La Presse Anarchiste

Remous autour d’une polémique

Nous avons reçu de la Com­mis­sion aux Rela­tions Inter­na­tio­nales de la FAI, datée « exil, 11 février 78 », une cir­cu­laire dénon­çant la cam­pagne liqui­da­trice lan­cée par l’É­tat contre la CNT, aidé par « d’an­ciens cama­rades de Mar­tin Vil­la dans la CNS, infil­trés dans l’or­ga­ni­sa­tion confé­dé­rale. » La cir­cu­laire défi­nit la FAI comme une orga­ni­sa­tion « his­to­ri­que­ment liée à la CNT », « pas comme branche mili­taire », comme le pré­tendent « le gou­ver­ne­ment et ses agents ver­ti­ca­listes et vati­ca­nistes », mais « comme colonne ver­té­brale des anar­cho-syn­di­ca­listes de la CNT ». Elle reprend une décla­ra­tion de la Fédé­ra­tion Anar­chiste de la région Cata­lane, qui, entre autre, désap­prouve l’at­ten­tat contre la Sca­la, nie toute rela­tion avec l’af­faire et condamne la « chasse aux sor­cières » pra­ti­quée par ceux qui, sous ce pré­texte, ont vou­lu expul­ser des mili­tants de la FAI, des syn­di­cats de la CNT.

Nous sommes d’ac­cord avec ces cama­rades pour nous oppo­ser à toute chasse aux sor­cières. À voir si, entre tous, nous arri­ve­rons à faire une CNT vrai­ment liber­taire, ouverte à tous les cou­rants qui luttent pour l’é­man­ci­pa­tion ouvrière et l’au­to­ges­tion : une CNT sans auto­ri­té ni « colonne ver­té­brale » autre que la libre volon­té de ses assem­blées de mili­tants ; ce serait la meilleure preuve que la « chasse aux sor­cières » n’existe pas.

POUR OU CONTRE LA FAI ?

En tant que réponse à la cir­cu­laire, nous avons reçu dif­fé­rentes lettres qui accusent des sec­teurs confé­dé­raux pré­cis de por­ter la CNT vers la bureau­cra­tie, en orga­ni­sant pré­ci­sé­ment la « chasse aux sor­cières ». Par exemple la lettre qu’é­crit un cama­rade de Madrid qui signe P. reven­dique : « CNT anar­chiste, oui ; CNT-FAI, non. Dans le pro­jet de la mafia anky­lo­sée qui a usur­pé le nom de la FAI, la CNT est la cen­trale syn­di­cale de la FAI, comme l’UGT est la cen­trale syn­di­cale du PSOE Avec ce rai­son­ne­ment, la CNT est syn­di­ca­liste et rien de plus, pour les anar­chistes elle est déjà “l’or­ga­ni­sa­tion spé­ci­fique”. Ain­si, ils se pro­noncent contre l’ap­pui de la CNT à la lutte du COPEL, contre la cam­pagne pour l’a­bo­li­tion de la loi de dan­ge­ro­si­té sociale, l’ap­pui aux mar­gi­naux, aux éco­lo­gistes, aux reven­di­ca­tions fémi­nistes, aux anti-mili­ta­ristes. Confor­mé­ment à la stra­té­gie syn­di­cale de la CNT leur objec­tif prio­ri­taire actuel­le­ment est d’en finir avec la ligne assembléiste. » 

« Dif­fa­mer et calom­nier les mili­tants inor­ga­ni­sés, qui ne sont pas des leurs, expul­ser des indi­vi­dus voire des syn­di­cats entiers, sont quelques unes des méthodes que cette lettre et d’autres, dénoncent comme pra­tique de la FAI officielle. 

Comme pour se défendre de toutes ces accu­sa­tions, spé­cia­le­ment de celles qui per­son­na­lisent la « direc­tion » de cette stra­té­gie dans cer­tains noyaux d’an­ciens mili­tants et plus par­ti­cu­liè­re­ment comme venant d’une ex-ministre, pro­pa­gan­diste connue, la même Com­mis­sion Inter­con­ti­nen­tale aux Rela­tions de la FAI nous envoyait une cir­cu­laire à l’oc­ca­sion du cin­quan­te­naire “de la créa­tion de notre orga­ni­sa­tion spé­ci­fique”, qui disait entre autre : “50 années de vie dans toutes les acti­vi­tés que ses com­po­santes ont trou­vé néces­saire de mener à bien, volon­tai­re­ment, sans impo­si­tion d’au­cun état major et encore moins d’au­cun lea­der, ce qui est mora­le­ment impos­sible dans une orga­ni­sa­tion où la propre spé­ci­fi­ci­té nie et détruit toute inten­tion auto­ri­taire et dominatrice.”

Il nous arrive aus­si des lettres de mili­tants céné­tistes défen­dant la FAI, par exemple celle du cama­rade Andrès (qui signe avec le numé­ro confé­dé­ral) qui com­pare l’or­ga­ni­sa­tion spé­ci­fique aux « anti­corps » que déve­loppe d’une manière natu­relle l’or­ga­nisme céné­tiste quand des « microbes et bac­té­ries per­ni­cieuses » l’ont infil­tré (germes « exclu­si­ve­ment syn­di­ca­listes ») qui pré­ten­daient réduire la CNT à une simple orga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire, à « une force d’as­saut dans la lutte pour le pou­voir ». De même le cama­rade Este­ban, mili­tant CNT-FAI de Elche, qui repousse l’al­ter­na­tive pos­sible à la FAI, qui pré­ten­drait « orga­ni­ser le mou­ve­ment des col­lec­tifs de quar­tiers, de mar­gi­naux (pri­son­niers-homo­sexuels-objec­teurs-éco­lo­gistes-anti­mi­li­ta­ristes) qui existe déjà, et n’est pas exclu­si­ve­ment anar­chiste ». Face à cette manœuvre oppor­tu­niste, sem­blable à celle des par­tis qui veulent contrô­ler le mou­ve­ment des quar­tiers, il existe beau­coup de cama­rades à la CNT JJLL et FAI etc. qui conti­nuent à appuyer tous les mar­gi­naux, sans pré­tendre atten­ter à l’au­to­no­mie de ces groupes.

POUR UNE CNT LIBERTAIRE INTÉGRALEMENT

Cer­taines lettres déplorent l’ac­tuelle lutte de ten­dances dans la CNT, « il appa­raît que la CNT a res­sur­gi comme lutte de dif­fé­rentes ten­dances pour contrô­ler le mou­ve­ment liber­taire, et non comme cana­li­sa­trice du mou­ve­ment ouvrier, ce qui serait sa tâche à mon avis », nous écrit Joa­quin du quar­tier madri­lène de Aluche. « Com­ment allons-nous par­ler aux gens d’au­to­ges­tion, d’u­nion et d’ac­tion directe quand ont lieu au sein de l’or­ga­ni­sa­tion confé­dé­rale ces luttes lamen­tables ? » Ce cama­rade pro­pose de « déve­lop­per la CNT pour essayer qu’« elle devienne le trait d’u­nion du mou­ve­ment liber­taire, tant du mou­ve­ment ouvrier auto­nome, que des groupes anar­chistes, liber­taires, auto­nomes et mar­gi­naux, de tous les oppri­més », et si cela n’est pas pos­sible, « lais­ser se dévo­rer entre eux ceux qui veulent impo­ser les ortho­doxies de 1936. »

Sans le ton déses­pé­ré de cette lettre, qui exprime peut être une cer­taine réac­tion de jeunes qui quittent la CNT, déçus par cette lutte pour le pou­voir, le cama­rade José, du syn­di­cat de l’en­sei­gne­ment de Madrid, décrit aus­si la même alter­na­tive, comme une des ques­tions clés du mou­ve­ment liber­taire : « Si la CNT se réduit,comme le pré­tendent quelques mili­tants influen­cés par la FAI ― recons­truite par le S.I. de Tou­louse ― à une orga­ni­sa­tion exclu­si­ve­ment syn­di­cale, qui ne dépasse pas les pro­blèmes du tra­vail, et même là s’op­pose aux assem­blées uni­taires, et qui laisse les aspects cultu­rel, édu­ca­tif, sexuel, du quar­tier etc. à des groupes spé­ci­fiques orien­tés par cette « avant-garde éclai­rée », comme s’ap­pellent les faistes, nous per­drions une grande pos­si­bi­li­té d’or­ga­ni­ser un mou­ve­ment liber­taire inté­gral et non sec­taire, qui coor­donne autant le mou­ve­ment ouvrier auto­nome, que les mili­tants des groupes d’op­pri­més, d’o­rien­ta­tion anti auto­ri­taire. Cette coor­di­na­tion ne doit pas se faire obli­ga­toi­re­ment dans une même orga­ni­sa­tion, car la CNT en fin de compte a ses struc­tures pro­pre­ment syn­di­cales, mais dans un mou­ve­ment liber­taire décen­tra­li­sé, avec des assem­blées géné­rales, qui syn­thé­tisent les dif­fé­rents mou­ve­ments auto­nomes… Mais ce mou­ve­ment liber­taire large et plu­ra­liste reste réduit à la « liai­son CNT-FAI-JJLL », avec les faistes jouant le rôle de l’or­tho­doxie, de l’é­cra­se­ment des héré­tiques, et des hété­ro­doxes à expul­ser de la CNT, on aura fait plus de mal à la réor­ga­ni­sa­tion acrate que les 40 ans de dic­ta­ture. Qu’en fin de compte, on nous attaque à mort, mais de l’ex­té­rieur, alors que le pro­ces­sus actuel de bureau­cra­ti­sa­tion s’ef­fec­tue de l’in­té­rieur, ren­for­çant la peur, le confor­misme et la pas­si­vi­té que le fran­quisme nous a mis dans la tête, et nous qui sommes liber­taires, nous accep­tons cela ? » 

À Bici­cle­ta, nous nous limi­tons à publier tout ce qui peut déve­lop­per le mou­ve­ment liber­taire. Nous prions nos cor­res­pon­dants de trou­ver dans cet objec­tif autre chose que des insultes per­son­nelles ou collectives.

LE DOUBLE MILITANTISME

Des « syn­di­ca­listes poli­tiques » nous arrive un grand texte ori­gi­nal, inti­tu­lé « Sur la pos­si­bi­li­té d’une option poli­tique liber­taire » et signé J.E. (mili­tant du par­ti syn­di­ca­liste) qui répond aux attaques de « jaune » que le texte inti­tu­lé « à tous les anar­chistes » fai­sait aux « pes­ta­nis­tas », texte publié dans le n° 2 de Bici­cle­ta. Nous rap­pe­lons que Pes­ta­na a tou­jours affir­mé le « carac­tère révo­lu­tion­naire du syn­di­cat, et que si on le nie, on s’ ins­crit dans une idéo­lo­gie déter­mi­née ― y com­pris la sienne ― dans une autre orga­ni­sa­tion idéo­lo­gique, en conti­nui­té avec la Charte d’A­miens et avec les sta­tuts même de la CNT… Le syn­di­cat a un rôle révo­lu­tion­naire à rem­plir, en tant qu’en­ti­té auto­nome de groupe idéo­lo­gique quel­conque et un par­ti liber­taire a aus­si un rôle essen­tiel à réa­li­ser dans le pro­ces­sus socialiste ». 

Pour beau­coup peut-être ces choses peuvent paraître non ortho­doxes, mais comme disait un cama­rade pen­dant les Jour­nées Liber­taires, « en des occa­sions pré­cises, seule la non ortho­doxie peut faire avan­cer ce que l’or­tho­doxie a anky­lo­sé et réduit à une litur­gie répétitive. » 

Non, si la non ortho­doxie nous sied bien en géné­ral, ce qu’il y a de mau­vais c’est que le « par­ti liber­taire ou l’a­vant garde » avec des tam­pons, des diri­geants, et une idéo­lo­gie qui impose les choses de façon dis­ci­pli­naire, est du res­sort non de la non ortho­doxie, mais de l’or­tho­doxie dans plus d’une fédé­ra­tion de la CNT actuelle.

Sur la ques­tion du double mili­tan­tisme de quelques affi­liés confé­dé­raux dans des groupes poli­tiques et dans la CNT, le cama­rade G. du syn­di­cat du métal Giron nous écrit : « le double mili­tan­tisme est un grave pré­ju­dice aux prin­cipes et au déve­lop­pe­ment du syn­di­ca­lisme anar­cho-syn­di­ca­liste cohé­rent dans sa tac­tique et sa stra­té­gie, ce qui ne pour­rait pas se pas­ser pour ceux qui militent sous les aus­pices du cen­tra­lisme démo­cra­tique. Ceux qui séparent la tac­tique de la stra­té­gie ― ce qui est le cas de ces groupes idéo­lo­giques ― se situent dans l’op­por­tu­nisme le plus clair… Il y a évi­dem­ment incom­pa­ti­bi­li­té du sché­ma poli­tique auto­ri­taire, cen­tra­liste (y com­pris ceux qui main­tiennent les thèses léni­nistes comme « le syn­di­cat doit conti­nuer son déve­lop­pe­ment dans le par­ti ») avec nos prin­cipes d’as­sem­bléisme, d’an­ti-auto­ri­ta­risme et d’au­to­no­mie ouvrière. » Pour finir, deux ques­tions à ceux qui défendent le double mili­tan­tisme sans occu­per de postes de res­pon­sa­bi­li­té : est-ce que ceux qui occupent ces postes dans la CNT ont le sen­ti­ment de n’être que de purs coor­di­na­teurs ? Les postes dans la CNT sont ils exé­cu­tifs ou dirigeants ?

Bon ; sur la situa­tion des postes dans la CNT il y aurait tant à dire que nous pré­fé­rons le faire à une autre occa­sion, et atten­dons de voir ce qu’en disent les camarades. 

Tra­duit de Bici­cle­ta n° 5.

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