; quels doivent être leurs rap­ports avec la CNT ?

Autant de ques­tions qui res­te­ront long­temps l’ob­jet de contro­verses sans fin et qui se résou­dront d’une manière ou d’une autre dans le pro­ces­sus en cours. Il convient donc aus­si de tenir compte d’un élé­ment majeur dans le mou­ve­ment liber­taire espa­gnol : les athé­nées liber­taires, d’es­sayer de déga­ger leur rôle dans la situa­tion actuelle.

LES ALTERNATIVES A LA VIE QUOTIDIENNE COMITÉS DE QUARTIER ET ATHÉNÉES 

Les comi­tés de quar­tier et athé­nées liber­taires qui ont vu le jour au len­de­main du fran­quisme, cor­res­pondent à un pro­ces­sus de regrou­pe­ment spon­ta­né et non, comme ce fut le cas en 36, à une créa­tion de la CNT. C’est une des rai­sons de leur diver­si­té de leur carac­tère dif­fus et hété­ro­gène qui reflète par­fai­te­ment la com­po­si­tion actuelle du mou­ve­ment liber­taire espa­gnol ; on y retrouve aus­si bien les mili­tants de 36 que les « spon­ta­néistes anar­cho-dési­rants ». Cette diver­si­té se concré­tise aus­si bien au niveau des acti­vi­tés mises en place que dans la manière dont elles sont menées et dépend lar­ge­ment de la nature du quar­tier (ouvrier, popu­laire, bour­geois…), du sta­tut social des membres du comi­té, des rap­ports entre­te­nus avec la CNT, de son implan­ta­tion et de sa durée de fonc­tion­ne­ment. Ain­si, d’une manière géné­rale, et même si par­tout l’as­sem­blée géné­rale de l’a­thé­née est le seul lieu de déci­sion, aucun athé­née ne pos­sède un fonc­tion­ne­ment, une inser­tion, des prio­ri­tés d’ac­tion rigou­reu­se­ment identiques. 

Pour Enrique Mar­cos, « les comi­tés de quar­tier tendent vers un anar­chisme illi­mi­té qui ne peut être regrou­pé dans une orga­ni­sa­tion spé­ci­fique et qui échappe au contrôle de la CNT et même de la FAl. » Cette auto­no­mie par rap­port aux orga­ni­sa­tions, mal accep­tée par cer­tains, reçoit en tous cas l’ap­pro­ba­tion una­nime des membres des comi­tés inter­ve­nant dans le film, que ce soit à San­ta Colo­ma (ban­lieue de Bar­ce­lone) ou à Laba­piès-Emba­ja­dore (Madrid). « Le pro­blème de la dépen­dance entre le CNT et les autres struc­tures du mou­ve­ment liber­taire doit être bien clair : chaque com­po­sante a son auto­no­mie. L’a­thé­née est tota­le­ment indé­pen­dant de la CNT comme de tout par­ti ou orga­ni­sa­tion. La CNT est un syn­di­cat liber­taire mais ne nous finance pas même s’il nous appuis et si nous pour­sui­vons les mêmes buts. » « Actuel­le­ment ici, à San­ta Colo­ma, les locaux de l’a­thé­née et de la fédé­ra­tion locale de la CNT sont les mêmes pour des rai­sons d’argent, mais l’a­thé­née est quelque chose de tota­le­ment auto­nome vis à vis du syn­di­cat même si de fait beau­coup de gens de l’a­thé­née sont à la CNT. Toutes les acti­vi­tés sont déci­dées par l’as­sem­blée de l’a­thé­née et il n’y a pas de mani­pu­la­tions, même si elles pour­raient exis­ter. » Ces deux affir­ma­tions si elles confirment sans détour cette volon­té d’au­to­no­mie per­mettent néan­moins de noter une situa­tion dif­fé­rente et par là le pour­quoi de leur choix par­mi la ving­taine de comi­tés exis­tant à Bar­ce­lone et à Madrid. 

L’a­thé­née de Laba­piès-Emba­ja­dores, dont la créa­tion remonte à moins d’un an, pos­sède une image plu­tôt « contre-cultu­relle » ; situé dans un quar­tier popu­laire en voie de res­tau­ra­tion, la majo­ri­té des membres de l’as­sem­blée sont des étu­diants et des ensei­gnants rela­ti­ve­ment jeunes et en majo­ri­té à la CNT. L’as­sem­blée a déci­dé de la créa­tion de 4 col­lec­tifs s’oc­cu­pant cha­cun d’une ques­tion particulière :

  • urbanisme/​écologie
  • péda­go­gie
  • san­té
  • presse et propagande ;

un col­lec­tif peut être créé à la demande de n’im­porte quel membre de l’a­thé­née et la par­ti­ci­pa­tion à chaque col­lec­tif est ouverte à tous. Le col­lec­tif sur l’ur­ba­nisme est actuel­le­ment par­ti­cu­liè­re­ment actif : « Un des prin­ci­paux pro­blèmes du quar­tier est celui de l’ur­ba­nisme ; les gens vivent mal et changent de quar­tier parce que les mai­sons s’é­croulent… nous allons faire une réunion de voi­sins pour dis­cu­ter de la situa­tion et voir ce que l’on peut faire ; d’ores et déjà nous avons entre­pris une étude socio­lo­gique du quar­tier avec un recen­se­ment des parcs, des écoles, des centres sani­taires… et nous pré­pa­rons des alter­na­tives. » Pré­pa­rer et créer des alter­na­tives c’est la pré­oc­cu­pa­tion essen­tielle de tout athé­née et qui se heurte inévi­ta­ble­ment au pro­blème des moyens maté­riels. À Laba­piès le pro­blème tente d’être réso­lu par la vente d’un jour­nal et plus géné­ra­le­ment de la presse liber­taire sur les mar­chés et sur­tout au puces qui sont au centre du quar­tier. Ain­si ont put être orga­ni­sées en deux mois :

  • une semaine de culture liber­taire avec pro­jec­tions, débats, cau­se­ries sur l’his­toire du mou­ve­ment libertai­re en Espagne.
  • une semaine sur la sexua­li­té avec une infor­ma­tion sur les méthodes contra­cep­tives et sur l’avortement.
  • une semaine d’é­co­lo­gie sur les espaces vert à Madrid et les cen­trales nucléaires.
  • une semaine de péda­go­gie liber­taire pen­dant laquelle fut mise en fonc­tion­ne­ment une classe rationaliste. 

Des semaines d’ac­tion conçues pour sen­si­bi­li­ser la popu­la­tion du quar­tier sur des pro­blèmes jugés essen­tiels, devraient débou­cher sur des alter­na­tives plus durables, étant don­né le suc­cès qu’elles ont rem­por­té (jus­qu’à 1200 per­sonnes par jour). Par­mi ces alter­na­tives, celle qui tient le plus à cœur est l’é­cole ratio­na­liste : « un rêve, mon­ter une école ; parce que l’en­sei­gne­ment c’est une chose qui te marque pro­fon­dé­ment… dans ce sens la semaine de péda­go­gie liber­taire, où nous avons fait une classe pour mon­trer ce que nous vou­lions faire, peut débou­cher sur une école ratio­na­liste où les adultes aus­si pour­raient faire les études qu’ils n’ont jamais faites, de façon auto­ges­tion­naire, liber­taire et anti-autoritaire. » 

Ces pro­jets on les retrouve éga­le­ment à l’a­thé­née de San­ta-Colo­ma. Située dans une des ban­lieue les plus ouvrière et les plus pauvre de Bar­ce­lone, l’a­thé­née de San­ta Colo­ma est un des pre­miers créés en Cata­logne, par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant et dyna­mique. Le par­tage des locaux avec la fédé­ra­tion locale de la CNT ne va pour­tant pas sans poser de pro­blèmes et, en mars der­nier, l’a­thé­née sor­tait juste d’une période de « crise ». Les copains inter­viewés res­tent cepen­dant très dis­crets sur la nature des « mani­pu­la­tions » évo­quées du bout des lèvres ; pour eux de toutes manières, cela appar­tient au pas­sé. Ce qui compte main­te­nant c’est qu’ac­tuel­le­ment ces pro­blèmes sont réso­lus et que la dyna­mique du comi­té se ren­force de jour en jour. Dif­fi­cile pour­tant de ne pas noter l’om­ni­pré­sence dans les locaux d’af­fiches de la guerre civile et l’ex­hi­bi­tion d’un immense dra­peau noir frap­pé d’un A cer­clé et por­tant l’ins­crip­tion « La liber­té ou la mort ». Autant de signes qui ne sont pas étran­gers à la pré­sence impor­tante de mili­tant céné­tistes agés de plus de 50 ans et à l’o­ri­gine ouvrière des membres de l’a­thé­née. Cela se res­sent éga­le­ment dans les acti­vi­tés du comi­té il n’y a pas à San­ta Colo­ma de col­lec­tif char­gé plus spé­cia­le­ment de tel ou tel pro­blème ; une part essen­tielle de l’ac­ti­vi­té est consa­crée à des actions de pro­pa­gande et d’a­gi­ta­tion, Ce fut par exemple le sou­tient actif (col­lectes, manifs dans le quar­tier…) à la grève de Roca, la par­ti­ci­pa­tion à diverses mani­fes­ta­tions à l’oc­ca­sion de grève ou pour l’ob­ten­tion d’es­paces verts, etc. . Il faut éga­le­ment comp­ter avec la créa­tion d’un parc pour les enfants du quar­tier à la suite du « squatt » d’un ter­rain vague, et l’or­ga­ni­sa­tion de nom­breuses « cau­se­ries » pour « favo­ri­ser la com­mu­ni­ca­tion, la confron­ta­tion des idées entre les gens du quar­tier et les gens de l’a­thé­née, entre eux ». Pour le reste : « le rôle d’un athé­née dans un quar­tier est de don­ner une alter­na­tive cultu­relle et sociale. Il faut créer une force paral­lèle et dis­tincte de ce qui existe… des orga­nismes anti-auto­ri­taires où l’é­man­ci­pa­tion de la per­sonne atteint son point maxi­mum. » Mais, ici aus­si, les alter­na­tives res­tent pour l’ins­tant au niveau de projets.

Ain­si mal­gré la dyna­mique qui les porte, les comi­tés de quar­tier espa­gnols n’ont pas encore atteint le stade de mise en place effec­tive de struc­tures alter­na­tives prises en charge par les inté­res­sés et res­pec­tant la volon­té et les dési­rs de chaque indi­vi­du. Les acquits du mou­ve­ment des athé­nées n’en demeurent pas moins impor­tant et l’on com­prend aisé­ment qu’il est dif­fi­cile de résoudre en deux ans les pro­blèmes touchant :

  • au dif­fi­cul­tés maté­rielles pour louer un local et le faire fonctionner,
  • à la dis­po­ni­bi­li­té des membres de l’a­thé­née, du temps qu’ils peuvent lui consacrer,
  • au manque d’af­fi­ni­té entre les individus ;

cela peut à la rigueur pas­ser dans un syn­di­cat, mais dif­fi­ci­le­ment lors­qu’il s’a­git de faire fonc­tion­ner une école auto­gé­rée. D’autre part depuis quelques mois, la répres­sion s’a­bat pour des pré­textes divers sur cer­tains athé­nées : expul­sion de locaux squat­tés, « décou­verte » de drogue, de cock­tails molo­tovs, etc. Cela per­met à la petite que­relle sur « l’in­fil­tra­tion des groupes étranges » de se pour­suivre, mais n’empêche pas ces faits de res­ter des excep­tions sans grande consé­quence. Ce qui est impor­tant de noter c’est que les comi­tés de quar­tier et les athé­nées, de part leur fonc­tion­ne­ment, consti­tuent les uniques lieux véri­tables de confron­ta­tion, de dis­cus­sion, d’ex­pé­ri­men­ta­tion de struc­tures liber­taires de vie et d’organisation.

C’est cette sou­plesse orga­ni­sa­tive, le sen­ti­ment de ne pas devoir « lais­ser à la porte une par­tie de soi » pour pou­voir faire quelque chose et se battre, qui motive par ailleurs les mili­tants céné­tistes, membres de comi­tés de quar­tier, à deman­der un élar­gis­se­ment et une ouver­ture des struc­tures de la CNT. Il ne fau­drait pour­tant pas mélan­ger les pro­blèmes ; tout le monde est d’ac­cord à quelques excep­tions prés, pour que les comi­tés de quar­tier conservent une com­plète auto­no­mie ; et il est évi­dem­ment essen­tiel qu’il en soit ain­si. Par­tant de cela, une CNT qui pren­drait en compte au niveau natio­nal les luttes qui sont celles, entre autre, des comi­tés liber­taires au niveau local, faci­li­te­rait en ser­vant de « caisse de réso­nance », l’ac­ti­vi­té des mili­tants dans les quar­tier comme sur les lieux de tra­vail. La posi­tion qui consiste à dire que la CNT doit res­ter un syn­di­cat anar­cho-syn­di­ca­liste et refu­ser d’as­su­mer les autres luttes du mou­ve­ment liber­taire, existe aus­si chez cer­tains membres d’a­thé­née, farou­che­ment anti-syn­di­ca­listes. Elle est à notre avis tout aus­si absurde que la même posi­tion défen­due par des membres de la CNT parce qu’elle contri­bue elle aus­si à frag­men­ter l’ac­ti­vi­té des mili­tants anar­chistes. Une fois l’au­to­no­mie des struc­tures de quar­tier admise, les solu­tions au débat en cour sur l’or­ga­ni­sa­tion du mou­ve­ment reste donc en der­nière ins­tance, au sein de la CNT. 

EN GUISE DE CONCLUSION

Le film n’en contient pas et cet article n’en four­ni­ra pas plus ; ça n’est ni son pro­pos et encore moins son rôle. Sim­ple­ment il espère être une contri­bu­tion aux débats qui sont ceux du mou­ve­ment liber­taire espa­gnol et qui dans la période actuel le nour­rissent ou rejoignent en par­tie les nôtres.

Félix

La Presse Anarchiste