Dans le précédent
numéro du « Libertaire », la terrible
nouvelle nous étant parvenue trop tard, nous avons annoncé
en quelques lignes le décès du militant syndicaliste
Julien Le Pen. Nous ne pouvons laisser passer ce numéro sans
parler de ce camarade dont la disparition est une perte cruelle pour
le mouvement ouvrier.
Le nom de Le Pen est lié
à l’histoire du mouvement syndical des trente dernières
années. Après avoir débuté aux Jeunesses
syndicalistes, nous le retrouverons, en 1917, au Comité de
défense syndicaliste. Il nous rappelle les grandes batailles
des Comités syndicalistes révolutionnaires en 1920 et
1921, dont il était un ardent animateur. On se souvient des
interventions magnifiques qu’il fit au Congrès de
Saint-Étienne, qui marqua la constitution de la C.G.T.U., au
Congrès de Bourges et, enfin, dans tous les Congrès
confédéraux où il ne manquait pas de dénoncer,
parfois même avec véhémence, la carence des
bonzes confédéraux et des Pouvoirs publics devant les
problèmes sociaux. Partout, sur les chantiers, dans les
« boîtes », il défendait âprement
les conditions d’existence des prolétaires et paya souvent de
sa personne. Il fut d’ailleurs arrêté et emprisonné
lors de la grève générale au Havre, en 1922.
Toujours à la pointe du combat, il fut secrétaire de la
Fédération du Bâtiment en 1923 – 24. Il se dressait
souvent contre l’emprise des partis politiques sur les Syndicats. On
peut se souvenir de la position intransigeante qu’il prit lors des
discussions sur l’unité syndicale, son expérience ayant
su discerner les manoeuvres politiques derrière cette grande
embrassade.
Sous la botte nazie, il
s’écarta des Dumoulin, Froideval et autres syndicalistes que
nous connaissons bien et qui déployaient une activité
répugnante dans les organismes de Vichy, pour continuer,
malgré les difficultés, à défendre les
intérêts des corporants du Bâtiment contre les
exigences de l’occupant et des négriers à ses gages.
Sous son impulsion, le
Syndicat des monteurs-électriciens, dont il était le
secrétaire, se prononça nettement contre la Charte du
renégat Belin. La libération de Paris amena des
changements profonds dans la constitution des bureaux syndicaux du
Bâtiment. Les communistes, sous prétexte qu’ils avaient
travaillé dans l’illégalité, s’imposèrent
et signifièrent dans les formes à Le Pen que sa place
n’était plus à la tête du Syndicat, mais que,
tout de même, ses compétences étaient
indispensables à la bonne marche de l’organisation, ils ne
pouvaient l’écarter définitivement de toute fonction
syndicale et, ainsi, il conserva le poste de délégué
à la Commission exécutive du Bâtiment. Aussi
prit-il une part active dans les discussions qui s’engagèrent
avec le patronat de la branche électricité, pour le
réajustement des salaires et les nouvelles conditions de
travail.
Jusqu’au dernier moment,
malgré les souffrances qui devaient le tenailler sous son
apparence assez calme, il poursuivit sa tâche. D’ailleurs, le
mal le terrassa alors qu’il se trouvait à la Fédération
du Bâtiment et, quelques jours plus tard, il succombait.
Intègre,
désintéressé, d’un dévouement inlassable,
c’est une belle figure du syndicalisme qui vient de disparaître
et que l’on ne pourra oublier.
* * *
Au moment de mettre sous
presse, nous apprenons également la mort du Docteur Elosu, à
Bayonne, en 1941, à la suite d’emprisonnements successifs, et
celle toute récente, du camarade Maury, à Nîmes.
Le premier était
bien connu pour son œuvre néo-malthusienne et libertaire. Le
second, qui était encore à Paris il y a une dizaine
d’années, appartenait au Syndicat unique du Bâtiment,
section des tailleurs de pierre de la rue Charlot.
C’est encore un bon
militant qui nous quitte.