Elégiette entre deux déluges
L’ombre, au fond du jardin, est – cela rime – d’or.
Tout comme le soleil on voudrait faire un somme.
À nouveau l’on se sent presque heureux d’être un homme
Devant ce calme obtus d’un monde qui, mouillé
Encore, ouvrit les yeux, puis les a refermés
Comme pour oublier le jour ivre d’arômes.
Que l’on est loin, ici, des foules de Sodome.
Pino sur son cap vert dresse un doux minaret.
Après la nuit de vent fougueux, voici l’arrêt
Soudain, miraculeux des êtres et des choses.
Dans la torpeur le temps, assoupi, se repose.
Le coq de chez Pugni déchire l’air pesant.
Avril, mois des éveils, qu’on dit – ah ! parlons-en :
Le dieu printemps roupille en son cocon de brume.
Poète, suce-moi la pomme et prends la plume,
Et nous chante, embringué des prestiges de l’art,
L’heure divine – avant de rouvrir un riflard.
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Chanson du corvéable
d’après Le Maguet
Vont, même aux jours de la rose,
Cueillir dans leur beau Paris
Un aujourd’hui tout en prose.
Vite, vite ! – L’heure sonne,
Noir appel des ateliers.
Ah ! ce bruit de gros souliers,
Ce désert : foule et personne.
Pour nul rêve n’ont de cœur
Et de tant de jours perdus
Ils se font à contrecœur
Une vie. Qu’en penses-tu,
Novice, et gourmand de vivre ?
Royaume : être vagabond.
Que n’es-tu, de loisir ivre,
Faux aveugle sur un pont ?
Errer au bord de la Seine.
On peut toujours lui conter
Dans le silence une peine :
L’eau qui passe désenchaîne
Un semblant de liberté.
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À propos de rhubarbe
Pour Charles Vildrac, avec l’intercession de Lucienne Desnoues
Pourtant expert en belles Découvertes,
Je n’avais su qu’en nos jardins fleuris
Dame rhubarbe aux robes toujours vertes
D’un peu de fleurs avait sa part aussi.
Honte sur nous ! – mais devra-t-on se pendre
S’il a fallu que les vers de Desnoues,
Comme un mystère au parvis se dénoue,
Vinssent un jour en chantant nous l’apprendre ?
Qui sait ce qu’à la grâce
Du grand Petit Poète
Vous aurez à répondre,
Maître des vrais secrets ?
Quant à moi je peux dire
Qu’en un certain lopin
La plante aux feuilles larges
M’est pourtant familière.
Je l’ai vue qui couvait
La menthe rétractile ;
Je l’ai vue qui chauffait
Le sommeil d’un lézard
Au soleil devenu
À leur toucher tout vert ;
Et je la vois encore
Quand je ferme les yeux.
Si ce n’est pas la fleur
De la plante qui monte
Du fond de la mémoire,
C’est la fleur de la vie
Au soleil toujours vert :
Découverte sans fin
À jamais inventée
Et toujours à refaire.
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Sinon qu’ayant bientôt franchi les… x‑ante ans
Tu ne reconnais pas, lorsque naïf tu passes
Devant un magasin, ce monsieur dans la glace
Qui porte ton béret, ton manteau, un faux air
de toi – très faux évidemment – ou de ton père,
Dont tu lui donnerais en somme à peu près l’âge
Au temps lointain et proche où, d’un si bon courage,
Vous marchiez tous les deux dans votre grand Paris.
Rien n’est changé, sinon que ta jeunesse a fui
Et, comme elle, l’ami de tes matins d’école –
O flâne avant l’ouvrage et sage course folle –
Le compagnon des beaux chemins, des vieux palais
Immenses, des jardins et des quais. Tout donc, mais –
Mais rien. Pas même en toi cette idée imbécile :
Jeune est le monde et jeune est dans l’antique ville
Cet enfant que je suis et qui le veut rester.
Dans le miracle du printemps rien n’est changé.
[/Jean Paul